L'ère des revanches
COLLABORATION SPÉCIALE
Les combats pour une revanche sont à l'honneur ces temps-ci, bien plus que par temps normal. Beterbiev/Bivol II a été confirmé cette semaine comme annoncé ici la semaine dernière, Usyk/Fury II arrive dans quelques semaines.
De plus en fin de semaine on en retrouve 3, Navarrete/Valdez II, Espinoza/Ramirez II et Rozicki/Peralta II. Je ne me souviens pas d'une période dans l'histoire récente de la boxe aussi faste sur ce plan, dans un aussi court laps de temps.
Il n'y a rien de plus excitant dans ce sport, pour le public, que de permettre aux belligérants une opportunité de rédemption ou de confirmation quand le résultat est partagé dans l'opinion populaire et encore plus si on a le privilège de se rendre à une trilogie alors là on est au paradis.
La majorité des sports sont organisés en calendriers ou en tournois et des opportunités d'affrontements entre 2 mêmes équipes ou deux mêmes athlètes sont monnaie courante. D'ailleurs on adore les rivalités naturelles comme les Canadiens face aux Maple Leafs, les Lakers contre les Celtics, les Red Sox contre les Yankees ou encore Ohio State contre Michigan au football universitaire.
En sport individuel, on a eu les nombreux matchs épiques qui ont opposé Arnold Palmer face à Jack Nicklaus, Chris Evert devant Martina Navratilova, Jimmy Connor contre John McEnroe, Jacques Villeneuve et Michael Schumacher.
À la boxe, ce n'est pas aussi simple et on ne peut pas mutuellement s'affronter des dizaines de fois dans toute une carrière. Quand les critères sont respectés, on réussit à obtenir un combat revanche parfois deux, mais rarement davantage.
Il fut un temps où dès qu'un combat avait été prisé dans l'intérêt populaire c'était automatique, on organisait combat revanche. Il y en a eu à profusion, c'était juste une normalité et non quelque chose de spécial. Les trilogies aussi étaient nombreuses. On commençait à parler de rivalités naturelles à compter de 4 affrontements entre deux boxeurs.
Sugar Ray Robinson (174-19-6, 109 K.-O.) a affronté 4 fois (4-0) Bobo Olson (97-16-2, 46 K.-O.) et Jake Lamotta (83-19-4, 30 K.-O.) à 6 reprises (5-1), et ce n'est même pas un record. Lamotta devait même déclarer : « Les 3 boxeurs les plus difficiles que j'ai rencontrés dans ma carrière sont Sugar Ray Robinson, Sugar Ray Robinson et Sugar Ray Robinson. »
Archi Moore (186-23-1-, 132 K.-O.) a défié Harold Johnson (76-11, 31 K.-O.) 5 fois (4-1) et Jack Chase (81-24-12, 35 K.-O.) 6 fois (1-4-1).
Ezzard Charles (95-25-1, 52 K.-O.) a rencontré Jimmy Bivins (86-25-1, 31 K.-O.) et Joey Maxim (83-29-4, 22 K.-O.) 5 fois (4-1 et 5-0) chacun et Jersey Joe Walcott (49-20-1, 31 K.-O.) 4 fois (2-2).
Mais le roi incontesté des combats avec revanche est le « Pittsburg Windmill » Harry Greb (108-9-3, 49 K.-O.) qui a rivalisé avec Tommy Loughran, (90-25-10, 14 K.-O.) Gene Tunney (65-1-1, 48 K.-O.) et Batling Levinsky (72-20-15, 31 K.-O.) 6 fois chacun (4-1-1, 0-5-1 et 6-0) et à 7 reprises contre Jeff Smith (88-12-3, 48 K.-O.) (6-0-1), c'est ça le record pour des combats qui sont légitimement sanctionnés.
Dans les temps modernes, heureusement, on a dramatiquement baissé la cadence des combats et si dans le passé les boxeurs pouvaient combattre sur le ring de 100 à 200 fois dans une carrière, aujourd'hui, seulement quelques-uns se rendent jusqu'à 50 et souvent on ne se rend même pas à 30 pour toute une vie active. C'est une bonne chose pour la santé et la sécurité des participants.
Cependant, en même temps on a diminué d'autant les possibilités de combats pour une revanche et quand il y a eu une très grande rivalité entre deux pugilistes, on est chanceux d'assister à des trilogies, mais c'est devenu une rareté.
Dans les temps modernes, celles qu'on retient le plus sont les 3 (2-1) de Muhammad Ali (56-5, 37 K.-O.) contre Joe Frazier (32-4-1, 27 K.-O.), et Arturo Gatti (40-9, 31 K.-O.) (2-1) contre Micky Ward (38-13, 27 K.-O.),
Il y a également les combats suivants qui sont dignes de mention, Éric Morales (52-9, 36 K.-O.) face à Manny Pacquiao (68-8-2, 39 K.-O.) (1-2) et Marco Antonio Barrera (67-7, 44 K.-O.) (1-2).
