MONTRÉAL - Firas Zahabi admet qu'il aura un petit pincement au coeur samedi soir lorsqu'il verra la ceinture qui a fait la fierté de son gymnase pendant plus de cinq ans passer dans un autre camp en finale du UFC 171.

Mais l'entraîneur en chef du Tristar Gym attend tout de même avec impatience le duel entre Johny Hendricks et Robbie Lawler, deux combattants qu'il a minutieusement étudiés au cours de la dernière année.

À l'automne, Zahabi a concocté un plan de match qui a permis à Georges St-Pierre d'arracher une décision controversée face à Hendricks en plus de superviser la préparation de Rory McDonald, qui s'est éventuellement incliné en trois rounds face à Lawler. Ce soir, l'un de ces deux mi-moyens qui ont donné tant de fil à retordre à l'équipe montréalaise tirera un trait définitif sur l'ère GSP, qui a volontairement délaissé son titre un mois après l'avoir défendu pour la neuvième fois consécutive, en prenant possession d'une ceinture qui quittera le Québec pour la première fois depuis 2008.

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Hendricks, que plusieurs observateurs voyaient gagnant contre St-Pierre, est considéré comme le favori pour passer au sommet de la chaîne alimentaire de la nouvelle division des 170 livres. Dans un face-à-face opposant deux belligérants dont la force de frappe inspire les plus originales allégories, on s'attend à ce que les talents de lutteur de « Bigg Rigg » lui permettent de neutraliser la principale force de son rival.

Un instant, intervient toutefois Zahabi.

« Je ne suis pas si sûr que Robbie sera facile à garder au sol. C'est sûr que Hendricks possède une meilleure lutte, mais l'avantage revient à Lawler au niveau du jiu-jitsu. La bataille n'est pas si inégale qu'elle en a l'air. »

Il y a aussi l'alléchante possibilité que ni l'un, ni l'autre des deux aspirants ne soit intéressé à se lancer dans une guerre stratégique. Entre se casser la tête et risquer de se casser la gueule, une petite balade dans le passé nous fera réaliser que Hendricks (8 K.-O. sur 15 victoires) et Lawler (18 K.-O. sur 22 victoires) - surtout lui, en fait - ont souvent tendance à favoriser la deuxième alternative.

Mais Zahabi décèle des enjeux stratégiques même dans le scénario le plus simpliste.

« D'après moi, le premier qui va y aller pour le K.-O. a besoin de ne pas manquer son coup, parce qu'il risque de ne pas s'en remettre. Les deux gars ont un style qui demande beaucoup d'énergie et s'ils épuisent trop de réserve en partant, ça pourrait ne pas pardonner. »

« En fait, c'est ça ma prédiction. Le premier qui vise le circuit et qui s'élance dans le vide va perdre le combat », se mouille le savant de la rue Ferrier.

« Personne ne veut laisser son sort dans les mains des juges, mais c'est important d'avoir les ressources pour bien finir un combat si ça se rend à la limite. C'est ce qui a permis à Georges d'enlever le cinquième round et de demeurer champion contre Hendricks. C'est aussi ce qui a failli coûter cher à ce dernier contre Carlos Condit. Je crois que si ces deux-là s'étaient affrontés dans un combat de championnat, Condit l'aurait emporté », rappelle Zahabi en guise de mise en garde envers le barbu du Texas.

En bas de la ceinture

À une semaine de son 32e anniversaire de naissance, Lawler revient de loin et la nébulosité que recèlent les nombreux détours de son parcours sinueux ajoute à la fascination qui entoure son ascension aux portes du firmament de son sport.

Après avoir effectué sept combats en l'espace de deux ans au sein du UFC au début de la vingtaine, celui qu'on surnomme "Ruthless" est parti en exil dans des organisations de deuxième ordre. Dur cogneur dont l'étique de travail a longtemps été remise en question, il a éventuellement émergé chez Strikeforce où, à l'heure des bilans, il montrait une fiche ordinaire de 3-5 lorsque la compagnie a été rachetée par Zuffa, la grosse machine qui contrôle également le UFC.

Lawler s'est servi de ses trois combats de retour pour faire son chemin dans l'une des divisions les plus compétitives de l'empire de Dana White. Josh Koscheck et Bobby Voelker ont payé le prix exigé par ses deux poings sans avoir le temps de demander leur monnaie. McDonald, lui, a rencontré un adversaire féroce, mais muni d'une forme de patience aussi sage qu'insoupçonnée. Contre le jeunot qui étaient vu comme le digne successeur de St-Pierre, son mentor et ami, Lawler a obtenu sa première victoire par décision en une décennie.

