Par Pierre Houde - En marge du 50e anniversaire de la présence de la Formule 1 au Canada, on m’a demandé de partager avec vous quelques-uns de mes coups de cœur personnels, de revenir sur des éditions qui m’ont particulièrement fait vibrer pour toutes sortes de raisons. Pour cet exercice, je vais m’en tenir aux Grands Prix qui furent courus sur le circuit de l’Ile Notre-Dame depuis 1982, puisque c’est cette année-là que s’est faite véritablement mon entrée dans l’univers de la F1. Remontons donc ensemble dans le temps...
1985: Trois ans seulement après la mort de Gilles Villeneuve, le GP du Canada de 1985 aura été mémorable pour plusieurs raisons. Rappelons d’abord que cette année-là, pas moins de 4 écuries étaient vraiment compétitives : Lotus-Renault, Ferrari, McLaren-TAG (Porsche) et Williams-Honda. Le roi des « poles », Ayrton Senna, en décrocha pas moins de 7 sur 16 épreuves au volant de la Lotus, mais dut concéder celle de Montréal à son coéquipier Elio De Angelis. Sur la Ferrari numéro 27, Michele Alboreto prit le départ en 3e position. Après un long arrêt aux puits qui lui coûta 5 tours, Senna fit cadeau de la 2e position à Alboreto. Puis, après un beau duel avec De Angelis, Alboreto prit la commande de l’épreuve et mena jusqu’au drapeau à damier. La foule explosa alors littéralement, encore éprise qu’elle était de la Ferrari portant le célèbre numéro de Gilles! Alboreto eut d’ailleurs beaucoup de difficultés à contenir ses émotions sur le podium. Ce fut le seul doublé Ferrari de la saison, Stefan Johnsson terminant finalement deuxième. Ce fut aussi la toute dernière fois de l’histoire que la prestigieuse marque Lotus se retrouva exclusivement en première ligne, à la grille.
Sur une note un peu plus triste, l’édition de 1985 fut la dernière présence à Montréal pour trois pilotes. Elio de Angelis perdit la vie en essais privés, au circuit du Castellet, quelques semaines avant le GP du Canada, en 1986. Ce fut la dernière visite de l’allemand Manfred Winkelhock qui se tua à Mosport, en Prototypes, quelques mois après le GP, en 1985. Son compatriote Stefan Bellof allait malheureusement connaître le même sort, en Prototypes aussi, à Spa, le 1er septembre de la même année.
1986: Mon attachement pour le Grand Prix Labatt du Canada de 1986 n’a pas d’égal. Après un rôle d’adjoint en 1985 et au cœur d’une pause professionnelle comme animateur à la radio, j’ai eu le très grand honneur de diriger l’événement de cette année-là. Entouré d’une petite équipe de permanents passionnés, de pigistes compétents et d’une armée de bénévoles entièrement dévoués, ce fut l’une des plus belles expériences de ma vie. Nous avons été choyés de vivre un événement sans embûche et sans incidents, outre l’accident de Patrick Tambay le dimanche matin, à la séance d’échauffement. La course fut plutôt sans histoire, menée presque de bout en bout par Nigel Mansell, sur Williams-Honda. Notre événement fut l’une des 16 étapes de cette incroyable course au titre à trois pilotes qui se termina à la faveur d’Alain Prost devant Mansell et son coéquipier chez Williams, Nelson Piquet.
À l’issue de ce Grand Prix, j’ai d’abord reçu les remerciements de Bernie Ecclestone qui disait avoir apprécier le bon déroulement de la fin de semaine. Mais il me mit en garde que j’allais recevoir sous peu la visite des officiels de la Fédération internationale. Lorsque ces derniers quittèrent mon bureau, j’étais sous le choc! On exigeait pour l’édition de 1987, rien de moins que de nouveaux paddocks et des garages fermés, une toute nouvelle salle de presse, une nouvelle tour de contrôle et un nouveau revêtement complet du circuit! « Passez le message à vos patrons chez Labatt et à la ville de Montréal. Nous sommes très sérieux cette fois », fut essentiellement le message du délégué technique de la FISA, Derek Ongaro.
Après avoir eu le doute qu’un plan d’affaires exhaustif permettant de multiplier les revenus et de procéder aux changements demandés n’allait pas recevoir l’aval de la Brasserie Labatt, j’ai décidé de quitter mes fonctions. Peu de temps après, on apprit que Bernie avait conclu une entente de commandite avec Molson, ce qui fit exploser les dirigeants de Labatt. Une longue et dure bataille juridique s’en suivit qui mena, éventuellement, à l’annulation de l’événement de 1987.
1995: Il y avait eu comme un genre de prélude 10 ans plus tôt avec la victoire de Michele Alboreto, sur la Ferrari 27. Mais le dénouement du GP du Canada de 1995 allait dépasser de plusieurs fois les émotions de 1985! Déjà un pilote très aimé à Montréal, Jean Alesi remporta sa première et seule victoire en carrière, chez nous, devant une foule prise d’un tel délire, qu’elle envahit la piste avant même que les autres voitures aient eu le temps de passer la drapeau à damier!
