Prosper Karangwa, le Québécois le plus influent de la NBA
NBA jeudi, 10 déc. 2020. 00:36 samedi, 30 nov. 2024. 13:01MONTRÉAL – Quelques semaines avant que Chris Boucher ne signe un lucratif nouveau contrat avec les Raptors de Toronto, un autre Montréalais obtenait une promotion dans la plus importante ligue de basketball au monde.
Le nom de Prosper Karangwa ne suscite peut-être pas la même curiosité que celui de Boucher ou de son compatriote du Thunder d’Oklahoma City Luguentz Dort, deux jeunes joueurs qui mettent leur ville sur la mappe grâce à leurs prouesses sur le terrain. Cet ancien du programme St-Ex de Saint-Léonard doit pourtant être considéré comme l’un des Québécois les plus influents dans la NBA.
En octobre dernier, Karangwa a quitté les bureaux du Magic d’Orlando, qui lui avait donné sa première chance d’intégrer la NBA au terme de sa carrière de joueur, pour accepter le poste de vice-président du personnel des joueurs des 76ers de Philadelphie. Aux côtés du nouveau président Daryl Morey et du directeur général Elton Brand, il supervise le recrutement professionnel, universitaire et international de l’organisation en plus d’être responsable des Blue Coats du Delaware, son équipe de développement en G League.
« J’avais déjà eu trois ou quatre promotions à Orlando et quand l’occasion de quitter pour autre chose s’est présentée, j’étais plutôt contre l’idée, avoue Karangwa dans une généreuse entrevue à RDS. Mais on m’a fait comprendre que des fois pour grandir, il faut que tu ailles ailleurs. Et Philadelphie m’offrait une opportunité qui était impossible à refuser. Non seulement je passais à une autre étape dans mon parcours professionnel, avec davantage de responsabilités, mais c’était aussi la chance de rapprocher ma famille de Montréal. »
Sa mère et ses sœurs habitent toujours la ville où la famille a émigré du Burundi à la fin des années 1980. Karangwa avait 9 ans et il était plus intéressé par la danse et la musique que par le basketball.
« En Afrique, à l’époque, c’était le soccer et Michael Jackson. C’était tout, lâche-t-il en riant. Mais quand je suis arrivé à Montréal, il y avait un secteur du quartier qui s’appelait Brooklyn, un petit coin avec une quinzaine de blocs appartements et à l’intérieur, il y avait des endroits où tout le monde pouvait jouer. Tous mes amis jouaient au basket. Je n’y connaissais rien, mais j’y allais. »
À l’école secondaire Antoine St-Exupéry, Karangwa rencontre Emerson Pierre-Louis, qu’il identifie aujourd’hui comme son premier entraîneur marquant. À l’été 1992, Pierre-Louis sélectionne son jeune élève au sein de l’équipe qui doit représenter la région Bourassa aux Jeux du Québec, en prenant toutefois bien soin de tempérer ses attentes. Il le voit dans un rôle de réserviste, pour ne pas dire observateur.
« J’étais petit et mince, je n’avais pas de force, je n’étais pas vraiment athlétique. J’étais un gars de banc. Mais cet été-là, j’ai grandi d’environ trois pouces pour monter à 6 pieds 4 pouces. À partir de là, je suis passé de l’un des pires joueurs de l’équipe à l’un des meilleurs en une saison ou deux. Je dirais que ça a marqué mon parcours de vie d’un côté ou de l’autre. Qu’Emerson me dise qu’il me prenait dans l’équipe en sachant que je n’étais pas prêt ou pas aussi bon, ça m’a donné le courage et la chance d’être là avec les meilleurs joueurs. »
Des kilomètres de sacrifices
Cette poussée de croissance n’ouvre pas automatiquement toutes les portes à Prosper Karangwa. À la fin du secondaire, après une année au niveau juvénile AA, il tente sa chance dans quelques programmes AAA. Il essuie des refus à Sun Youth et Lucien-Pagé, deux institutions montréalaises, avant de se tourner vers Nobel Élite à Laval. L’entraîneur Daniel Méthot accepte de l’inclure dans son projet.
