Depuis le coup de poing parfait d’Adonis Stevenson samedi soir, c’est un peu comme si l’on vivait des moments parfaits l’un après l’autre.

J’ai déjà vu un film qui s’appelle The Perfect Storm et on dirait que nous avons assisté à The Perfect Punch. C’est vrai que le combat n’a pas duré longtemps. Je vais paraphraser Mark Taffet, un dirigeant de HBO, pour résumer ce qui est arrivé. Sur le ring, il m’a dit : « Ce qui vient de frapper Chad Dawson, c’est un éclair venu directement du pontife. »

Je vous rappelle que ce n’est pas moi qui parle, mais ce représentant de HBO en extase me disait que le seul comparatif qu’il pouvait me donner était Mike Tyson ou pour être plus précis, le « Mike Tyson des mi-lourds ».

Quelques secondes après la victoire, j’étais sur le ring et je regardais pleurer Adonis, son entraîneur Jayvan Hill, Michael Buffer, Jim Lampley (HBO), Alexandra Croft (GYM), la coordonnatrice de réalisation et Max Kellerman - l’animateur ému de HBO - est descendu sur ses genoux pour continuer son entrevue…

Je me disais que c’était trop beau pour être vrai comme scène.

Jim Lampley rappelait avec tellement de justesse que la télévision ne sert pas seulement à diffuser des choses spectaculaires, mais aussi à faire vivre des émotions. Je peux vous assurer que les 6336 spectateurs présents ont justement vécu des sensations intenses. Même si le combat n’a duré que 76 secondes, les émotions ont duré très longtemps. Après le gala, les gens me parlaient dans la rue à quel point c’était fort comme sentiment. Ils disaient que les 76 secondes valaient n’importe quel combat qu’ils avaient vu.

Après le combat, Mark Taffett ne me lâchait plus sur le ring, il répétait que GYM et HBO venaient de frapper le gros lot. Après la conférence de presse, j’avais déjà un message de leur part et j’ai finalement rencontré deux dirigeants de HBO à deux heures du matin dans un restaurant.

Dimanche soir, le président de HBO m’a même appelé pour être certain qu’une rencontre ait lieu cette semaine en insistant sur tout ce que son réseau pouvait accomplir pour Adonis.

Le superbe parcours s’est poursuivi lundi matin quand nous avons fait une tournée médiatique. Quand nous sommes venus pour traverser la rue René-Lévesque, un camionneur a fait retentir son klaxon et il a baissé sa vitre en criant : « Tabar…, c’est le champion ! ».

Tout de suite après, une voiture de police s’est arrêtée après pour le féliciter. C’est simple, nous n’étions pas capables de traverser la rue. Tout le monde voulait le voir. Depuis sa victoire, on reçoit des demandes d’entrevues de partout! C’est normal de recevoir celles des médias traditionnels, mais on reçoit pratiquement autant de demandes de médias anglophones.

Quand j’ai rencontré Adonis avant sa première entrevue, il m’a serré dans ses bras en me disant : « Yvon, peux-tu imaginer que je suis le champion du monde? » C’est vraiment spécial quand on songe à son histoire puisqu’il a pris les moyens pour se sortir d’une vie difficile.

C’est fascinant aussi de constater l’impact positif de sa préparation. Adonis peut te raconter toutes les 76 secondes en détail. Ce n’était pas une gauche lancée à cet endroit par hasard, ce coup avait été pratiqué à répétition à l’entraînement. Il peut également te décortiquer comment il a réfléchi durant le combat avec les feintes effectuées, la gauche lancée par-dessus préalablement pour voir sa réaction…

Dans la vie, quand on traverse des malheurs, on essaie de ne pas trop se laisser abattre et on tente de ne pas trop s’emporter dans les grands bonheurs. Mais je t’avoue que c’est très difficile avec tous les témoignages que nous recevons.

À ce sujet, Adonis me montrait son téléphone parce qu’il n’est plus capable de fournir. Il a répondu à environ 500 courriels et il n’avait pas encore lu 1400 autres courriels sans compter des centaines de messages texte.

Bref, c’est bien au-delà de ce que nous aurions pu imaginer comme meilleur scénario parce qu’on pense toujours au meilleur et au pire dénouement quand on organise un gala.

Malgré son âge, Stevenson n’est pas usé

Avant d’anéantir Dawson, on parlait souvent du fait que le temps pressait pour Adonis à 35 ans. Par contre, son plus grand avantage s’avère de ne pas être usé par les rigoureux efforts de la boxe professionnelle. Normalement, une carrière de boxe est surtout basée sur un nombre d’années que l’âge d’un athlète.

