Par Bertrand Houle - Il y a les souvenirs qui sont entrés dans la mémoire collective : la victoire de Gilles Villeneuve en 1978, la victoire de Jean Alesi en 1995, les années de Jacques Villeneuve, etc. Mais il y a les souvenirs plus personnels, les moments qui refont surface lorsque l'on repense à toutes ses années. Mes premiers moments ont été vécus sur les circuits, en tant que commissaire de piste.
En bord de piste
1978: Le premier Grand Prix, c'est la boue. Hé oui, le circuit était terminé, mais pas les abords de la piste. Une petite bande de gazon, puis de la terre. Devenue de la boue avec la pluie.
Une sortie de piste d'une voiture, c'était l'enlisement garanti. Et qui aidait le pilote à s'en sortir ? Les commissaires de piste, dont je faisais partie (à gauche sur la photo).
1986: Séance de qualification. Ça se décide entre Ayrton Senna, celui que l'on surnomme déjà Magic, sur sa Lotus noire, et Nigel Mansell sur Williams. Au sein du groupe de signaleurs où je suis en fonction, nous sommes tous des fans du Brésilien.
À noter qu'à l'époque les moyens de communication étaient plutôt limités. Toute l'information passait par le système de ligne téléphonique qui reliait tous les postes de commissaires de piste. Seuls les renseignements primordiaux circulaient.
Fin de la séance de qualifications: on ne connaît évidemment pas les résultats. Voilà Senna qui roule lentement en retournant aux puits.
Il s'approche de notre poste de signaleurs. Avec enthousiasme, on lui fait "1" avec l'index. Il nous répond "2"... il n'était que deuxième. Mais quelle joie de savoir que le grand Senna nous avait vus et nous avait répondu !
1989: Je suis en poste au bout de la ligne droite du Casino, soit avant les Esses des puits. Donc pas d'écran géant.
Les voitures passent au ralenti devant nous, puis disparaissent pour aller se placer sur la grille. Les moteurs grondent puis s'emballent au moment du départ.
On attend. On sait que les voitures vont arriver dans une minute et demie.
Voilà Nigel Mansell (Williams) et Alessandro Nannini (Benetton). Seulement deux voitures ? Des pilotes qualifiés 5e et 13e ? On se met à penser à un carambolage monstre quelque part sur le circuit.
Puis le peloton arrive ! Une vingtaine de voitures ! Alors là confusion totale, on se gratte la tête, on n'y comprend rien.
Ce n'est qu'après la course qu'est venue l'explication. À l'issue du tour de chauffe, Mansell et Nannini sont allés directement aux puits pour changer de pneus. Le problème: ils sont aussitôt ressortis, devant le peloton qui attendait le départ ! D'où leur disqualification après quelques tours.
1994: Pluie à partir de la mi-course. Mark Blundell met sa Tyrrell dans le mur. À l'endroit qui ne portait pas encore le célèbre nom de Mur du Québec (en raison d'une commanditaire de Tourisme Québec), devenu plus tard Mur des Champions grâce aux efforts des Schumacher, Villeneuve, Button et Vettel.
Suspension brisée, il faut dégager la voiture en la soulevant avec une grue. Mon collègue Christian Philippe se dirige vers la voiture pour attacher la sangle descendue par l'opérateur de la grue située derrière le mur. On va dégager cette voiture dans un temps record.
Mais l'opération n'est pas si simple: l'ami Christian ne trouve pas de place pour passer la sangle ! Il doit bien avoir un espace quelque part. Introuvable !
Un mécanicien de l'écurie Tyrrell s'approche de nous, Il fait signe à Christian qui doit traverser la piste pour recevoir ses consignes. C'était pourtant simple: il fallait enlever le siège du pilote pour trouver un endroit où passer la sangle ! Fallait deviner !
Je vous signale que par la suite des ouvertures bien identifiées ont été obligatoires sur les voitures...
En observateur
Comme commentateur ou simple spectateur (au début de son mandat, RDS ne diffusait pas le Grand Prix du Canada), d'autres moments remontent à la mémoire.
2007: La joie de découvrir un talent rare. Lewis Hamilton, à sa première saison, fait la vie dure à son coéquipier, le double champion du monde Fernando Alonso. Il signe sa première victoire à Montréal.
2008: À Montréal, en 2007, Robert Kubica se sort indemne d'un violent accident qui aurait pu lui coûter la vie, alors que sa BMW-Sauber percute un mur de ciment à haute vitesse à l'approche de l'épingle Est, avant de se retourner et d'entamer une longue glissade.
L'année suivante, il signe sur le même circuit sa première et seule victoire. Incroyable, non ?
Autant il a été chanceux de s'en sortir en 2007, autant il a bénéficié de circonstances favorables pour monter sur la plus haute marche du podium.
Après un arrêt aux puits, Kimi Raikkonen (Ferrari) s'arrête à la sortie des puits car il y a un feu rouge qui lui interdit de reprendre la piste. Feu rouge que ne remarque pas Lewis Hamilton (McLaren) qui percute l'arrière de la Ferrari. Ce double abandon ouvre la porte à Kubica.
2011: La victoire la plus rocambolesque de l'histoire du Grand Prix du Canada ? Jenson Button, après un accrochage avec son coéquipier Lewis Hamilton, après six passages aux puits (dont un pour servir une pénalité), après être tombé dernier, se retrouve en deuxième place en fin de course.
Le meneur est Sebastian Vettel, sur l'invincible Red Bull. Vettel part en glissade au virage 7 (où personne ne part en glissade !) lors du dernier tour et Button passe en tête !
Regrets ?
Un seul.
J'aurais bien aimé assister aux Grands Prix du Canada 1968 et 1970. Sur le Circuit du Mont-Tremblant. Une superbe piste, avec des courbes rapides, des virages lents, des dénivellations. Tout pour tester un pilote et sa voiture.
Ce devait être quelque chose !