Bonne mention aussi à Evander Holyfield (44-10-2, 29 K.-O.) devant Riddick Bowe (43-1, 33 K.-O.), (1-2) et Tyson Fury (34-1-1, 24 K.-O.) contre Deontay Wilder (43-4-1, 42 K.-O.) (2-0-1).
Chez nous au Québec, les trilogies ont été vraiment rare et en 60 ans de boxe on en retient 3 en particulier qui ont totalement captivé l'intérêt des fans de boxe du Québec et qui font bande à part dans l'imaginaire.
Robert Cléroux contre George Chuvalo
Peu s'en souviennent, mais on a eu au Québec un boxeur poids lourds, Robert Cléroux (47-6-1, 37 K.-), qui dans les années 1950-1960 était classé mondialement et combattait contre l'élite internationale avec beaucoup de succès comme en font foi ses affrontements contre d'autres aspirants mondiaux avec les Cleveland Williams, Zora Folley, Tom McNeeley, Alex Miteff ou Willi Besmanoff.
Il est même fort étonnant qu'il n'ait jamais obtenu une chance en championnat du monde durant ses 12 ans de carrière.
À la même époque un autre poids lourd canadien, le Torontois George Chuvalo (73-18-2, 64 K.-O.) gravitait lui aussi avec l'élite mondiale de la division reine en boxe professionnelle.
Les deux étaient à peu près du même âge, Cléroux né en 1938 a entrepris sa carrière professionnelle en 1957 et Chuvalo né en 1937 est arrivé chez les pros l'année précédente. Il était écrit dans le ciel que leur chemin devait se croiser.
La première confrontation a eu lieu en août 1960 au Stade De Lorimier à Montréal devant plus de 18 000 spectateurs et le Québécois est vainqueur par décision partagée en 12 rounds.
On remet ça 3 mois plus tard en novembre au Forum de Montréal et c'est Chuvalo qui domine par décision unanime.
C'est donc 1-1, il faut départager, la foule en redemande et on remplit à nouveau le Stade De Lorimier en août 1961. Dans un combat serré et enlevant, c'est le Beu de L'Abord-a-Plouffe qui lève le bras vainqueur par un verdict partagé des juges.
On peut vraiment dire que les 2 bagarreurs étaient sensiblement du même niveau avec une petite coche en faveur du québécois cependant c'est le torontois qui va éventuellement obtenir des invitations en championnat du monde contre Ernie Terrell pour le titre WBA en en 1965 et Muhammad Ali pour la ceinture WBC en 1966, tous deux disputés au Maple Leaf Garden de Toronto, des défaites par décision pour le héros local.
Fernand Marcotte contre Eddie Melo
On l'appelait l'Ouragan et il est vrai qu'Eddie Melo (32-9-2, 27 K.-O.) a passé en coup de vent au Québec, mais durant son passage, il a généré des passions et de l'intérêt phénoménaux.
Il n'avait que 18 ans la première fois qu'il a été opposé au solide vétéran de Québec Fernand Marcotte (51-14-4, 32 K.-O.), 29 ans, en octobre 1978. Le combat a eu lieu à l'auditorium de Verdun parce que Melo était trop jeune pour que le combat soit approuvé par de la commission athlétique de Montréal. À cette époque, il n'y avait pas de RACJ provinciale, et à Verdun il n'y avait pas de contraintes quelconques.
Le combat a rempli ses promesses. Melo est sorti en force et a dominé les premiers rounds, mais Marcotte en avait vu d'autres et a dominé dans la deuxième partie des 10 rounds du combat. Le verdict; une décision partagée pour la jeune coqueluche des Montréalais.
L'un des juges, Marcel Lavigne qui avait un pointage de 47-46 pour Melo s'est fait attaquer par le père et entraineur de Marcotte, une droite solide sans avertissement en plein visage et 2 dents qui font de la voltige.
Le combat revanche survient 8 mois plus tard au Forum de Montréal rempli à capacité. Je me souviens, j'y étais en haut près du toit. Cette fois-ci le combat reçoit les bénédictions requises.
Le combat est sur 12 rounds en juin 1979 et sur insistance du clan Marcotte. C'est ce qui fera la différence, Melo qui n'a pas encore 19 ans manque d'énergie dans les 2 derniers rounds, visite même le plancher et doit s'avouer vaincu par décision majoritaire, mais une solide performance des 2 belligérants.
Ils sont à nouveau sollicités pour faire un maitre le 20 juin 1980 en préliminaire du plus grand événement de boxe de l'histoire du Québec, « The Brawl in Montreal », Sugar Ray Leonard contre Roberto Duran au Stade olympique devant 40 000 spectateurs.
Entre ce combat et le précédent Melo est remonté sur le ring 7 fois, 2 défaites dont l'une est plus particulièrement difficile, un K.-O. au 11e pour le titre canadien des mi-lourds contre Gary Summerhays.
Marcotte, lui, n'a livré qu'un combat dans l'intervalle, une défaite contre Ralph Hollet par décision à Halifax en janvier 1980.