Pour une carrière qui fonctionne bien à l’international, on parle souvent d'environ 10 à 12 ans, ce qui explique que certains athlètes sont épuisés quand ils franchissent la trentaine en raison d’un succès hâtif. Dans son cas, Adonis a commencé ce mode de vie à 29 ans.

Ensuite, les amateurs sont souvent en extase devant des jeunes de 21-22 ans qui deviennent des champions du monde (Matthew Hilton, Fernando Vargas, Juan Diaz), mais combien parmi eux ne peuvent tenir le rythme à 28-29 ans car ils n’ont pas été en mesure de gérer leur nouvelle notoriété, l’argent ou les nouvelles relations. Ça reste à prouver, mais je sens une maturité et une sagesse chez Adonis à 35 ans pour composer avec cela.

Mais ce n’est pas tout, son entraîneur me disait même qu’il existe encore un bon pourcentage d’amélioration possible dans son cas. Il y avait un monde de différence dans son exécution au niveau de son jeu de pieds et sa vitesse d’explosion quand il a frappé Dawson comparativement à sa victoire aux dépens d’Aaron Pryor Jr. C’est après ce triomphe qu’il a souhaité affronter Lucian Bute.

Quand il est arrivé à Montréal avec son poulain, l’entraîneur d’Adonis m’avait dit que je serais impressionné par sa progression. Je lui avais répondu que ça serait difficile parce que j’avais tellement d’attentes, mais il a réussi sa mission.

Un support vraiment apprécié

Inévitablement, les amateurs de boxe se demandent où situer ce K.-O. parmi ceux accomplis dans l’histoire récente de la boxe québécoise. Bien sûr, je ne veux rien enlever à Adonis, mais je place son K.-O. juste une petite coche sous celui d’Éric Lucas contre Glenn Catley. Il faut penser que je connais Éric depuis qu’il a 11-12 ans et je me suis dirigé en boxe professionnelle en raison de Stéphane Ouellet et lui.

InterBox est arrivé, puis Éric est allé chercher le championnat du monde alors que personne ne le voyait venir. J’ai vécu des émotions incroyables à ce moment et c’était comparable samedi soir.

Cette victoire de Lucas a aussi changé la face de l’industrie de la boxe et celle de Stevenson a le potentiel pour le faire. Éric a propulsé la boxe québécoise à un autre niveau et Adonis pourrait le faire.

Bien sûr, le scénario aurait été complètement différent si Adonis s’était incliné. Je n’ai pas caché que nous avions risqué beaucoup sur ce combat, mais on avait réfléchi aux risques d’une défaite.

Un écrivain français, Nicolas Boileau, a déjà dit : « Sur le métier, 20 fois vous remettrez votre ouvrage ». Bref, ça veut dire qu’il aurait fallu qu’on recommence en quelque sorte. Même si on a confiance aux (David) Lemieux, (Eleider) Alvarez et (Kevin) Bizier. On a aussi mis (Artur) Beterbiev sous contrat ce qu’on n’aurait pas fait si on avait cru que l’entreprise fermerait ses portes en cas de défaite d’Adonis. On aurait recommencé, mais en traversant des périodes difficiles avant de refaire surface avec un autre champion du monde.

Il faut rappeler qu’on a vécu deux années sans champion et on vient de traverser une année particulièrement éprouvante avec annulation par-dessus annulation et blessure par-dessus blessure (Lemieux, Pascal, Adonis). Ce fut une année pénible, mais on se serait retroussé les manches et nous aurions continué. Tout de même, on aurait vécu une période plus sombre et plus difficile.

En terminant, je voulais dire que j’ai ressenti quelque chose de très spécial pour la première fois. On sentait que tout le monde était derrière Adonis et nous. Bien sûr, c’est normal quand on pense aux gens de notre entourage et nos partenaires, mais toute la communauté voulait qu’on réussisse et qu’Adonis l’emporte.

Je n’avais jamais senti une mobilisation commune comme celle-ci soit pour continuer de promouvoir la boxe de haut ou s’assurer de la santé de GYM. C’était la première fois que je ressentais autant de support autour de nous. En fait, c’est devenu un baume qui nous aidait à avoir plus d’énergie même si c’était difficile de faire tout ce qu’il fallait pour que ce soit un succès.

Je peux vous dire que les 6000 personnes présentes nous ont donné énormément. Ils ont réagi comme une foule de 20 000 personnes donc chapeau à tout le monde pour ça. C’est comme si la communauté de la boxe s’était mobilisée dans un même but et c’est extraordinaire!

*Propos recueillis par Éric Leblanc.