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RÉSULTATS

Appel d'offre à la boxe : la réalité de David et Goliath

Top Rank Boxing Top Rank Boxing - Getty
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Mise à jour

COLLABORATION SPÉCIALE

Les nouvelles les plus importantes de la semaine concernent deux appels d'offre perdus par deux promoteurs majeurs, Top Rank des États-Unis et Matchroom de la Grande-Bretagne contre deux entités régionales, No Limit Boxing d'Australie et P2M-Box Promotion d'Allemagne.

Un appel d'offre est exigé par un organisme de sanction quand le champion mondial d'une division doit affronter son aspirant obligatoire et que les promoteurs des deux boxeurs ne peuvent en venir à une entente négociée.

Lors de l'appel d'offre, tous les promoteurs membres de l'association peuvent participer à l'enchère, mais généralement, seuls les deux promoteurs des boxeurs impliqués le font.

L'appel d'offre consiste à proposer une somme d'argent que vont se partager les deux boxeurs à, habituellement, un partage de 70 % pour le champion et 30% pour l'aspirant.

Il peut y avoir des variantes à 90-10 jusqu'à 50-50 en fonction des bourses précédentes que les boxeurs impliqués ont déjà reçues ou en fonction de leur classement mondial.

Dans le cas de du WBC, il y a une autre variante alors que le premier 10 % est mis de côté et versé en bonis au gagnant et le 90 % du reste de l'argent réparti normalement à 70-30 entre le champion et l'aspirant.

Même si en principe le partage de la mise gagnante, entre les boxeurs participants, est prédéterminé selon les pourcentages expliqués plus haut, la réalité diffère un peu.

En règle générale, les promoteurs font une entente ou ont déjà une entente contractuelle préétablie pour ce genre de situation qui ne tient pas compte du résultat de l'enchère.

Si un boxeur a dans son contrat avec son promoteur une clause qui définit le montant de sa bourse pour une défense de titre, s'il est champion, ou pour un combat pour le titre, s'il est aspirant, cette clause va prévaloir pour le promoteur qui va remporter la mise.

Par exemple, si un boxeur a une garantie d'un million de $ pour un combat de championnat du monde organisé par son promoteur, c'est le montant que le boxeur va recevoir peu importe que le montant de son partage de l'appel d'offre soit plus élevé ou plus bas.

Cependant, pour le promoteur perdant de l'appel d'offre, il y a habituellement une clause contractuelle avec son boxeur qui prévoit qu'il va permettre à son protégé de participer au combat de championnat, mais en exigeant 25 % de la somme qui sera octroyée à son boxeur par le partage de la mise gagnante.

La procédure pour l'appel d'offre consiste à faire parvenir, sous scellé, au bureau de l'association en question, une enveloppe contenant le montant de la mise et un chèque certifié correspondant à entre 10 % à 20 % de cette somme, ça varie entre les associations.

Chaque promoteur participant délègue habituellement un représentant sur place pour l'ouverture officielle des enveloppes scellées, par un directeur de l'association, qui se fait à midi tapant du jour déterminé.

C'est en direct sur une plateforme virtuelle, disponible pour tous les promoteurs membres, que les enveloppes sont décachetées.

Au fur et à mesure du dépouillement des propositions, le responsable de l'association lit à vive voix le montant proposé et le vainqueur est celui qui a misé le plus haute somme.

Le vainqueur obtient le privilège d'organiser le combat de championnat du monde en choisissant la date, à l'intérieur de trois mois, et le lieu.

Comment un promoteur détermine le montant à miser?

Tous les promoteurs participant à un appel d'offre veulent l'emporter, mais avec la plus petite marge possible devant son compétiteur.

Alors on évalue d'abord ses propres ressources financières en fonction de la qualité du combat qui sont les droits de télévision ou ventes à la télévision à la carte, la vente aux guichets et les commandites.

Puis on tente d'évaluer les ressources potentielles du compétiteur selon les mêmes critères. On décide alors du montant à miser.

Quand deux promoteurs majeurs s'affrontent comme Top Rank, Matchroom, Golden Boy ou Queensberry, leurs ressources étant semblables, le plus ambitieux, quitte à perdre un peu d'argent, va l'emporter.

Cependant quand l'un de ces majeurs est opposé à des promoteurs qui ont un champ d'opération limité et aucun accès à un distributeur de télévision important, les forces en présences sont inégales.