Zahabi, qui assistera sur place à la carte principale du UFC 171 après avoir travaillé dans le coin de son jeune élève Alex Garcia, s'attend à voir un Robbie Lawler tout aussi méthodique dans son combat de championnat.

« Je m'attends à ce qu'il utilise la même stratégie », admet-il lorsqu'on lui parle d'abord des nombreux coups de pieds que Lawler a dirigés vers les cuisses et les mollets de McDonald. « Pourquoi? Parce que pour un gars tout en puissance comme Hendricks, tout part des jambes, des attaques de la main arrière aux tentatives d'amenées au sol. Plus Robbie saura viser efficacement les jambes de Hendricks, plus il diminuera l'explosion de ses mouvements. »

Et de l'autre côté, « une chose que je vais surveiller, ce sont les coups de genoux volants de Hendricks. Il nous a surpris avec ça lors de son combat contre Georges et je crois que c'est une arme qu'il pourrait ressortir si Robbie fait une erreur en lançant un coup en puissance », ajoute l'entraîneur d'expérience.

Voilà pour l'arme secrète de Hendricks. Celle-là l'est beaucoup moins : sa main gauche. C'est avec elle qu'il a déjà activé, en des délais respectifs de 12 et 46 secondes, l'interrupteur qui amenait la lumière au cerveau de Jon Fitch et Martin Kampmann. Le Texan est un lutteur de catégorie supérieure, sauf que si vous lui donnez le choix, c'est avec ses jointures qu'il vous enverra à l'horizontale.

Mais Lawler aussi, on ne vous l'apprend probablement pas, est gaucher. La précision mérite une mention, du moins dans une conversation avec Zahabi.

« Ça peut créer des ouvertures et je me demande si ça ne peut pas être un désavantage pour Johny, soulève le chef de bande de l'un des gyms d'arts martiaux mixtes les mieux cotés en Amérique du Nord. Quand on a étudié ses vidéos pour préparer Georges, on s'est rendu compte qu'il avait eu beaucoup de difficulté contre Rick Story, un gaucher qui lui a infligé la seule autre défaite de sa carrière. Ce n'est pas impossible que l'histoire se répète. »

Ensuite, à qui le tour?

Avant même que Hendricks et Lawler n'en découdent, le portrait de la division des mi-moyens se sera quelque peu clarifié avec, notamment, la tenue d'un affrontement entre deux gros noms qui militent pour la même place à l'extrémité de la file d'attente qui mène à un combat de championnat.

Carlos Condit croit qu'une victoire contre Tyron Woodley lui permettrait de convoiter légitimement une revanche contre Hendricks et/ou deuxième chance de porter à sa taille le corset doré du UFC.

Condit, qui avait failli surprendre GSP en 2012 au Centre Bell, n'a perdu que contre la crème depuis bientôt quatre ans. Mais malgré son parcours presque sans faute, Zahabi n'est pas prêt à lui concéder la victoire face à un adversaire qu'il croit bâti sur mesure pour contrer son style.

« Il a été démontré que Condit se défend mal contre les bons lutteurs qui peuvent l'amener au sol et le garder là pendant quelques minutes. Dans un combat de cinq rounds, j'aurais plus de facilité à le favoriser parce que les dix minutes supplémentaires sont très exigeantes pour un lutteur. Sur trois rounds, par contre, je crois que Woodley aura plus de facilité à imposer son style. Mais peut-être que Condit a corrigé ce petit défaut, par exemple... »

Et après? Il est bien connu que Rory McDonald, le nouveau poulain cinq étoiles de Zahabi, mène de façon entêtée une campagne pour la chance de se battre pour la ceinture. Ils sont nombreux, par contre, à croire que sa récente victoire contre Demian Maia ne lui confère présentement pas suffisamment d'arguments pour être un joueur sérieux à la table des débats.

« C'est vrai qu'il y a de nombreux candidats, mais on trouve que plusieurs des gars qui sont dans le portrait ont déjà eu leur chance, fait valoir Zahabi. Condit s'est déjà battu pour la ceinture, par exemple. Jake Shields aussi. On ne sait jamais, ça peut dépendre de bien des facteurs, mais peu importe, Rory va continuer de faire ses affaires et à travailler fort pour être prêt quand on lui fera signe. »