« Après l’école, je faisais deux heures de bus en traversant le pont Pie-IX pour aller m’entraîner et je rentrais à la maison à 23 h avec de l’école le lendemain. Je l’ai fait pendant une année. L’été suivant, j’ai fait l’équipe du Québec. À partir de là, j’ai été recruté par tout le monde : Montmorency, Vanier, Dawson, Champlain... »
Pour la proximité de la maison et l’expérience de l’entraîneur Olga Hrycak, il opte pour le Collège Dawson. Mais pour la visibilité, Karangwa n’a pas le choix de s’éloigner. L’été, avec ses amis Jacques Vigneault, Rodwins Auriental et Donald Joseph, il réussit à s’incruster dans une équipe new-yorkaise et participe à des tournois de l’Amateur Athletic Union (AAU), la plate-forme où les joueurs de son âge ont le plus de chances d’être remarqués par les recruteurs des universités américaines.
« On arrivait à New York le jeudi. Le vendredi, on partait pour un tournoi à Las Vegas, Atlanta, New Jersey, D.C.... Le dimanche, on reprenait le bus pour rentrer à la maison, on passait 2-3 jours à Montréal et le jeudi, on refaisait la même chose. »
L’essoufflant manège rapporte : à 20 ans, courtisé par une vingtaine d’équipes de la côte est et du Midwest, le prometteur meneur de jeu de 6 pieds 7 pouces accepte une bourse de Siena College et fait ses valises pour Albany, dans l’État de New York. « Ils avaient un bon programme, un très bon coach, ils venaient de faire le tournoi de la NCAA, ils avaient le meilleur gym de la Ligue et ma famille pouvait venir me voir facilement. J’avais la possibilité d’aller à Xavier, à Cincinnati, mais c’était trop loin. Je voulais un endroit proche de la maison. »
En quatre saisons avec les Saints, Karangwa marque 1274 points et récupère 445 rebonds. À sa dernière campagne, au terme de laquelle il est nommé sur l’équipe d’étoiles de la Conférence, il est le meneur de son équipe avec 16,9 points et cinq passes décisives par match. Son stage universitaire coïncide également avec ses premières convocations sur l’équipe nationale canadienne. En 2002, il est le plus jeune membre du groupe qui termine 13e aux championnats du monde.
Dans un récent article paru sur The Athletic, un ancien entraîneur de Karangwa à Siena College, Rob Jackson, affirmait que déjà à cette époque, il pouvait prédire que le jeune Montréalais était destiné à une carrière d’entraîneur ou de gestionnaire dans le monde du basketball.
« Si [mes entraîneurs] pensaient ça, ils ne me l’ont jamais dit, s’esclaffe-t-il. J’ai toujours eu une facilité à apprendre, comprendre, intégrer un groupe et maximiser le groupe, maximiser une action. Mais jamais je n’ai pensé que je deviendrais entraîneur ou recruteur. Je pensais que j’allais être travailleur social avec mon diplôme en sociologie. »
Un souper payant
Karangwa joue professionnellement pendant sept ans en Allemagne, en Autriche et en France. En 2010, à 32 ans, le polyglotte – il maîtrise le kinyarwanda, le créole haïtien, l’espagnol et l’allemand en plus du français et de l’anglais – accroche ses espadrilles et considère ses options. Le basketball n’en fait pas partie.
