MONTRÉAL - La Terre ne s'est pas arrêtée de tourner au Tristar Gym quand Georges St-Pierre a annoncé qu'il ne pourrait pas défendre son titre face à Carlos Condit.

Dimanche dernier, St-Pierre et son entraîneur Firas Zahabi ont pris l'avion en direction de Las Vegas, comme prévu. Mais le champion du monde n'est pas le centre d'attention de son équipe depuis le début de la semaine. Toute l'énergie de la délégation montréalaise est plutôt consacrée à Francis Carmont, qui se prépare à vivre son baptême des grandes ligues.

Carmont, un Français de 30 ans qui s'est exilé au Québec dans l'espoir de donner un second souffle à sa carrière, peine à réaliser ce qui lui arrive depuis qu'on lui a proposé d'affronter Chris Camozzi au UFC 137.

« Ça faisait un moment qu'on discutait avec le UFC, mais quand j'ai su que j'allais y combattre, je n'y croyais pas. En une année de vie à Montréal, j'ai résumé dix ans de ma vie à Paris. Le constat est sans appel. »

Carmont est peut-être l'un des meilleurs combattants dont vous n'aviez jamais entendu parler. Depuis 2004, il a roulé sa bosse sur les circuits mineurs d'Europe, faisant parler ses poings dans onze pays du Vieux Continent, de la Suisse à la Slovénie. Il s'est bâti une fiche respectable de 15 victoires en 22 combats, mais malgré tous ses efforts, la carrière à laquelle il rêvait était destinée à aboutir dans un cul-de-sac.

Au fil de discussions avec son ami Kristof Midoux, un pionnier des arts martiaux mixtes en France qui a aussi été l'un des premiers entraîneurs de GSP, une idée a commencé à faire son chemin dans la tête de Carmont.

« Je sentais que mes sacrifices ne me mèneraient nulle part si je restais à Paris. Kristof m'avait beaucoup parlé du Tristar. De plus, Montréal est une ville reconnue pour offrir une bonne qualité de vie et il y avait l'avantage de ne pas avoir de barrière de la langue. Mon choix s'est donc fait tout naturellement. »

Fidèle à l'idéologie accrochée à son surnom, « Limitless », Carmont a fait le grand saut il y a environ un an et s'est très bien adapté à son nouveau milieu. Déjà doté d'habiletés avancées au niveau du combat debout, il s'est surtout appliqué à améliorer sa lutte, une discipline qu'il n'avait jusque-là jamais pratiquée.

L'été dernier, son arrivée au Canada lui a ouvert une porte alors qu'il a finalement obtenu son premier test en Amérique du Nord. Dans un gala présenté à Hamilton, il a défait le vétéran du UFC Jason Day en un peu plus de deux minutes.

« Kristof m'avait déjà présenté Georges à Paris et quand on s'est revu à Montréal, devant mon envie de m'améliorer, il m'a rapidement pris sous son aile. Il m'aide énormément dans mes entraînements au quotidien et c'est un réel plaisir d'évoluer en sa compagnie. Je le remercie souvent pour tout ce qu'il fait pour moi. »

Samedi, St-Pierre sera dans le coin de son dauphin français en compagnie de Zahabi et d'Olivier Raynaud, un entraîneur de muay thaï du Tristar.

Sportif ou voyou

Bâti sur une charpente qui laisse peu de doute sur son emploi du temps, Carmont, un mastodonte de 6 pieds 3 pouces, a goûté tardivement aux arts martiaux. À 18 ans, il s'est initié au Penchak Silat, une discipline qui a ses racines en Indonésie, pour ensuite découvrir le Pancrase. « À partir de ce moment, je n'ai jamais arrêté. J'avais découvert ma passion et d'en vivre a toujours été un rêve. »

Mais les embûches sont nombreuses pour un Français qui veut évoluer dans le domaine. Les arts martiaux mixtes n'ont pas encore été légalisés dans l'Hexagone et un combattant n'a pratiquement d'autre choix que de faire ses valises s'il désire élever son bagage de connaissances et ses habiletés physiques au niveau de l'élite.

« Il existe de bonnes équipes en France, mais il manque de structures adéquates, de commanditaires et de personnes ressources pour gérer ta carrière. Pour un jeune qui veut en faire son métier, il est préférable de s'exiler dans un autre pays où il sera vraiment perçu comme un sportif et non comme un voyou. Ici, on voit que les gens grandissent avec la culture du sport. Dès leur jeune âge, les jeunes bougent et tout n'est pas centré sur un ou deux sports comme en France, où le soccer domine. »

L'entêtement des autorités françaises à bouder les arts martiaux mixtes se reflète sur le rendement de ses athlètes au niveau international. Au sein du UFC, le pays n'est représenté que par deux porte-étendards, soit les vétérans Cheick Kongo, un poids lourd qui sera lui aussi en action en fin de semaine, et Cyrille Diabaté. Pour Carmont, le succès que connaissent ses deux compatriotes a été - et est toujours - une source concrète de motivation.

Et il n'est pas le seul. D'autres Français ont élu domicile dans la métropole québécoise au cours des dernières années. Ils travaillent pour l'instant dans l'ombre, mais ils sont plusieurs à croire que leur émergence ne saurait tarder.

« Moïse Rimbon, qui m'a enseigné une grande partie de tout ce que je sais, et Nordine Taleb sont deux de mes amis et partenaires d'entraînement qui, j'en suis sûr, feront bientôt partie du UFC à leur tour. Ce n'est qu'une question de temps », avance Carmont avec confiance.

« En France, il y a peut-être moins d'entraîneurs sérieux et d'opportunités quant aux camps d'entraînement, alors je suis content de les accueillir ici, assure Zahabi, le leader du Tristar, qui voit grand pour ses élèves venus d'outre-mer. Ce sont vraiment des athlètes exceptionnels. Si on leur donne les bons outils, on pourrait voir un champion du monde français très bientôt. »

Carmont est d'accord. L'idée le réjouit, mais l'attriste à la fois. Imaginez l'ironie...

« Le jour où ça arrivera, ça fera bizarre d'avoir un champion français en sachant que son sport n'est même pas reconnu dans son propre pays. »

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