UFC : un combat à la fois pour Menjivar
AMM mardi, 26 avr. 2011. 01:29 mercredi, 11 déc. 2024. 19:20
MONTRÉAL - La vie est une série d'intersections qui vous laissent constamment confronté aux décisions qui définiront la suite de votre existence. Où seriez-vous aujourd'hui si vos choix antérieurs avaient été différents?
La question est fascinante, mais au fond impertinente. Au cours de sa carrière, un combattant d'arts martiaux mixtes ne rencontrera jamais d'adversaire plus intouchable que son propre passé.
Ivan Menjivar, même s'il n'est pas immunisé aux rêveries, l'a compris. C'est pourquoi il préfère se rallier au destin, qui l'a si bien guidé jusqu'ici, et laisser aux autres le soin de spéculer sur ce que l'avenir aurait pu lui réserver.
"S'il avait fait d'autres choix, assure toutefois son entraîneur et bon ami Stéphane Vigneault, il aurait pu devenir une aussi grosse vedette que Georges St-Pierre."
Menjivar n'a que 28 ans et pourtant, il est considéré comme un pionnier des arts martiaux mixtes au Québec. Il venait tout juste d'atteindre sa majorité lorsqu'il a fait ses débuts professionnels avec l'organisation provinciale UCC. Il avait déjà quatre combats à son actif lorsqu'on l'a envoyé dans l'arène pour le baptême de St-Pierre. Il s'est battu au UFC à 22 ans et est devenu le premier Québécois à aller pratiquer son sport au Japon.
Son combat contre Charlie Valencia samedi au UFC 129 sera le 30e de sa carrière et il espère qu'il en ressortira avec une 22e victoire. Son palmarès est impressionnant, mais il pourrait l'être encore plus si ce n'était des quatre années qu'il a passées loin du sport. Quatre années au cours desquelles ses priorités ont changé.
***
Sans les arts martiaux, qui sait ce que serait devenu Ivan Menjivar?
Celui qu'on surnomme aujourd'hui The Pride of El Salvador a dix ans lorsque sa famille quitte son pays natal pour émigrer au Canada. Dans son quartier de Ville d'Anjou, Menjivar découvre rapidement deux traditions purement québécoises : le hockey, qui ne l'a jamais réellement accroché, et la rivalité entre francophones et anglophones, qui le décourage de s'engager dans tout autre sport d'équipe.
En solitaire, Menjivar commence plutôt à s'initier aux sports de combat et parallèlement à la naissance de cette nouvelle passion arrive l'entrée à l'école secondaire.
"Les jeunes de mon âge commençaient à fréquenter les gangs de rue, raconte Menjivar sur un ton calme et posé, dans un français impeccable teinté d'un accent hispanique. L'initiation, c'était quatre gros gars parmi les plus vieux de la gang qui se mettaient sur un jeune et qui essayaient de le mettre à terre et de le frapper. J'ai été le seul à ne pas tomber. Tout le monde était impressionné. On me disait Wow, Menjivar, t'es écoeurant!'"
"J'étais content, je faisais partie de la gang! Mais une semaine plus tard, plus personne ne me parlait. Je me demandais pourquoi, mais j'ai compris que c'était parce que j'étais le seul qui avait tenu debout, le seul qui était tough. Mes amis, qui étaient tous un peu maganés, avaient été acceptés. C'est ça, les gangs de rues. On veut les faibles, ceux qui sont plus faciles à influencer."
Menjivar conclut rapidement qu'il n'a pas besoin d'un tel entourage pour forger son identité. C'est plutôt en apprenant les rudiments du jiu-jitsu, de la boxe et de la lutte qu'il deviendra un homme.
"J'ai commencé à faire des petites compétitions et je répétais sans arrêt à mon père qu'un jour, le UFC allait m'appeler."
Et le UFC a appelé. En 2004, le Montréalais d'adoption se fait proposer un combat contre Matt Serra, un vétéran avec une expérience de six combats au sein de la prestigieuse organisation. Serra est un colosse pour la division des 155 livres tandis que Menjivar est davantage bâti pour combattre à 145. Malgré l'inégalité des gabarits, la recrue livre une bonne bataille avant de s'incliner par décision unanime.
Laissé de côté par le UFC, Menjivar voit s'ouvrir devant lui les portes de l'Asie. Un an après sa défaite contre Serra, il s'envole pour Tokyo pour participer à un gala de la promotion Pancrase. "Là-bas aussi, on me demandait de me battre à 155 livres, mais je ne pouvais pas refuser. C'était un beau contrat, de la visibilité. Le genre d'opportunité qui ne se présente pas deux fois."
