(MGV) - La première des choses que je peux dire au sujet du pilote de Berthier, c'est que si je vais ce métier de journaliste rattaché à la course automobile, je le dois à gilles Villeneuve.

Pourquoi ? Eh bien j'ai enseigné la mécanique. Comme tout bon professeur, j'aimais ce que je faisais. Et pour moi, la mécanique, c'était la course automobile. Parce que la course représente toujours la haute technologie. Et c'est un peu ce qui m'a amené à suivre les course, d'abord au Québec, en étant simplement mécano. Puis j'ai commencé à penser à exploiter ce domaine qui n'était pas très couvert à cette époque. J'ai commencé par la Formule Ford, puis la Formule Atlantique, qui, a ce moment là était menée par un certain Gilles Villeneuve; avec des gars comme Keke Rosberg, Price, etc... Tous ces gens qui ont fait les beaux jours de ce sport extraordinaire. Et de fil en aiguille et bien, il y a eu la Can-Am et ce début difficile pour Gilles. Ce n'était pas de tout repos de conduire ce "gros camion" qui n'avançait pratiquement pas devant son ami Patrick Tambay. Et donc le cheminement fut naturel vers Ferrari. J'ai vécu des années fantastiques grâce à Gilles. Ce métier de correspondant, ce n'est pas seulement les voyages, les pilotes. Si vous saviez un petit peu à quel point ce que ce sport a évolué en l'espace de dix ans, c'est phénoménal ! Je regardais les voitures au musée Gilles-Villeneuve, et ça a l'air de voitures préhistoriques. On parlerait presque de voitures à vapeur comparativement à celles d'aujourd'hui. Et tout ceci c'est quand même des choses qui selon moi sont reliées en grande partie au sport motorisé. On pense par exemple aux mesure de sécurité, on pense au frein-carbone que vous aurez sur vos voitures bientôt. Toute cette technologie, il faut quand même des pilotes pour les conduire, pour les développer. Et Gilles Villeneuve, à ce niveau, était quand même quelqu'un de spécial. Je dis spécial parce que souvent les gens me disent: "Pourquoi à chaque fois qu'il y a un espoir, on dit c'est digne de Villeneuve ?" Pourquoi quand Senna fait un temps de canon, on dit il fait comme Villeneuve ?

Je pense que c'est dû à deux choses :

De un, la volonté de gagner de Gilles, ça c'était effrayant et à tous les niveaux. Et de deux, ce charisme, ça aussi c'était vrai. Partout dans le monde et cela je l'ai vérifié bien des fois, surtout à l'époque où il était encore en vie. Dès que l'on prononçait le nom de Villeneuve, on savait que c'était un Canadien.

Je me souviens d'une anecdote. J'ai demandé à un douanier, un jour, "connaissez-vous le nom de notre Premier ministre ?" Il ne le savait pas. Par contre, Vielleuse lui, il connaissait. Gilles était un ambassadeur. Mais il était surtout et avant tout un pilote d'exception. Un type qui se donnait tellement à fond que le reste ça ne l'intéressait pas. La politique surtout pas. Et il avait son franc-parler ! Nous revenons toujours à cette question. Pourquoi ? Bien c'est simple. Moi, j'ai eu souvent l'occasion de le voir et il y a des choses qui m'ont surpris. Lorsque nous faisions des reportages, bon, il me parlait en québécois. C'est normal, c'était sa langue. Et un jour, alors que j'habitais Monaco, et que je regardais TF1 qui diffusait une entrevue avec Gilles, puisqu'il était en deuxième ligne pour le Grand Prix, j'ai été étonné de voir qu'il n 'avait plus l'accent québécois mais un accent bien français. La même chose s'est répétée en Italie, il était capable de parler un italien parfait. C'est un tout qui fait que Gilles avait un charisme extraordinaire. Il ne cachait pas ce qu'il avait à dire à l'endroit de certaines personnes. Exemple, il a fait fi de certaines choses qui étaient bien ancrées dans l'histoire de Ferrari. Jamais un pilote n'avait le droit de s'adresser à Enzo Ferrari. Après chaque course, il y a ce qu'on appelle le " briefing ". Les pilotes discutaient avec les ingénieurs et les ingénieurs se rapportaient à Monsieur Ferrari. Ce qu'il y a eu de nouveau avec Gilles, et ce qu'il a exigé, ce fut de discuter directement avec le patron. Vous avez entendu parler de la fameuse polémique qui a entouré ce Grand Prix d'Estoril en 1990 avec Alain Prost chez Ferrari, et avec Mansell ? Du nouveau ? Non, Villeneuve l'avait imposé, et Prost a aussi eu le droit de parler directement à Ferrari. Je le répète, c'est Villeneuve qui a véritablement inventer cette procédure. Pourquoi? Parce qu'effectivement, quand il disait blanc, ça arrivait blanc et non gris ou même noir au bout de la ligne. On dit toujours que la formule 1 est un monde égoïste, et c'est vrai. Tout le monde est là pour gagner. Mais je dirais que Jody Scheckter et Gilles ont travaillé très fort pour la sécurité des pilotes. Ils ont fait partie d'une association, ils l'ont pratiquement créée, puisqu'elle était moribonde à l'époque. Une parole très importante me revient … au lendemain de l'accident de Gilles. Il y a un homme qui aujourd'hui dirige toute la Formule 1, tout ce qu'elle est devenue, c'est à dire cet empire industriel, il ne faut pas se le cacher, c'est beaucoup d'argent, eh bien Bernie Ecclestone y est allé de cette phrase qui m'a fâché mais qui représente bien son esprit de businessman : " J'ai perdu mon plus gros showman ". Donc il est clair que Gilles a marqué la course automobile. Il l'a marqué par son charisme, il l'a marqué par son pilotage.

C'était le seul type qui était capable de faire glisser une voiture sur le circuit de Zandvoort. Casse-cou, oui. Pour ceux qui ont été en hélicoptère avec lui ! C'est le seul type que je connaisse qui ait réussi de faire un "looping" à un Augusta ! C'est un énorme hélicoptère de six places avec des freins rentrants. Tout le monde a toujours dit que c'était irréalisable. Villeneuve l'a fait. On lui aurait donné un avion de chasse, il aurait été capable de le piloter. C'était un type très manuel, une sensibilité telle que tout ce qu'il touchait, ça marchait.

Destructeur oui. Mais il n'était pas le seul. Ils ont tellement cette volonté de gagner. Ne mélangeons pas sortie de piste et casser une voiture. Casser une voiture c'était familier chez Gilles...détruire des freins au bout de deux tours. Chez Ferrari on n'avait jamais vu ça. Détruire des axes de transmission, pourquoi ? Parce que c'était un type qui tirait le maximum du potentiel du véhicule qu'il conduisait. Nous ne voyons plus beaucoup de cela aujourd'hui. Gilles Villeneuve est un type qui fait partie de la légende de la F1. Comme Fangio en fait partie !

Un texte de Christian Tortora, chroniqueur sportif, écrit en 1991