Après cinq saisons dans la Ligue canadienne de football avec les Blue Bombers de Winnipeg, Michel-Pierre Pontbriand est revenu à la maison en 2017 avec une idée en tête : faire du programme de football des Dynamiques du Collège Charles-Lemoyne une référence l'échelle provinciale. Un an plus tard, menée par l'ambitieux entraîneur-chef, l'équipe juvénile faisait le saut en Division 1, l'équivalent du Midget AAA au hockey. En octobre dernier, à trois jours du premier match éliminatoire de l'histoire du programme à ce niveau, le RDS.ca a suivi Pontbriand à la trace pendant toute une journée.
SAINTE-CATHERINE, Québec - C'est l'Halloween au Collège Charles-Lemoyne. Michel-Pierre Pontbriand veut bien jouer le jeu, mais enfiler la chemise de baseball des Dynamiques qu'il portait il y a 20 ans n'est pas l'idée du siècle. Elle lui pète sur le dos. À 35 ans, cet ancien des Blue Bombers de Winnipeg dans la Ligue canadienne de football (LCF) a toujours la carrure du centre-arrière qu'il était encore il y a trois ans.
Le déguisement, ce sera donc pour l'année prochaine. Pas le temps d'improviser une solution de rechange. Plongé dans la pénombre de son bureau de l'école secondaire privée qu'il a jadis fréquentée et qui l'emploie aujourd'hui, le coordonnateur de sports a 140 fiches informatiques d'élèves en concentration sportive intensive à mettre à jour.
Deux heures, c'est le temps qu'il espérait consacrer à cette tâche ce matin avant que ses trois boîtes de courriels ne commencent à se remplir. Avant qu'on ne cogne à sa porte. Avant que le téléphone ne se mette à sonner.
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10 h 44
« Oui, bonjour? »
Au bout du fil, la mère d'un futur joueur de l'équipe de football de niveau benjamin (secondaire 1) s'interroge. Est-il vrai que si son fils continue de jouer dans le football civil l'été prochain, il ne pourra se joindre comme prévu aux Dynamiques à son arrivée en secondaire 1?
« Lorsque votre enfant joue au civil l'été, il ne peut pas jouer dans les rangs scolaires. Il ne peut pas. Au civil, ils font signer des contrats d'appartenance », confirme Pontbriand avec désolation.
Et s'il opte pour le football scolaire, se peut-il qu'il ne joue pas en raison de son jeune âge?
« Je tiens à vous le dire, en secondaire 1, tout le monde joue. Tout le monde joue, insiste Pontbriand. Je les forme aussi à différentes positions. Ce n'est pas vrai que si votre enfant joue linebacker présentement qu'il va jouer linebacker toute sa vie. »
Pendant 15 minutes, Pontbriand expose à son interlocutrice les bienfaits du football scolaire : développement, encadrement académique, discipline, éthique sportive. C'est ce qui lui a notamment permis d'atteindre les rangs universitaires, de remporter trois coupes Vanier avec le Rouge et Or de l'Université Laval et de compléter un baccalauréat en administration.
Après un échange d'une quinzaine de minutes, Pontbriand raccroche. Il a marqué des points. Elle le rappellera sans doute.
« Le téléphone sonne souvent », note-t-il en redirigeant son regard sur l'un de ses deux écrans d'ordinateur. Le tape du Noir et Or du Cégep de Valleyfield, à qui il offre bénévolement son expertise, vient de rentrer. Il ne peut s'en empêcher : il regarde un jeu. Puis un autre.
« On va aller à la caf , se ressaisit-il rapidement. On va aller voir ce qui se passe là. Les kids sont supposés de chanter. »
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11 h 08
C’est le party dans la cafétéria. Sur une scène spécialement aménagée pour l’occasion, les élèves se succèdent au micro pour une dernière occasion de chanter avant que le concours de costumes ne prenne le relais. Pontbriand observe brièvement le spectacle avant de se tourner vers une dizaine de membres de son unité offensive, attablés tout près.
« N’oubliez pas que vous devez aller chanter », rappelle-t-il au meneur du groupe, le quart-arrière Vincent Laplante, qui promet d’honorer le pari perdu la veille à l’entraînement face à l’unité défensive.
Amusé, Pontbriand repère aussitôt aux abords de l’estrade quelques-uns des colosses de sa ligne offensive, à qui il s’empresse de remémorer l’engagement. Malgré de belles promesses, certains d’entre eux fileront en douce à la première occasion.