"Il est rapidement devenu très populaire là-bas, se souvient Vigneault sur un ton admiratif. S'il n'avait pas arrêté, je crois qu'on aurait fini par voir son visage sur les boîtes de céréales."
Menjivar revient au pays avec une victoire et récidive lorsqu'il affronte le prometteur Joe Lauzon à Montréal. Puis, après une défaite controversée contre Urijah Faber au TKO, c'est le retour au Japon, où il est voué à un avenir prometteur. Mais à son troisième combat, il se blesse à un genou dans une défaite contre Caol Uno.
"Quand Ivan s'est blessé, il était déjà classé troisième au monde chez les 145 livres et les deux premiers, on s'entend qu'il pouvait les battre, se remémore Vigneault. Quand il était à son top, Ivan était craint à travers la planète. Personne ne voulait l'affronter. Il était dans une condition physique exemplaire, ne démontrait aucune nervosité. Il était un athlète complet, un phénomène."
Malgré sa condition médicale, Menjivar s'engage à affronter Bart Palaszewski dans l'IFL, un mois après sa défaite contre Uno. Il s'incline par décision partagée.
"J'ai fait un bon combat, j'étais fier de moi. Quand je sais que j'ai donné mon max, gagner ou perdre, ça ne me dérange pas. Regarde le Canadien. Un jour il gagne, un jour il perd et ce n'est pas la fin du monde "
Une retraite prématurée, un retour au jour le jour
Sans le savoir, Menjivar est devenu, à 24 ans, un nouveau retraité.
"Après la défaite contre Bart, il a fallu six mois pour trouver un docteur pour m'opérer. Je ne m'en plaignais pas, parce qu'en même temps, mais femme était enceinte. C'était donc l'occasion idéale pour consacrer du temps à ma famille. Et puis l'été est arrivé. Je ne pouvais pas courir, mais quand même, c'était un super bon deal!"
Préoccupé depuis toujours par la précarité du métier de combattant, Menjivar est embauché comme gardien de sécurité à l'aéroport Montréal-Trudeau. Puis arrive le deuxième enfant du couple. Avec le temps, la glace sur laquelle avait été mise sa carrière commence à fondre.
"Je n'ai jamais arrêté de m'entraîner, je n'ai fait que ralentir la cadence. J'aidais mes coéquipiers dans la préparation de leurs combats et je continuais à participer à des compétitions de jiu-jitsu. Ça m'aidait à garder le moral et je me disais qu'un jour, je recommencerais à faire des combats. Mais l'important pour moi, c'était devenu la famille."
Il faut presque attendre quatre ans pour revoir Menjivar dans un ring. L'été dernier, à Montréal, il réussit son grand retour en obtenant une victoire par soumission lors d'un événement de la W-1. Le WEC fait ensuite appel à ses services pour meubler la dernière carte de son histoire. Il s'incline par décision unanime devant Brad Pickett, mais le combat est spectaculaire et Menjivar apprend peu de temps après que son contrat a été transféré au UFC avec le reste de la compagnie.
"Depuis ma blessure, je me dis que chaque combat pourrait être mon dernier. Je prends ça un combat à la fois", affirme Menjivar, qui n'a même pas atteint l'âge auquel, théoriquement, un combattant atteint son apogée.
"Si mon prochain combat est mon dernier, je vais m'assurer que ce soit mon meilleur. Si je gagne, tant mieux. Si je perds, tant pis. Je n'aurais aucun regret si tout ça se terminait demain, parce que je serai allé au bout de mes rêves."
"Ivan continue de travailler presque 40 heures par semaines en plus de s'occuper de sa famille et par-dessus tout ça, il combat au niveau international. Il faut le faire!", s'émerveille Vigneault.
"À 100%, Ivan est une coche au-dessus de bien du monde à 135 livres au UFC. Il pourrait être le champion et je crois même qu'il pourrait battre 80% des combattants à 145 livres. Mais il ne se bat pas pour l'argent ou pour être populaire. Il n'a pas besoin d'avoir une Ferrari avec une grosse maison et de voir son visage à la télé. Il se bat simplement parce qu'il aime ça. S'il pouvait faire des combats amateurs, il en ferait à chaque semaine. Le reste, il s'en fout. Mais il aurait pu devenir une grande vedette "
"C'est le destin, on ne peut rien y changer, dit sereinement Menjivar. J'ai deux beaux enfants, je suis bien avec ma femme. C'est sûr que j'ai parfois des fantasmes. Je me dis que j'aurais peut-être pu être champion. Mais je n'ai pas de regret. Tout va bien, je suis content. J'ai donné plus de 15 ans de ma vie aux MMA et je serai heureux de simplement voir le sport évoluer au cours des 15 prochaines années."