« Comme ma femme vient d’Albany, on se voyait y retourner. J’ai contacté tous les boosters, ceux qui supportent le programme de basket là-bas. Il y avait des banquiers, des docteurs, un peu de tout. J’ai passé une semaine avec chacun d’eux, j’ai posé des questions, je me demandais si c’était une carrière qui pourrait m’intéresser. »
Le processus exploratoire ramène Karangwa sur la route de Rob Jackson. Son ancien entraîneur est désormais un recruteur pour le compte des Spurs de San Antonio. Il l’invite à un match, puis à un autre. À chaque fois, sur le chemin du retour, les deux hommes partagent leurs observations. Au bout de quelques semaines, il devient clair aux yeux du maître que son élève a la tête de l’emploi.
Karangwa se laisse convaincre. Comme la NBA est paralysée par un lockout et que les ouvertures y sont inexistantes, il décide de partir à son compte. Il fonde sa propre compagnie de recrutement, Global Scouting Service, et trouve sa niche dans l’évaluation des joueurs avec un potentiel européen.
« C’était franchement par chance. Si un des boosters m’avait offert quelque chose d’intéressant, je l’aurais fait. Je n’avais jamais pensé être scout ou gestionnaire. Tout est vraiment arrivé petit à petit, naturellement, sans forcer. »
À sa deuxième année comme travailleur autonome, Karangwa rencontre un certain Hank Smith, un recruteur de la région de Boston à l’emploi du Thunder d’Oklahoma City. Coup de foudre professionnel : après quelques matchs passés à sa compagnie, Smith invite son jeune confrère à souper.
« Il me dit : ‘Écoute Prosper, tu ne le sais pas, mais j’ai coaché Sam Presti, Rob Hennigan, Will Dawkins...’, il me sort toute une liste de personnes qui travaillent dans la NBA, qu’il a aidées à rentrer dans la NBA. Il me dit : ‘Je t’aime bien, je pense que tu as une bonne tête et tu as une chance de réussir. Je vais t’aider’. »
Cinq mois plus tard, Hennigan est nommé directeur général du Magic d’Orlando. Dans la foulée de son embauche, il suit la recommandation de son ancien entraîneur et offre un poste à Karangwa. Le Montréalais fourbit ses armes dans le Midwest pendant deux ans, puis devient recruteur à l’échelle nationale. En 2018, il est promu au titre de directeur du recrutement universitaire. L’année suivante, il prend encore du galon en acceptant le poste de directeur du recrutement. Son champ d’expertise est la préparation du repêchage des joueurs universitaires et européens.
À Philadelphie, où il est déjà installé avec sa femme et ses deux enfants, Karangwa est davantage impliqué dans les opérations quotidiennes de l’équipe. Une clause dans son nouveau contrat l’empêchait de contribuer au repêchage le mois dernier, mais il a pu apporter sa contribution dans les décisions prises sur le marché des échanges et des joueurs autonomes. Les 76ers, qui ont engagé un entraîneur vedette et deux autres grosses pointures dans le département des opérations basketball, ont reçu de bonnes notes pour les décisions qu’ils ont prises au cours de l’entre-saison.
« Il y a une belle énergie, ce qui est tout à fait normal quand tu as un nouveau groupe, un nouveau coach. Mais tu sais, tout le monde se sent bien dans la saison morte. Après, il faut que tu livres les résultats sur le terrain. Mais on a un bon groupe. L’intégration a été assez facile, mais le vrai travail commence maintenant. »
Karangwa notera à quelques reprises au cours de l’entrevue qu’il n’a jamais brûlé les étapes entre ses débuts modestes à Saint-Léonard et son arrivée parmi les hauts dirigeants d’une puissance de la NBA. À 42 ans, on ne peut qu’imaginer qu’il n’a pas encore atteint le point culminant de son ascension. Un poste de directeur général apparaît comme un jalon logique sur l’arc de sa carrière.
« Plus les années passent, plus ça m’intéresse, mais ça n’a jamais été quelque chose que je sens que si je n’y arrive pas, ma carrière ou ma vie ne sera pas une réussite. Je suis chanceux jusqu’à maintenant d’avoir été capable de faire plusieurs pas en avant. Et être président ou DG d’une équipe, c’est le top du top dans mon domaine. »