Le courant de sympathie des Montréalais et des Québécois en général a toujours été très fort pour Alesi et ce, dès son entrée en F1, en 1989, chez Tyrrell. Les gens de chez nous ont toujours apprécié sa grande gentillesse, son éternelle bonne humeur et son charmant accent du midi. Mais les initiés de la F1 lui ont toujours reconnu aussi un immense talent, particulièrement depuis une manœuvre dont plusieurs parlent encore, aux dépens d’Ayrton Senna à Phoenix, au GP des États-Unis, en 1990. Alesi fut aussi l’un des meilleurs pilotes sous la pluie.
Malheureusement, son séjour de 5 ans chez Ferrari ne lui donna pas le succès escompté. Malchanceux et/ou trop audacieux, Alesi fut contraint à l’abandon à 41 reprises au cours de la période, une monstrueuse proportion de 50% des courses courues pour la « Scuderia » ! Mais le 11 juin 1995, les choses tombèrent de la bonne façon, ultimement lorsque Michael Schumacher dut s’arrêter pour corriger un problème électronique lié à son volant avec une dizaine de tours à faire. C’est par l’écran géant à l’épingle qu’Alesi aperçut Schumacher aux puits et qu’il comprit que la victoire était à sa portée. Son dernier tour se fit sous l’ovation des spectateurs en liesse et avec les yeux pleins d’eau sous son casque. Ce même casque se retrouva d’ailleurs dans les mains d’un spectateur chanceux, gracieuseté d’un Alesi tellement heureux, qu’il projeta ce merveilleux « souvenir » dans les gradins après sa victoire.
Sa visite à RDS, le lendemain, fut un véritable bonheur pour nous tous.
1996: L’arrivée de Jacques Villeneuve en F1 fut délirante! Pas seulement à cause de son nom de famille, pas seulement à cause de son lien avec le Québec. Mais aussi, beaucoup, à cause de son talent universellement reconnu, de sa conquête exceptionnelle en série CART en 1995 et de la qualité de la Williams à moteur Renault qu’il allait piloter à son arrivée au Championnat du monde.
C’est fort de quatre podiums, d’une victoire et d’une position de tête qu’il s’amena à Montréal pour y disputer un tout premier GP de F1 sur le circuit portant le nom de son illustre père, le 16 juin 1996. Il termina 2e, à 4 secondes de son coéquipier, un résultat plus que satisfaisant pour lui compte tenu de l’horaire complètement fou auquel il dut se soumettre les jours précédents. Ce fut aussi une domination complète des deux Williams, qui terminèrent à une cinquantaine de secondes devant leurs plus proches rivaux.
Si Gilles avait ouvert le chemin de 1978 à 1982, son fils amena l’intérêt des Québécois pour la F1 à un autre niveau, 14 ans plus tard. Jacques suscita la passion et celle-ci devint contagieuse! Le mouvement de masse créé par ses deux années gagnantes chez Williams fut incroyable. Quantité de personnes qui ont au moins 30 ans me disent encore aujourd’hui qu’ils ont des souvenirs impérissables des dimanches matins en famille, devant le téléviseur, à suivre les péripéties de Jacques. La conquête de 1997 fut le point culminant bien sûr, mais c’est une année auparavant que Montréal fut frappée d’une ferveur inégalée en tant que terre d’accueil de la F1.
2011: Je terminerai ce retour dans le temps par le GP de 2011. J’irai rapidement à l’essentiel, du point de vue sportif : l’épreuve fut complètement folle, neutralisée à 6 reprises (un record) et demeure encore aujourd’hui la plus longue de l’histoire de la F1, en 4 heures, 4 minutes et 39 secondes! Si les conditions météo ont dicté largement ce chaos inhabituel, Jenson Button n’a pas moins mérité sa victoire, l’une des plus belles courses de sa carrière, dira-t-il longtemps après, où il passa de la dernière à la première place en vertu des circonstances, certes, mais aussi par un pilotage exceptionnel.
Mais si je place l’événement de 2011 dans mon Top 5 et comme je l’écrivais dans une autre chronique sur les 50 ans de F1 au Canada, c’est à cause de l’extraordinaire réaction des spectateurs du circuit Gilles-Villeneuve que je revis encore quantité d’émotions en souvenir de ce GP. Au cœur même du pire des précipitations et du vent et tout au long de l’interruption de deux heures, les gens ont refusé de quitter les tribunes et le circuit! Ils ont continué à espérer que la course reprenne et à saluer les téléspectateurs du monde entier, dès qu’une caméra était braquée sur eux. Pendant ce temps, les extraordinaires travailleurs de piste faisaient des miracles, de leurs mains, pour chasser l’eau et aider au drainage. Les officiels de la course ont vu cela et ont résisté à la tentation de mettre fin à l’épreuve, permettant ainsi la suite et la conclusion de cette course mémorable.
À tous les commentaires élogieux exprimés envers le GP du Canada à Montréal, au fil des ans, s’est ajouté rien de moins qu’une grande dose d’admiration de le part des pilotes, des chefs d’écuries, du personnel technique et des dirigeants de la F1 envers le public du circuit Gilles-Villeneuve. Si l’événement a souvent été applaudi pour ses courses enlevantes et son organisation de première qualité, il fut cette fois salué pour sa vraie base constituante : la passion pure de ses milliers et milliers de fans!