Amateurs d'arts martiaux mixtes, vous pouvez consulter mon blogue et me suivre sur Twitter.
La question est fascinante, mais au fond impertinente. Au cours de sa carrière, un combattant d'arts martiaux mixtes ne rencontrera jamais d'adversaire plus intouchable que son propre passé.
Ivan Menjivar, même s'il n'est pas immunisé aux rêveries, l'a compris. C'est pourquoi il préfère se rallier au destin, qui l'a si bien guidé jusqu'ici, et laisser aux autres le soin de spéculer sur ce que l'avenir aurait pu lui réserver.
"S'il avait fait d'autres choix, assure toutefois son entraîneur et bon ami Stéphane Vigneault, il aurait pu devenir une aussi grosse vedette que Georges St-Pierre."
Menjivar n'a que 28 ans et pourtant, il est considéré comme un pionnier des arts martiaux mixtes au Québec. Il venait tout juste d'atteindre sa majorité lorsqu'il a fait ses débuts professionnels avec l'organisation provinciale UCC. Il avait déjà quatre combats à son actif lorsqu'on l'a envoyé dans l'arène pour le baptême de St-Pierre. Il s'est battu au UFC à 22 ans et est devenu le premier Québécois à aller pratiquer son sport au Japon.
Son combat contre Charlie Valencia samedi au UFC 129 sera le 30e de sa carrière et il espère qu'il en ressortira avec une 22e victoire. Son palmarès est impressionnant, mais il pourrait l'être encore plus si ce n'était des quatre années qu'il a passées loin du sport. Quatre années au cours desquelles ses priorités ont changé.
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Sans les arts martiaux, qui sait ce que serait devenu Ivan Menjivar?
Celui qu'on surnomme aujourd'hui The Pride of El Salvador a dix ans lorsque sa famille quitte son pays natal pour émigrer au Canada. Dans son quartier de Ville d'Anjou, Menjivar découvre rapidement deux traditions purement québécoises : le hockey, qui ne l'a jamais réellement accroché, et la rivalité entre francophones et anglophones, qui le décourage de s'engager dans tout autre sport d'équipe.
En solitaire, Menjivar commence plutôt à s'initier aux sports de combat et parallèlement à la naissance de cette nouvelle passion arrive l'entrée à l'école secondaire.
"Les jeunes de mon âge commençaient à fréquenter les gangs de rue, raconte Menjivar sur un ton calme et posé, dans un français impeccable teinté d'un accent hispanique. L'initiation, c'était quatre gros gars parmi les plus vieux de la gang qui se mettaient sur un jeune et qui essayaient de le mettre à terre et de le frapper. J'ai été le seul à ne pas tomber. Tout le monde était impressionné. On me disait Wow, Menjivar, t'es écoeurant!'"
"J'étais content, je faisais partie de la gang! Mais une semaine plus tard, plus personne ne me parlait. Je me demandais pourquoi, mais j'ai compris que c'était parce que j'étais le seul qui avait tenu debout, le seul qui était tough. Mes amis, qui étaient tous un peu maganés, avaient été acceptés. C'est ça, les gangs de rues. On veut les faibles, ceux qui sont plus faciles à influencer."
Menjivar conclut rapidement qu'il n'a pas besoin d'un tel entourage pour forger son identité. C'est plutôt en apprenant les rudiments du jiu-jitsu, de la boxe et de la lutte qu'il deviendra un homme.
"J'ai commencé à faire des petites compétitions et je répétais sans arrêt à mon père qu'un jour, le UFC allait m'appeler."
Et le UFC a appelé. En 2004, le Montréalais d'adoption se fait proposer un combat contre Matt Serra, un vétéran avec une expérience de six combats au sein de la prestigieuse organisation. Serra est un colosse pour la division des 155 livres tandis que Menjivar est davantage bâti pour combattre à 145. Malgré l'inégalité des gabarits, la recrue livre une bonne bataille avant de s'incliner par décision unanime.
Laissé de côté par le UFC, Menjivar voit s'ouvrir devant lui les portes de l'Asie. Un an après sa défaite contre Serra, il s'envole pour Tokyo pour participer à un gala de la promotion Pancrase. "Là-bas aussi, on me demandait de me battre à 155 livres, mais je ne pouvais pas refuser. C'était un beau contrat, de la visibilité. Le genre d'opportunité qui ne se présente pas deux fois."
"Il est rapidement devenu très populaire là-bas, se souvient Vigneault sur un ton admiratif. S'il n'avait pas arrêté, je crois qu'on aurait fini par voir son visage sur les boîtes de céréales."