« Vous le ferez demain », capitule Pontbriand, qui a pour l’instant un dossier plus sérieux à régler.
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11 h 17
Le temps de se faufiler entre quelques tables de la cafétéria et de complimenter un enseignant costumé de la tête au pied en joueur de football des Dynamiques, Pontbriand arrive à destination. Il n'aime pas ce qu'il voit. Anthony Filip Rodriguez, son receveur partant et botteur no 1, ne devrait pas être ici. Au beau milieu du vacarme, les deux yeux sur son cellulaire.
« Viens ici », ordonne gentiment Pontbriand à celui qui a subi une légère commotion cérébrale lors du dernier match de la saison régulière il y a quatre jours.
« On t'avait dit de lâcher ton cell. T'as mal à la tête et tu es ici avec tout ce bruit. Sois brillant », exhorte l'entraîneur-chef avant d'annoncer à l'adolescent repentant la décision qu'il a prise en matinée.
« Je te rule out. Tu ne joues pas samedi. »
« Mais coach, je suis correct! Je n'ai plus mal à la tête et j'ai bien dormi », supplie l'élève de secondaire 4 au bord des larmes.
« Reste confiant, je fais ça pour toi. »
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11 h 37
Dans le bureau des entraîneurs, une modeste enclave du vestiaire de football, Pontbriand mange la première portion d'un repas cueilli en vitesse à la cafétéria : trois sandwichs bagel, jambon, laitue, tomates préparés à l'avance par les employées de la cantine. Comme d'habitude.
« Elles connaissent par cœur ce que je mange », note-t-il alors que Benoît Groulx et Sébastien Archambault, deux membres de son personnel d'entraîneurs, font leur entrée dans le vestiaire pour y déposer leurs effets personnels.
Pontbriand profite de l'occasion pour leur présenter le plan de la journée et annoncer à Groulx, son coordonnateur offensif, qu'il ne pourra compter sur les services de Rodriguez samedi, pour le match quart de finale face aux Aigles du Collège Jean-Eudes.
« Tu as bien fait, pour vrai. Je ne pense pas que tu peux niaiser avec ça », approuve Groulx, l'ancien quart-arrière du Rouge et Or avec qui Pontbriand a remporté la troisième de ses trois coupes Vanier en 2006.
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11 h 56
Coach Pont est de retour entre les murs de l'école. Alors que les joueurs des équipes cadet (secondaire 2 et 3) et benjamin l'attendent au local 242 pour une session vidéo, les juvéniles sont réunis dans le local 247 pour une période d'étude.
« Et si on n'a pas vraiment de devoirs? », demande William Tremblay, un secondeur de 16 ans, en entrant dans la salle de classe.
« Embarque sur le tape », répond Pontbriand avant de s'adresser au reste du groupe.
« Let's go, silence SVP. Tu fais tes affaires. Les devoirs, c'est là que ça se passe! »
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12 h 23
Pontbriand doit faire un bref arrêt à son bureau. Une douzaine de cheerleaders dont il assume également la supervision à titre de coordonnateur de sports n'ont pas encore reçu leurs t-shirts aux couleurs de l'école.
« Il manque deux smalls? Venez me revoir demain midi », s'excuse-t-il aux deux plus petites d'entre elles.
« Merci Pont. »
Pontbriand referme la porte de son bureau et amorce sa marche de retour vers le local 242 lorsqu'un collègue l'intercepte dans un corridor adjacent pour discuter du dernier match des juvéniles, vaincus 63-56 par le Collège Jean-Eudes alors qu'ils menaient pourtant 49-21 à la mi-temps.
« On a juste connu un 3e quart exécrable. [...] La défense a joué 87 jeux. Une game, d'habitude, c'est 87 jeux au total », résume Pontbriand, avant d'inviter son confrère à poursuivre la discussion plus tard autour d'un café.
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12 h 30
Les lumières s'éteignent. Le cours Football 101, auquel sont conviés une trentaine de joueurs des Dynamiques de niveaux benjamin et cadet, s'amorce dans le local 242.
« On va regarder une vidéo de la pratique de la semaine passée », annonce professeur Pontbriand, assis en retrait à l'avant de la classe. Il se limite au strict minimum. Deux jeux suffisent. Aujourd'hui, on ne travaille que la terminologie.