No Limit Boxing fait la différence pour mille dollars

L'IBF a ordonné à son champion des moyens, Janibek Alimkhanuly (15-0, 10 K.-O.), associé à Top Rank, d'affronter son aspirant obligatoire Andrei Mikhailovich (21-0, 13 K.-O.), un Russe qui a livré tous ses combats en Nouvelle-Zélande et en Australie.

Le promoteur de l'aspirant est No Limit Promotions d'Australie qui a organisé 47 événements depuis 2013, mais qui a vraiment pris de l'ampleur autour de la popularité d'un boxeur en particulier, l'ex-champion WBO et WBC des super mi-moyens Tim Tszyu (24-1, 17 K.-O.).

Top Rank de Bob Arum est l'organisation par excellence de l'histoire de la boxe avec 1770 galas organisés depuis 1971 et une entente exclusive avec le géant Américain ESPN.

C'est 351 000$ que No Limit boxing a misé contre 350 000$ pour Top Rank. Carl Moretti, le v.-p. de Top Rank, a déclaré qu'il n'avait jamais été témoin d'une aussi petite marge, 1000 $ entre 2 propositions.

C'est à contre cœur qu'Alimkhanuly, du Kazakhstan, qui a combattu aux États-Unis à ses 13 dernières présences sur le ring, va se retrouver sur le territoire de son aspirant pour défendre son titre IBF pour la première fois.

Faut dire, dans ce cas-ci, que le champion n'a pas une très grande aura auprès des spectateurs de nos voisins du sud et Top Rank aura juste une date ESPN de plus pour l'une de ses nombreuses vedettes et donc n'est pas déçu outre mesure.

En revanche, pour No Limit qui a développé un marché très lucratif en Australie grâce à la popularité de sport dans ce pays où on remplit des amphithéâtres et où les droits de télévision d'Australia FOX sont très significatifs, cette victoire leur apporte beaucoup de crédibilité.

P2M-Box Promotion 2 000 052,10 $ contre 1 566 666 $ pour Matchroom

Ici, on a David contre Goliath. P2M-Box Promotion, une compagnie Allemande, représente l'Ukrainien Karen Chukhadzhian (24-2, 13 K.-O.), l'aspirant IBF obligatoire au charismatique et populaire champion Jaron Ennis (32-0, 29 K.-O.) qui vient de s'associer à Matchroom.

L'aspirant à disputé ses 16 premiers combats en Ukraine et il est associé avec P2M-Box en Allemagne que depuis l'an dernier, en 2023, avec qui il n'a livré que deux combats. On ne peut pas dire que l'Ukrainien est une vedette en Allemagne.

De plus, P2M-Box n'existe que depuis 2022 et dans toute son histoire n'a organisé que 6 événements de boxe. On ne leur connait pas non plus d'association avec un télédiffuseur important.

Matchroom a été fondé par Barry Hearn en 1980 et en été le président jusqu'en 2012, alors qu'il passait le flambeau à son fils Eddie. Ils ont 698 événements à leur actif. Matchroom a décroché le contrat de distribution numérique le plus lucratif de l'histoire avec DAZN, il y a quelques années, pour une valeur de près d'un milliard.

Jaron Ennis est une vedette montante de la boxe professionnelle aux États-Unis qui à son premier combat avec son nouveau promoteur, au Wells Fargo Center de Philadelphie en juillet dernier, a fait complet, au-delà de 21,000 spectateurs, en plus d'une présentation en direct sur DAZN.

On prépare un retour en force du jeune prodige de 27 ans dans la même enceinte à Philadelphie en novembre prochain. Ennis est important pour Matchroom qui veux solidifier son empreinte aux États-Unis où la compétition est féroce.

Le hic est que Eddie Hearn réfute l'obligation de son champion à affronter à nouveau Chukhadzhian qu'il a facilement vaincu par décision unanime en janvier 2023, comme en font foi les pointages de 120-108 pour les 3 juges.

Au crédit de l'Ukrainien, il a remporté 3 victoires depuis dont une finale d'élimination, pour devenir aspirant obligatoire, à son dernier combat en Allemagne contre l'Anglais Harry Scarff (13-3, 3 K.-O.)

Alors quand Eddie a misé 1 566 666 $, il était fort confiant d'obtenir les droits du combat et craignait même d'en avoir trop mis compte tenu de l'opposition.

C'est à la stupéfaction générale que le représentant de la IBF a annoncé le montant de P2M-Box de 2 000 052,10 $, surpassant son rival de 483 383.10 $.

Si Ennis veut conserver sa couronne IBF, il devra se résoudre à aller la défendre en Allemagne sinon la ceinture deviendra vacante.

