Je n'ai pu faire autrement que de me poser cette question en lisant le long article de Marc Ranger, intitulé :«Que désire Eric Lucas?». Non seulement notre historien de la boxe pose-t-il la question, mais il prétend y répondre. Je tiens Marc Ranger pour un authentique passionné de boxe. Il s'est bâti une solide culture historique du noble art.

Il aime la boxe et il admire sincèrement les boxeurs. Malheureusement il vient encore une fois de nous faire la démonstration qu'il ne comprend guère, excusez le terme anglais, la «business» de la boxe. Ce n'est pas en soi un péché, ni même un défaut. Ce qui est contrariant par contre c'est lorsqu'il se permet de faire la leçon et de prétendre lire dans les pensées d'Éric Lucas.

Mettons nous d'accord sur un point. Éric Lucas n'a jamais craint de relever un défi. Aucun boxeur de sa division ne le fera reculer. Il mettra son titre en jeu contre n'importe quel aspirant. Il ne faut toutefois faire preuve d'angélisme comme le fait notre chroniqueur. Éric Lucas affrontera Joe Calzaghe lorsque les conditions seront réunies. Autrement dit «show me the money!». Si on admet tous que le risque est grand, le corollaire est que la bourse doit être en conséquence. Or à partir d'un canard lancé sur les files de presse par Frank Warren, promoteur de Joe Calzaghe, notre chroniqueur, tout excité, en a conclu que seul un combat contre le gallois assurerait «une bourse digne de ce nom» à Éric Lucas. Marc Ranger parle de ce qu'il ne connaît pas et ne comprend de toute évidence pas quand il aborde cette question. Éric est actuellement un des super-moyens qui a fait les meilleurs bourses depuis un an. Cette division est loin d'être la plus payante, mais Éric tire fort bien son épingle du jeu. On peut mettre sur le compte de la naïveté la théorie de Ranger. La vérité est que non seulement jamais le promoteur anglais n'a fait de proposition sérieuse à Yvon Michel, mais ce dernier a appris sur InterNet comme tout le monde que Lucas était supposément un adversaire potentiel sérieux pour le mois d'août. À lire la dépêche c'état pratiquement une affaire réglée. Pourtant dans la réalité on est bien loin du compte.

Dans sa chronique et c'est devenu une obsession, Marc Ranger nous brandit encore Ring Magazine Il nous rappelle à chaque fois que c'est la «bible» de la boxe. Marc Ranger semble ériger en dogme et en vérité absolu tout ce qui s'écrit dans ce magazine. J'ai quant à moi tendance à me méfier des «bibles» (et des corans) de tout acabit. Je n'aime pas la certitude des dogmes. Non pas que le vénérable magazine ne soit pas crédible, au contraire. Mais il n'a plus le monopole de la vérité en matière de boxe. L'avènement d'InterNet a permis une explosion des médias d'information et la diversification des opinions en matière de boxe. Des sites sérieux et crédibles comme par exemple MaxBoxing, Fightnews et Secondsout ont apporté de nouvelles perceptions sur le sport de la boxe. Or Fightnews et Secondouts classent Éric Lucas au quatrième rang des super-moyens, plutôt qu'au septième par Ring. C'est au moins aussi valable que Ring. La génération des Max Kellrman, si elle a fait son éducation avec Ring, ne craint pas de prendre ses distances. Même si le respect «la bible» est toujours là; on est croyant mais pas intégriste.

Dans la même veine c'est facile de parler d'unification. Marc Ranger nous ressert pour la Xieme fois sa diatribe sur les classements et les associations. Oui il y eu d'authentique champion à la WBO. N'empêche qu'un réseau comme HBO ne prononce jamais ces trois lettres. Jusqu'à démonstration du contraire, HBO est un joueur important dans la business de la boxe. Nassem Haned a renoncé à ce titre et Wladimir Klitschko en fera autant quand les choses deviendront sérieuses pour lui. Ce qui n'enlève rien au mérite de Calzaghe. Mais depuis quelques années la WBC ne reconnaît pas les combats d'unification avec la WBO. Éric ne renoncera pas à un titre plus prestigieux, quoiqu'en dise notre chroniqueur, pour se présenter en aspirant devant Calzaghe. Ce dernier aurait pu orienter sa carrière pour aller chercher un des titres «qui comptent» pour les réseaux de télé. Il a fait un autre choix. C'est donc à lui de se présenter en aspirant. «Show me the money», et c'est le champion qui a droit à la plus grosse bourse. En attendant que Frank Warren accepte ce fait ce sera difficile de s'entendre. À lire Ranger on devrait être assez bonasse pour laisser Warren dicter les conditions. Heureusement qu'il n'est pas le gérant d'Éric. C'est bien beau la noblesse des grand sentiments, mais la carrière d'un boxeur se gère dans la réalité et dans les meilleurs intérêts du boxeur. Notre devoir est de défendre becs et ongles les intérêts et privilèges de notre champion. Byron Mitchell? Il appartient à Don King. Avec les options qui infailliblement seraient sur la table lors des négociations, le risque serait grand qu'une partie de la carrière d'Éric se retrouve entre les mains de l'ineffable King. Est-ce là le vœu de notre chroniqueur? De toute façon qui veut voir boxer Mitchell? Sven Ottke? Marc Ranger l'a dit, il ne sort pas d'Allemagne. Pourquoi est-ce que ce serait à Éric d'aller se battre en Allemagne?

En lisant la chronique j'ai eu la désagréable impression qu'Éric Lucas devrait pratiquement s'excuser pour ses défenses de titre. Bien sûr les puristes peuvent faire la fine bouche au sujet de Thobela et Paz. Je rappelle que Thobela était une défense obligatoire. Lorsque Éric a affronté Vinny Paz c'est parce que l'offre mis sur la table par son promoteur était la meilleur, la plus avantageuse pour Éric. Il n'a pas à s'excuser. Éric a trimé dur pour arriver là où il est. C'est un athlète intègre, c'est lui qui prend les coups sur le ring, c'est lui qui risque sa santé contre ses adversaires. Il a le droit de rentabiliser son titre. Malgré ce que prétend incorrectement Marc Ranger, il a fait et il fera encore des «bourses digne de ce nom», avant de monter sur le ring pour LA grosse bourse, contre Calzaghe, Hopkins, Jones ou tout autre adversaire de renom.

Au de-là des envolés littéraires sur le désir profond du champion du monde (je persiste et signe) d'unifier la division et de faire sa place dans l'histoire, il y a la froide et dure réalité du sport professionnel. Éric Lucas fera tout ce qu'il pourra, et il le fera avec toute la rigueur qu'on lui connaît, pour unifier le titre des super-moyens. Mais en homme intelligent et réfléchi, il ne le fera pas à n'importe quelles conditions pour faire plaisir à quelques puristes et quelques bonzes de «la Bible». Il le fera méthodiquement en préparant bien le terrain en conformité avec ce qu'il est et par respect pour ces milliers de québécois de tous âges à qui il a fait aimer la boxe et qui sont devenus ses fans.