« C'est quoi un PUP Drill? »
« Comment s'appelle le linebacker aligné du côté faible? »
« Et du côté fort? »
« C'est quoi la Couverture 3? »
Pontbriand enchaîne les questions et tente tant bien que mal de conserver pendant 45 minutes l'attention parfois volatile de ses jeunes étudiants.
« Si tu trouves ça dur, je comprends. Ça se peut que ce soit du charabia ou du chinois pour toi », concède Pontbriand au son de la cloche qui annonce la fin de la période. « Ce qui est sûr et certain, c'est qu'à force de le répéter, ça devient un automatisme et tu vas voir que ta game va devenir plus facile. All right guys? »
« Yes Coach! »
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13 h 49
Sa réunion avec deux entraîneurs de soccer maintenant terminée, Pontbriand accueille dans son bureau le représentant de l'équipementier Nike qui attend son tour depuis une vingtaine de minutes déjà.
« Il commence à être temps que tu viennes! », plaisante d'emblée Pontbriand en jetant un coup d'oeil aux chandails à capuchon qu'on vient de lui livrer. « Les track-suits sont-tu arrivés? Et mes casques noirs? », se renseigne-t-il avant d'inviter son visiteur à le suivre jusqu'au vestiaire.
En route, Pontbriand s'arrête à répétition. Tantôt pour ramasser des emballages de bonbons laissés par terre, tantôt pour accoster l'un de ses protégés errant dans un couloir.
« Qu'est-ce que tu fais? Tu t'en vas où? »
« Voir la physio. »
La réponse satisfait Pontbriand. Il accélère le pas.
Une fois arrivés, Pontbriand et son fournisseur sillonnent le vestiaire à la recherche de la douzaine de casques dont les mentonnières sont trop grandes ou trop petites. Les coupables sont vite identifiées. Coach Pont peut retraiter dans le bureau des entraîneurs pour prendre une bouchée de son deuxime sandwich, et surtout, partir « MVP ».
La cafetière.
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14 h 19
Premier moment de détente de la journée, aussi éphémère soit-il.
« Ça sent le café, ça commence à être bon », apprécie Pontbriand, au moment même où Souleymane Camara, son porteur de ballon étoile, débarque. Il lui explique qu'il doit écrire sur un bout de papier qu'il consent à ce que sa mère obtienne en son nom les radiographies de son pied dont l'équipe a besoin pour déterminer s'il sera oui ou non en mesure de jouer samedi.
S'ensuit un échange téléphonique avec le personnel de l'Hôpital Anna-Laberge de Châteauguay. Pontbriand tente d'expliquer qu'il n'a pas de télécopieur à sa disposition pour expédier le consentement et qu'il a plutôt envoyé une photo de celui-ci par message texte à la mère de Camara, présente sur place.
« On va l'avoir », espère-t-il.
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14 h 40
Le vestiaire des Dynamiques grouille de vie. D'un côté, les juvéniles enfilent casques, épaulettes et crampons en prévision de la séance d'entraînement qui débutera sous peu. De l'autre, les entraîneurs franchissent un à un le seuil de la porte du local qui leur est réservé. Pascal Fils, un ancien porteur de ballon du Vert et Or de l'Université Sherbrooke et des Eskimos dEdmonton, a apporté des beignes qu'il range aussitôt dans un petit réfrigérateur.
« Chaque fois qu'on amasse au moins 200 verges par la course, je dois une douzaine de beignes aux joueurs de ligne offensive. Je le faisais quand je jouais avec le Vert et Or. Quand on gagnait 300 verges, c'était de la pizza », explique celui qui veille au bon rendement des porteurs de ballon des Dynamiques, ainsi qu'au développement de l'équipe benjamin.
Groulx et Archambault, l'entraîneur de la ligne offensive, révisent quant à eux les jeux qu'ils mettront bientôt à l'essai. Pontbriand, lui, amorce son rituel. Il connecte son cellulaire au haut-parleur Bluetooth dont il semble ne jamais vouloir se séparer et actionne sa playlist.
N.W.A, Snoop Dogg, The Notorious B.I.G, Dr Dre, 2Pac... C'est au son du rap des années 1990 et du début des années 2000 que Pontbriand et son personnel d'entraîneurs ont l'habitude d'achever leur préparation avant chaque pratique et chaque match.
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14 h 58
C'est l'heure pour « MVP » de se rendre utile. Pontbriand saisit une gourde vide à l'effigie des Dynamiques et la remplit de café. La pratique peut commencer.