Menjivar revient au pays avec une victoire et récidive lorsqu'il affronte le prometteur Joe Lauzon à Montréal. Puis, après une défaite controversée contre Urijah Faber au TKO, c'est le retour au Japon, où il est voué à un avenir prometteur. Mais à son troisième combat, il se blesse à un genou dans une défaite contre Caol Uno.
"Quand Ivan s'est blessé, il était déjà classé troisième au monde chez les 145 livres et les deux premiers, on s'entend qu'il pouvait les battre, se remémore Vigneault. Quand il était à son top, Ivan était craint à travers la planète. Personne ne voulait l'affronter. Il était dans une condition physique exemplaire, ne démontrait aucune nervosité. Il était un athlète complet, un phénomène."
Malgré sa condition médicale, Menjivar s'engage à affronter Bart Palaszewski dans l'IFL, un mois après sa défaite contre Uno. Il s'incline par décision partagée.
"J'ai fait un bon combat, j'étais fier de moi. Quand je sais que j'ai donné mon max, gagner ou perdre, ça ne me dérange pas. Regarde le Canadien. Un jour il gagne, un jour il perd et ce n'est pas la fin du monde "
Une retraite prématurée, un retour au jour le jour
Sans le savoir, Menjivar est devenu, à 24 ans, un nouveau retraité.
"Après la défaite contre Bart, il a fallu six mois pour trouver un docteur pour m'opérer. Je ne m'en plaignais pas, parce qu'en même temps, mais femme était enceinte. C'était donc l'occasion idéale pour consacrer du temps à ma famille. Et puis l'été est arrivé. Je ne pouvais pas courir, mais quand même, c'était un super bon deal!"
Préoccupé depuis toujours par la précarité du métier de combattant, Menjivar est embauché comme gardien de sécurité à l'aéroport Montréal-Trudeau. Puis arrive le deuxième enfant du couple. Avec le temps, la glace sur laquelle avait été mise sa carrière commence à fondre.
"Je n'ai jamais arrêté de m'entraîner, je n'ai fait que ralentir la cadence. J'aidais mes coéquipiers dans la préparation de leurs combats et je continuais à participer à des compétitions de jiu-jitsu. Ça m'aidait à garder le moral et je me disais qu'un jour, je recommencerais à faire des combats. Mais l'important pour moi, c'était devenu la famille."
Il faut presque attendre quatre ans pour revoir Menjivar dans un ring. L'été dernier, à Montréal, il réussit son grand retour en obtenant une victoire par soumission lors d'un événement de la W-1. Le WEC fait ensuite appel à ses services pour meubler la dernière carte de son histoire. Il s'incline par décision unanime devant Brad Pickett, mais le combat est spectaculaire et Menjivar apprend peu de temps après que son contrat a été transféré au UFC avec le reste de la compagnie.
"Depuis ma blessure, je me dis que chaque combat pourrait être mon dernier. Je prends ça un combat à la fois", affirme Menjivar, qui n'a même pas atteint l'âge auquel, théoriquement, un combattant atteint son apogée.
"Si mon prochain combat est mon dernier, je vais m'assurer que ce soit mon meilleur. Si je gagne, tant mieux. Si je perds, tant pis. Je n'aurais aucun regret si tout ça se terminait demain, parce que je serai allé au bout de mes rêves."
"Ivan continue de travailler presque 40 heures par semaines en plus de s'occuper de sa famille et par-dessus tout ça, il combat au niveau international. Il faut le faire!", s'émerveille Vigneault.
"À 100%, Ivan est une coche au-dessus de bien du monde à 135 livres au UFC. Il pourrait être le champion et je crois même qu'il pourrait battre 80% des combattants à 145 livres. Mais il ne se bat pas pour l'argent ou pour être populaire. Il n'a pas besoin d'avoir une Ferrari avec une grosse maison et de voir son visage à la télé. Il se bat simplement parce qu'il aime ça. S'il pouvait faire des combats amateurs, il en ferait à chaque semaine. Le reste, il s'en fout. Mais il aurait pu devenir une grande vedette "
"C'est le destin, on ne peut rien y changer, dit sereinement Menjivar. J'ai deux beaux enfants, je suis bien avec ma femme. C'est sûr que j'ai parfois des fantasmes. Je me dis que j'aurais peut-être pu être champion. Mais je n'ai pas de regret. Tout va bien, je suis content. J'ai donné plus de 15 ans de ma vie aux MMA et je serai heureux de simplement voir le sport évoluer au cours des 15 prochaines années."
Amateurs d'arts martiaux mixtes, vous pouvez consulter mon blogue et me suivre sur Twitter.