MONTRÉAL – C’était clair à chaque fois qu’elle embarquait sur la pesée à la veille d’un combat. Les joues creuses, le sourire forcé, les côtes saillantes. Valérie Létourneau n’était vraiment pas à sa place dans la division des poids pailles de l’UFC.

Mais l’histoire était toujours la même. Trop menue pour rivaliser avec les meilleures à 135 livres, elle s’imposait une cure minceur extrême pour abaisser son poids à 115 livres. La diète était pénible – elle qualifie même la plus récente d’« un peu dangereuse » - et la récupération ne lui permettait pas de se faire réellement justice une fois l’heure du combat sonnée.

La solution était évidente. Dans un monde idéal, l’UFC devait se doter d’une division médiane avec une limite de poids établie à 125 livres, mais la faible profondeur de son bassin de combattantes, disait-on, ralentissait l’exécution du projet.

Eh bien ce projet, il a finalement été entamé. À quelle vitesse sera-t-il développé? Personne n’en est encore trop certain. Mais depuis qu’on lui a offert le premier combat de poids mouches de l’histoire de la branche féminine de l’UFC, Létourneau vit dans son monde idéal.

« Quand mon gérant m’a appelé pour me dire ça, j’ai répondu : "Signe-moi ça tout de suite!" Cette chance-là, c’est probablement le plus cadeau que l’UFC pouvait me faire », laisse tomber la Québécoise sur un ton presque soulagé.

« Je peux enfin me concentrer sur mon entraînement dans un souci de performance, ajoute-t-elle. À mes derniers combats, je devais me surveiller pour ne pas trop prendre de masse musculaire. Je devais faire du cardio à n’en plus finir après des entraînements qui étaient déjà très intenses. Même dans la semaine précédant le combat, qui est supposée être plus légère, ce n’était pas le cas. »

Létourneau (8-4) affrontera samedi soir à Ottawa l’Écossaise Joanne Calderwood (10-1). Il s’agira pour elle d’une première apparition dans l’octogone depuis sa défaite en combat de championnat du monde contre Joanna Jedrzejczyk, sa seule en trois sorties chez les poids pailles.

L’UFC est resté vague sur ses réelles intentions. Lorsque ce combat exceptionnel a été annoncé en avril, c’est exactement la forme sous laquelle il a été présenté : une exception. On s’est assuré de clarifier qu’il ne s’agissait pas du lancement officiel d’une nouvelle division. Aucun autre combat féminin de poids mouches n’a été annoncé depuis. Létourneau elle-même ne semble pas connaître les plans de ses patrons.

« Je pense honnêtement que l’UFC ne voulait plus que je descende à 115, suppose-t-elle. Ils m’ont parlé une couple de fois pour voir si je voulais retourner à 135, mais j’ai dit qu’il n’en était pas question. Je ne m’en irai pas faire le dummy pour ces filles-là, ce n’est pas vrai. Je suis rendue trop petite. »

Létourneau préfère se voir comme la pionnière d’une division sur laquelle elle a l’opportunité d’apposer son empreinte avant tout le monde. Quand l’UFC ira de l’avant avec une expansion de ses effectifs, une ceinture devra éventuellement être mise en jeu pour élire la reine de ce nouveau royaume. D’ici là, Létourneau fera tout en son pouvoir pour s’imposer comme une prétendante logique.

« C’est vraiment motivant pour moi. Dans la dernière semaine avant mon combat contre Joanna, je me rappelle que je disais à mes entraîneurs que j’irais chercher les deux ceintures. C’est déjà quelque chose que je visais. Je le sais que mes performances seront meilleures à 125, donc c’est sûr que ce combat est important pour moi. Je veux le gagner, je veux bien paraître. Je veux leur donner envie de créer la catégorie et prendre la place pour un éventuel combat de championnat. Ça serait le scénario parfait pour moi. »

La voix de Firas

Depuis qu’elle est arrivée dans les grandes ligues, Létourneau se disait qu’elle finirait bien par rencontrer Joanne Calderwood dans le détour.

« C’est une fille que je m’attendais à affronter à un moment ou un autre. J’ai beaucoup de respect pour elle. Je regarde ses combats, j’analyse ses combats. J’aime sa façon de se battre. Elle se présente toujours au rendez-vous et j’aime me battre contre des adversaires comme elle. C’est ce qui me motive. »

Ce qu’elle n’aurait pas pu prévoir, par contre, c’est qu’elle retrouverait une voix familière dans le coin de son adversaire. Au cours de la dernière année, Calderwood s’est greffée à l’ancienne équipe de Létourneau, celle du gymnase Tristar de Montréal. Elle y a passé trois mois l’hiver dernier, est retournée prendre une bouffée d’air frais de l’autre côté de l’Atlantique et est revenue pour s’attaquer à son prochain défi.

L’ironie est difficile à ignorer. Létourneau, qui représente maintenant American Top Team, à Coconut Creek en Floride, a justement quitté le Tristar parce qu’elle trouvait que l’absence de partenaires d’entraînement adaptés à ses besoins nuisait à l’épanouissement de sa carrière.

« Je ne vois pas ce qu’elle va apprendre en trois ou quatre mois là-bas que je n’ai pas appris en dix ans, réagit la combattante exilée. J’ai tellement été longtemps au Tristar, c’est un super gym! Mais j’ai évolué énormément depuis que je suis partie. Mon style a changé, je me suis améliorée sur plusieurs points. »

Le plus gros choc pour Létourneau sera d’entendre la voix de Firas Zahabi, l’entraîneur-chef du Tristar, crier ses consignes à la fille qui tente de lui mettre ses poings au visage.

« J’avoue que ça, ça va être bizarre, concède-t-elle en riant. Je suis tellement habituée à cette voix-là, elle ressort même chaque fois que j’écoute un gala à la télé. Je ne pense pas que je vais l’entendre plus que celle de mes gars de coin, mais je sais que je vais l’entendre. Ça va être une expérience! »