Il est évident que l'équipe d'Ennis va demander des comptes à Eddie Hearn qui n'a pas été capable de s'entendre avec le promoteur de l'aspirant et qui au surcroit les a sous-estimés avec sa mise.

C'était dans les plans, à moyen terme, pour le Philadelphien d'abandonner les 147 livres pour faire campagne à 154 livres et tenter de s'approcher de Terrence Crawford. Est-ce qu'après analyse de la situation on va précipiter les choses? Ce sera très intéressant à suivre.

Sauerland Promotions 1 164 000 $ contre InterBox 1 150 000 $

Au Québec, depuis que les boxeurs d'ici évoluent surtout sur la scène internationale, on a participé à de nombreux appels d'offre. Le plus important a eu lieu à l'automne 2002.

Quand on a présenté une mise de 1 150 000 $ pour obtenir les droits de présentation d'Éric Lucas qui défendait son titre WBC des super moyens contre son aspirant obligatoire Markus Beyer d'Allemagne, on était convaincu avoir fait nos devoirs.

Les enveloppes scellées ont été ouvertes dans un hôtel de New York où logeait le président du WBC Jose Sulaiman et quand on a entendu la somme misée par Sauerland promotions, 1 164 000 $ ce fut la consternation générale dans notre équipe.

Pour réunir les 1 150 000 $ on avait eu le support du Centre Molson, de Canal Indigo, de tourisme Montréal ainsi que de Richard Legendre alors ministre responsable de la Jeunesse, du Tourisme, du Loisir et du Sport.

Adonis Stevenson contre Carl Froch au Stade olympique

Mais la plus importante mise de notre histoire n'a finalement jamais été ouverte aux bureaux de la IBF.

En janvier 2013, Adonis Stevenson était l'aspirant obligatoire à l'Anglais Carl Froch chez les super-moyens et l'IBF nous avait convié, GYM et Matchroom, pour un appel d'offre.

Froch avait détrôné Bute l'année précédente par un retentissant TKO au cinquième et revendiquait également une victoire par décision sur Jean Pascal 5 ans plus tôt en 2008.

Nous avions une confiance illimitée dans les chances à Stevenson de vaincre Froch et nous voulions absolument que ce soit au Québec.

Pour trouver les ressources financières requises et préparer la meilleure mise possible, nous avions obtenu un engagement de Showtime ainsi qu'une avance de Videotron et de la RIO pour déposer notre 20 % requis le jour de l'appel d'offre.

La date que Showtime nous avait donné n'était pas disponible au Centre Bell et la RIO était dirigé par un jeune président-directeur général David Heurtel qui avait pour ambition de ramener des événements au Stade olympique. Il avait accepté de nous supporter financièrement dans cette aventure.

C'est le chiffre de 3 100 000 $ qui nous avons inscrit dans notre offre et scellé dans une enveloppe en compagnie de notre chèque certifié de 620 000 $.

L'ouverture des enveloppes était prévue pour midi au bureau de l'IBF au New Jersey. Don Majeski représentait Matchroom sur place et moi Groupe Yvon Michel.

À 11 h 55, cinq minutes avant l'ouverture des enveloppes, Daryl Peoples, président de la IBF, reçoit un appel d'Eddie Hearn, promoteur de Carl Froch. Il est sur la ligne avec Chris Meyer, le directeur général de Sauerland Events.

Ils confirment qu'ils viennent de conclure une entente pour une unification IBF et WBA avec l'autre champion Mikkel Kessler.

Comme la règle des associations prévoit qu'une unification doit prévaloir sur les obligatoires, Peoples a annulé l'appel d'offre sur le champ avec déception et consternation comme nous d'ailleurs.

Nous n'avons jamais su combien Matchroom avait misé, mais je ne crois pas qu'ils nous auraient battu.

L'IBF a par la suite adopté un nouveau règlement qu'ils ont appelé l'article Stevenson. Il est maintenant interdit de demander une unification pour empêcher un combat obligatoire à moins de cinq jours de l'appel d'offre.

On imagine quand même l'excitation qu'aurait créé ici un combat entre Stevenson et Froch surtout avec le succès de ce dernier sur les Québécois, au Stade olympique!

Froch devait unifier les titres en prenant la mesure du Danois Kessler par décision unanime à Greenwich, le 25 mai 2013, alors que 14 jours plus tard le 8 juin, Stevenson passait le K.-O. à Chad Dawson en 76 secondes au premier round pour lui ravir sa ceinture WBC des mi-lourds, sur HBO et débuter une série de 9 défenses consécutives sur 5 ans.

Bonne semaine!