Il est peut-être temps que la F1 affronte son véritable problème.

Et qu’elle soit suffisamment humble pour regarder autour d’elle et s’inspirer de ce qui se fait ailleurs.

Le véritable problème? Une grille de départ basée sur la performance pure des voitures en qualifications.

Pensez-y : si vous faites partir la meilleure voiture devant les autres, il n’y a aucune raison logique pour qu’elle ne rallie pas l’arrivée devant les autres! Il en va ainsi de la première à la dernière place sur la grille de départ.

Pourquoi l’ordre établi en qualifications serait-il chamboulé en course de manière significative, sauf par des incidents?

On va me dire que ce système existe depuis (presque) les débuts du sport automobile.

Cela est vrai. Mais à une autre époque, les moteurs explosaient, les pilotes rataient des changements de rapport de boîte de vitesses, les voitures glissaient (sans les énormes appuis aérodynamiques d’aujourd’hui), les pilotes commettaient des erreurs, les réglages des voitures n’étaient pas parfaits, les moteurs perdaient de l’huile, etc. Tout cela contribuait à de nombreux changements de positions durant les courses.

Maintenant, tant les voitures que les pilotes ont atteint un haut niveau de perfection (d’accord, le début de l’ère des groupes propulseurs hybrides s’avère difficile pour certains, mais cette situation va finir par se résoudre).

Donc la F1 actuelle ne peut éviter le phénomène décrit en préambule. Si vous faites partir la meilleure voiture devant les autres, il n’y a aucune raison logique pour qu’elle ne rallie pas l’arrivée devant les autres…

Pour contrecarrer cette inexorabilité, les hautes instances ont adopté ou favorisé toutes sortes de mesures.

On a ainsi parié sur les ravitaillements en essence. Pour s’apercevoir que, si effectivement les positions changeaient durant la course, l’ordre de départ était plus que souvent respecté à l’arrivée.

On a introduit la guerre des pneus. Pour se retrouver dans cette drôle de situation : certaines pistes favorisaient les usagers de Michelin, d’autres les clients de Bridgestone.

Dans la F1 actuelle, le bouleversement souhaité de la position des voitures durant la course se fait par l’utilisation de pneus qui se dégradent (sur demande), ce qui force les pilotes à passer aux puits de une à quatre fois durant un Grand Prix.

Encore là, à moins d’ennuis lors d’un arrêt, ou d’une gaffe de stratégie, est-ce que cela va placer une Williams devant une Mercedes à l’arrivée? Non.

Il est peut-être temps de penser à autre chose.

Grille inversée

Une idée serait d’inverser, du moins en partie, les positions sur la grille de départ.

Regardons ce qui se fait en GP2, la dernière étape du cheminement menant à la F1.

L’unique séance de qualification sert à déterminer l’ordre de départ de la première course de la fin de semaine disputée le samedi sur 170 km ou 60 minutes. On accorde 4 points au détenteur de la position de tête.

Les dix premiers de la course inaugurale marquent des points (25, 18, 15, 12, 10, 8, 6, 4, 2, 1). L’auteur du meilleur temps en course reçoit 2 points.

Le résultat de la course de samedi sert à établir la grille de départ de la course du dimanche (120 km ou 45 minutes), avec inversion des huit premiers. À l’issue de la seconde épreuve, les huit premiers marquent des points (15, 12, 10, 8, 6, 4, 2, 1). L’auteur du meilleur temps en course reçoit 2 points.

Comment adapter ce principe à la F1, compte tenu que l’on ne souhaite pas tenir deux courses par fin de semaine, afin de préserver l’importance du Grand Prix du dimanche?

En avril dernier, Bernie Ecclestone a fait la suggestion suivante :

La moitié des points alloués présentement à l’issue de la course (soit la moitié de 25, 18, 15, 12, 10, 8, 6, 4, 2, 1) pourrait être attribuée à l’issue des qualifications.

Les dix premiers des qualifications partent ensuite en position inversée sur la grille de départ. Et on accorde l’autre moitié des points à l’issue de la course.

Imaginez Lewis Hamilton et Nico Rosberg partir 10e et 9e et être obligés de se frayer un chemin jusqu’à l’avant du peloton!

Utilisation du lest

Une autre idée est d’utiliser du lest pour niveler les performances des voitures.

Cette approche est utilisée par la série allemande DTM pour voitures de tourisme.

Pour le premier rendez-vous de la saison, toutes les voitures doivent peser 1120 kg.

À la suite de chaque fin de semaine de course, toutes les voitures doivent soit ajouter du poids (maximum de 5 kg par course jusqu’à concurrence de 20 kg), soit enlever du poids (maximum de 5 kg par course jusqu’à concurrence de 15 kg).

Prenons l’exemple d’une course disputée à Hockenheim cette saison :

1  Mattias Ekström      Audi RS5

2  Edoardo Mortara      Audi RS5

3  Gary Paffett         Mercedes-AMG C63

4  Martin Tomczyk       BMW M4

5  Marco Wittmann       BMW M4

6  Mike Rockenfeller    Audi RS5

7  Robert Wickens (CAN) Mercedes-AMG C63

8  Pascal Wehrlein      Mercedes-AMG C63

9  Bruno Spengler (CAN) BMW M4

10 Timo Glock           BMW M4

Les Audi (manufacturier classé no 1 grâce à Ekström) ayant terminé dans le top-10 doivent ajouter 5 kg pour la fin de semaine suivante. Les Audi hors du top-10 : 2,5 kg.

Toutes les Mercedes (manufacturier classé no 2 grâce à Paffett) ne changent pas de poids.

Les BMW (manufacturier classé no 3 grâce à Tomczyk) ayant terminé dans le top-10 peuvent retrancher 2,5 kg pour la course suivante. Les BMW hors du top-10 : 5 kg.

Cela nivelle les performances des voitures et met l’accent sur le pilotage.

Injuste pour les écuries qui font du meilleur travail que la concurrence? Oui.

Mais qu’est-ce qui intéresse les amateurs de course : le championnat des pilotes ou des constructeurs?

Les patrons de F1 ont déjà manifesté un certain intérêt envers un tel système, lors d’une réunion en juillet 2014. Rien de précis n’a été discuté, mais l’idée de base serait d’ajouter un certain lest sur la voiture de chaque pilote selon son résultat en course.

Mais plus de nouvelles depuis.

Le monde de la F1 et les amateurs de course s’interrogent de plus en plus sur la qualité du spectacle. On envisage le retour des ravitaillements, on se pose des questions sur l’approche à prendre avec les pneus, on a même envisagé d’effectuer des départs arrêtés après les neutralisations sous voiture de sécurité!

Il serait peut-être temps de faire face au problème qui est à la source de ce manque de spectacle dans la F1 moderne : si vous faites partir la meilleure voiture devant les autres, il n’y a aucune raison logique pour qu’elle ne rallie pas l’arrivée devant les autres…