Par Pierre Houde - Il y a décidément une forte saveur historique dans l’univers canadien et montréalais de la F1 ces temps-ci. Ce dont on parle le plus, bien sûr, c’est du 50e anniversaire du tout premier Grand Prix disputé au Canada, au circuit de Mosport, en 1967. Mais il y a d’autres anniversaires à ne pas négliger et ils touchent directement la présence d’un pilote de chez nous, en F1.
L’année 2017 marque d’abord le 40e anniversaire de l’arrivée de Gilles Villeneuve en Formule 1. Plusieurs oublient que c’est en 1977 et non en 1978 que Gilles a effectué ses premiers tours de roues dans la discipline reine. C’était lors du Grand Prix d’Angleterre, au volant d’une 3e McLaren inscrite pour la course et qui faisait suite à la suggestion de James Hunt, à ses patrons, de donner une chance au pilote québécois. Au volant d’une voiture vieille d’un an, Gilles éblouit tout le plateau et les portes de Ferrari s’ouvrirent dès lors pour les deux dernières épreuves de la saison.
2017 marque aussi le 20e anniversaire de la conquête du championnat des pilotes par Jacques Villeneuve à l’issue d’une saison au cours de laquelle lui et Michael Schumacher se sont livré un duel épique, dont le dénouement allait survenir à la toute dernière course, à Jerez, lors du GP d’Europe. Fort de 7 victoires (2 de plus que son rival) et de 10 positions de tête (7 de plus que Schumacher), Jacques a piloté la puissante Williams-Renault d’une main de maître et il a su résister avec brio à la guerre psychologique que le champion allemand gagnait si aisément contre la plupart de ses rivaux.
Et dès l’an prochain, on pourra aussi commencer à souligner les anniversaires de l’arrivée en F1 d’un autre pilote québécois : Lance Stroll! En regardant ce passage du témoin avec un certain recul, on constate, non sans fierté, qu’un pilote d’ici aura été titulaire d’un volant de F1 au cours de cinq décennies consécutives!
Un legs d’une grande richesse
On ne pouvait espérer un meilleur homme que Gilles Villeneuve pour avoir été celui qui a ouvert la toute première porte sérieuse en Formule 1, à un pilote canadien. Gilles avait à la fois le talent pour y entrer et y demeurer de plein droit ainsi que le caractère très fort pour résister aux pilotes établis. Mais il a quand même dû briser cet espèce de carcan qui rendait l’accès à la F1 si difficile pour les nord-américains. Une fois entré chez Ferrari, il ne s’est pas contenté de rouler à fond. Il s’est intégré de façon complète au sein de la « Scuderia », développant des liens très serrés avec tous les membres de l’écurie. Il a aussi séduit littéralement les « tiffosi » et les italiens en général, en s’adressant à eux avec cœur et sincérité, de façon très articulée, dans leur propre langue. Bref, le « p’tit gars de Berthier » aura accédé au statut de star mondiale du sport automobile de la bonne façon : par son coup de volant magique et par des valeurs humaines très riches. Il a fait, par ricochet, office de pionnier pour les québécois francophones quant au droit légitime d’accéder à la renommée internationale!
C’est quand même un grand coup du destin que ce soit son propre fils qui ait prit le flambeau de Gilles Villeneuve au Championnat du monde, 14 ans plus tard. À la différence de son père, dont le cheminement fut beaucoup plus tortueux et difficile, Jacques Villeneuve a su profiter, à un moment déterminant de sa vie, d’une filière extrêmement sérieuse et très riche en ressources financières, techniques et humaines. Après avoir reçu, de façon quasi accidentelle, une invitation pour participer à la course de Formule Atlantique à Trois-Rivières en 1992, il fut littéralement pris en mains par le programme de développement Player’s à compter de 1993. Le but ultime du fabricant de cigarettes, qui savait que son droit d’affichage tirait à sa fin, était de bâtir une vraie filière « à l’européenne » et de mener un pilote canadien à la prestigieuse série CART, au sein d’une voiture portant ses couleurs.
Jacques eut beau avoir reçu l’invitation, encore fallait-il prouver qu’il était capable de gravir les échelons à pas de géants tout au long de ce parcours. Au cours d’une saison de Formule Atlantique extrêmement compétitive, en 1993, au cours de laquelle il a donné des coups de volant dont on se souvient encore, il a bâti les bases de son accession aux « grandes ligues ». Les deux étapes suivantes furent rien de moins que spectaculaires : recrue de l’année en CART en 1994 et champion de la série l’année suivante! Son « sans faute » de 1995 demeure encore aujourd’hui l’un des plus beaux témoignages de son talent. Si Jacques a hérité du talent de son père, il y a aussi ajouté une grande faculté d’adaptation et de jugement, évitant la moindre erreur coûteuse et ce, sur les quatre types de circuits de la série.
Si son accession à la F1 s’est faite là aussi dans un encadrement très solide, celui de l’écurie Williams, qui dominait alors le plateau, Jacques a quand même dû rapidement répondre à tous ceux qui se demandaient si son coup de volant en F1 serait digne de son nom de famille. À son tout premier GP, en Australie, en 1996, il dissipa tous les doutes. Il prouva qu’il pouvait faire rouler à l’avant, avec constance, la meilleure voiture du plateau!
Sa conquête de 1997 mit en lumière l’héritage reçu de son père, certes, ainsi que les qualités exceptionnelles de la Williams-Renault, mais son titre porte tout autant sa propre signature. Je crois encore aujourd’hui que, pour une brève période de temps, Jacques Villeneuve fut le seul pilote du plateau capable de faire fi de l’intimidation naturelle de Michael Schumacher et que s’il avait eu les mêmes montures de qualité que son rival allemand, par la suite, il aurait pu changer le cours de l’histoire de la F1, du moins en partie.
Sa carrière aura basculé dans le mauvais sens en faisant un très mauvais pari, celui de l’écurie BAR dans laquelle il a investi corps, âme et argent. Mais cette mauvaise décision vint d’une qualité belle et noble : celle de la loyauté envers son entourage! Un autre héritage reçu de Gilles!
Stroll et l’ère moderne
L’arrivée de Lance Stroll en F1 se fait dans un contexte tout à fait différent. Dans tous les sports, la tendance est à la jeunesse et on ne compte plus ceux qui, à 20 ans ou moins, maîtrisent leur discipline comme des vétérans. La notion de développement graduel et progressif, à des niveaux inférieurs, perd de plus en plus son sens, qu’on soit en faveur ou non. Or, tous les jeunes du même âge ne progressent pas au même rythme et en F1, particulièrement, ils ne bénéficient pas tous des mêmes ressources sur le plan technique.
Si Max Verstappen se veut une merveilleuse exception, lui qui remporta son premier GP à 18 ans au volant d’une monoplace de qualité, les autres très jeunes pilotes doivent faire leur classe sur le grand terrain. Et ce n’est pas toujours facile.
La patience est donc de rigueur. Le jeune Lance a un très grand potentiel et son titre de F3 européenne en est une preuve irréfutable. Chose certaine, son arrivée en F1, 10 ans après la retraite de Jacques Villeneuve est une véritable bouffée d’air frais pour l’ensemble du plateau et une véritable étincelle, ici chez nous. Tout laisse espérer qu’il sera, plus tôt que plus tard, un digne héritier de ceux qui l’ont précédé.