Melo n'est plus considéré comme un surdoué exceptionnel et on a bien vu ses limites. Le combat a de l'intérêt, mais ce n'est pas la grande ferveur comme les deux premières fois. Le combat va se conclure par un verdict nul qui a laissé le public sur son appétit. On ne fera donc pas de maitre après 3 affrontements c'est 1-1-1.
Stéphane Ouellet contre Dave Hilton Jr.
Stéphane Ouellet (29-6, 18 K.-O.) représente le renouveau de la boxe locale avec des ambitions illimitées. Dans une de ses déclarations candides, il a dit qu'il avait l'intention de faire le ménage au Québec puis s'attaquer à l'élite mondiale.
À son actif, il a déjà des victoires par K.-O. contre Alain Bonnamie (21-9-3, 12 K.-O.) et Alex Hilton (37-11, 23 K.-O.) à deux reprises. Il est également l'aspirant WBC et WBO no 1.
Dave Hilton Jr (41-2-2, 26 K.-O.) a quant à lui participé à une trilogie contre Alain Bonnamie sans faire un vainqueur (1-1-1), il a 35 ans et ses grandes années de gloires où tous les espoirs étaient permis sont derrière lui.
C'est à la suite de la deuxième défaite de son frère, en avril 1998, face au Jonquiérois qu'il manifeste ses intentions de venger la famille.
Le premier rendez-vous a lieu devant près de 16 000 spectateurs au Centre Molson de Montréal le 27 novembre 1998. On a tous les éléments pour une mobilisation populaire générale. La nouvelle génération contre la traditionnelle, Français contre Anglais, jeune espoir contre un vétéran aguerri, 2 talents exceptionnels. Les avis comme les allégeances sont extrêmement partagés.
De plus la télévision américaine, le réseau ESPN2 a acquis les droits de présentation du combat, le duel dépasse nos frontières.
Après 11 rounds Teddy Atlas, le commentateur d'ESPN arrive 8-2-1 dans les rounds, en faveur du francophone, mais Hilton est dangereux lors de chaque round. À 20 secondes de la fin, Ouellet est pris dans le coin et se fait frapper solidement ce qui incite l'arbitre à mettre fin aux hostilités, Hilton l'emporte par TKO au 12e.
On organise un combat revanche 6 mois plus tard, le 28 mai 1999, mais visiblement Ouellet n'a pas récupéré mentalement de la première défaite et il est défait en trois petits rounds sans offrir beaucoup d'opposition.
Cette défaite va hanter constamment le vaincu et après 3 victoires consécutives il considère qu'il a fait son purgatoire et il insiste pour une autre chance.
Entre-temps, Hilton a remporté un combat et se prépare à un affrontement majeur contre le coéquipier et grand ami de Ouellet, Éric Lucas (39-8-3, 15 K.-O.) avec à l'enjeu la position d'aspirant obligatoire des 168 livres de la WBC, au Centre Bell le 8 septembre 2000.
Un mois avant la date prévue, Lucas se blesse à la main droite et doit déclarer forfait. Ouellet est déjà en préparation puisqu'il fait partie des combats préliminaires.
On offre à Hilton la même bourse que prévu contre Lucas pour « la Belle » contre Ouellet et il accepte. C'est de cette façon qu'on a organisé le Ouellet/Hilton III.
Devant encore plus de 16 000 spectateurs, qui verront en combat principal la seule présence de toute la carrière professionnelle d'Arturo Gatti au Québec, Stéphane Ouellet exécute son plan de match à la perfection, livre la meilleure performance de sa carrière et déclasse complètement son Némésis pour obtenir une décision unanime des juges.
Ce sera la dernière victoire en carrière pour le surdoué du Saguenay, il ne trouvera plus jamais l'inspiration requise pour étaler son immense talent et terminera sa carrière avec 3 défaites consécutives.
Hilton, lui, obtiendra 3 mois plus tard un combat de championnat du monde pour le titre WBC des super moyens contre le Sud-Africain Dingann Thobela qu'il remportera par décision partagée au Centre Bell.
Il deviendra ainsi le premier champion du monde de l'histoire de la compagnie de promotion InterBox. Par la suite il ne remontera sur le ring qu'une seule fois 7 ans plus tard, une victoire contre Adam Green pour conclure sa carrière.
Est-ce qu'on verra à nouveau une trilogie semblable au Québec, c'est à souhaiter, puisque ceux-ci débordent généralement du cadre des fans de boxe et attisent un intérêt majeur auprès de toute la population qui profite à toute l'industrie et ses participants, à tous les niveaux. Cependant je ne vois rien à l'horizon qui pourrait nous amener dans cette direction.
Des trilogies internationales en vue?
Alors dans les prochaines semaines, à compter d'aujourd'hui nous allons assister à 5 combats intéressants pour des revanches, mais il y en a deux entre autres qui ont un potentiel de marquer l'histoire et établir de nouvelles trilogies et ce sont les Fury/Usyk II ainsi que Beterbiev/Bivol II.
On aura le temps d'en reparler bientôt.
Bonne boxe et à la semaine prochaine!