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16 h 03
Ça ne roule pas comme le voudrait le coach. À trois jours du match revanche contre le Collège Jean-Eudes, l'intensité et le sérieux font défaut. Un rappel à l'ordre s'impose. Pontbriand siffle et convoque tous ses joueurs au centre du terrain.
« Écoutez-moi bien! Il y a des équipes qui ne jouent plus au football à l'heure actuelle et ce n'est pas par choix. Ce sont des équipes qui n'ont plus l'opportunité, la chance et le privilège que t'as de vivre le trip de boys que tu vis présentement », souligne Pontbriand au groupe qui, selon plusieurs, devait connaître une première saison de misère en Division 1.
Les Dynamiques (4-4) ont plutôt conclu la campagne au quatrième rang du classement général d'une ligue comptant neuf équipes.
« T'as eu une saison extraordinaire. Je te le dis, ça tient du miracle. Mais ça ne veut plus rien dire à partir de maintenant. [...] Tu veux gagner une game? Tu veux jouer 48 minutes? Eh bien là je te donne ce privilège. Il reste deux 20 minutes à [la pratique]. Un pour l'attaque, l'autre pour la défense, et après ça c'est les one-on-one. En théorie, il reste donc 48 minutes, c'est comme une game de foot. J'apprécierais s'il te plaît que tu prennes la bonne décision. [...] Tu l'as gagnée, tu l'as méritée ta place dans les playoffs. La preuve, c'est que tu as l'avantage du terrain. Tu rentres par la grande porte! C'est important que tu aies confiance en toi. »
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16 h 52
La pratique s'achève comme à l'habitude sur une partie de un contre un opposant les membres de l'attaque à ceux de la défense. L'enjeu est de taille. Demain midi, les perdants devront ramasser les cabarets de tous les étudiants réunis dans la cafétéria.
« On va se faire une game de 5, propose Pontbriand. Je vais être là demain avec vous autres et je ne veux pas voir un groupe qui se sauve! »
Propulsée par deux passes de touché captées successivement par le porteur de ballon Angel Vital et le receveur Kenzy Paul, l'attaque prend les devants 4-3. La tension est palpable.
« C'est comme s'ils jouaient au Super Bowl », observe Pontbriand, tout en s'interrogeant à savoir pourquoi certains de ses joueurs n'arrivent toujours pas à transposer cette énergie en situation de match. Si seulement son équipe jouait avec le même entrain de la première à la 48e minute, rêvasse-t-il au moment de mettre un terme à l'exercice et, du même coup, à la pratique.
« Fais tes devoirs; tes devoirs football et tes devoirs d'école. Continue aussi de travailler ton leadership dans l'école. Distribue de l'amour à tes parents. [...] Prends soin de toi ce soir. On se revoit demain.
« Pis defense, demain midi, you gotta do what you gotta do. »
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17 h 38
Après un ravitaillement au vestiaire et une brève discussion avec la thérapeute de l'équipe Vanessa Faro, qui ne peut pour l'instant confirmer la participation de Camara au match de samedi, Pontbriand est de retour sur le terrain. C'est au tour des cadets de s'entraîner.
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19 h 16
Pont est fier de sa troupe, particulièrement de l'unité défensive qui a su donner du fil à retordre à l'attaque malgré l'absence de certains de ses membres qui ont préféré faire du porte-à-porte en cette soirée d'Halloween.
« Je te félicite, tu as pratiqué en champion des deux côtés de la balle. Vous avez une belle éthique. Demain, c'est une autre journée de préparation. Tout le monde est là demain? », s'informe Pontbriand.
« Yes Coach! »
Les joueurs sont libérés. Pendant que ceux-ci filent en vitesse au vestiaire, Pontbriand monte à bord de son kart de golf et arpente le terrain à la recherche de la moindre pièce d'équipement oubliée. Un ballon, un gant, une gourde, un cartable...
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19 h 31
Pontbriand verrouille la porte du vestiaire derrière lui et se dirige vers l'école pour regagner son bureau et lire les courriels reçus en son absence avant de rentrer à la maison, où une session vidéo l'attend. Il décortiquera d'abord la dernière pratique de ses juvéniles, puis celle du Noir et Or jusqu'à 1 h du matin au plus tard. Car demain, il compte se pointer plus tôt au boulot. Il a encore 140 fiches informatiques à mettre à jour.
« Ça fait deux mois que c'est intense comme ça, mais j'en referais deux autres comme ça demain matin. »