Les Alouettes ont amorcé la dernière étape de leur régime minceur. Les premières coupures ont été annoncées vendredi et il y en aura assurément d’autres après que vous ayez lu cette chronique mais déjà, on détient une autre preuve qu’au football professionnel – et c’est encore plus vrai dans la Ligue canadienne – il y a plus que le rendement lors des matchs préparatoires qui entrent dans l’équation quand vient le temps de spéculer sur le destin de joueurs qui luttent pour un poste.

Nous nous servirons ici du malheur de Quinton Porter pour renforcer cette théorie.

Il y a énormément d’ingrédients qui entrent dans la recette qui permet à un groupe d’entraîneurs et aux autres membres des opérations football de tirer des conclusions et qui mène à la composition d’une équipe. La plupart des amateurs se contentent de jeter un coup d’œil rapide aux statistiques des matchs préparatoires, mais il ne faut pas oublier que les Alouettes ont tenu un mini-camp en Floride, un camp des recrues auquel ont participé les quarts-arrières, des entraînements quotidiens pendant le camp d’entraînement, des réunions d’équipe...

Porter avait bien fait lors du premier test présaison contre les Tiger-Cats de Hamilton. Sa performance avait suscité de nombreuses discussions, on pensait avoir enfin trouvé le bon gars pour épauler Anthony Calvillo. Mais coup de théâtre! À moins d’une semaine du début de la saison, Porter est à la recherche d’un boulot.

Dans le fond, il faut comprendre que la direction des Alouettes a donné plus de poids à tout ce j’ai énuméré plus tôt qu’à une seule performance dans un match préparatoire. Et à mes yeux, c’est un raisonnement tout ce qu’il y a de plus sensé. Au football, tu es toujours à la recherche de constance, surtout à la position de quart-arrière. Peux-tu te démarquer à chaque pratique, à chaque rencontre d’équipe? C’est probablement parce que Porter n’aurait pu répondre par l’affirmative qu’il n’est déjà plus à Montréal.  

J’en avais glissé un mot dans ma chronique précédente. Sur le terrain de l’Université Bishop’s, c’était clair que Josh Neiswander roulait avec la deuxième unité et que Porter semblait être tassé. Ses coups d’éclat contre Hamilton l’avaient ramené dans la discussion, mais au final, son rendement une semaine plus tard à Toronto – 2-en-9, 13 verges, un ballon échappé – aura cloué son cercueil.

Encore une fois, un match ne fait pas foi de tout. De notre point de vue extérieur, il y a des données qu’on ignore. Il ne faut jamais l’oublier.

Aussi, il faut croire que les jeunes quarts qui étaient en compétition avec Porter, en l’occurrence Neiswander et Tanner Marsh, ne sont pas si loin du niveau de jeu du vétéran aux yeux des évaluateurs des Alouettes. La logique de Jim Popp a pu ressembler à ceci : Porter coûte plus cher et à la mi-saison, il est fort possible que les jeunes, avec un peu plus d’expérience, l’aient devancé dans la hiérarchie de l’équipe. Aussi bien accélérer le processus.

Neiswander a déjà un bras plus puissant que Porter, un œil moindrement averti le constate rapidement. Le fait qu’il obtenait le plus de répétitions après Calvillo était aussi un détail important à prendre en considération dans l’évaluation du personnel. Le temps d’utilisation dans les entraînements va au mérite, ce n’est pas quelque chose qui se décide à la courte paille!

Pour ce qui est de Marsh, c’est un jeune que je connaissais moins, mais qui m’a rapidement impressionné par son langage corporel et son assurance. Je ne sais pas si c’est le résultat d’une belle naïveté, mais j’ai trouvé qu’il jouait avec beaucoup d’aplomb. Sur les quelques jeux qu’il m’a été permis de voir, il était droit comme un chêne et savait exactement où il s’en allait.

On ne partira pas en peur, on va lui donner le temps, mais je ne dois pas être le seul intrigué par son potentiel.

Et pour ceux qui demeurent inconsolables devant le départ de Porter, dites-vous que vous pourriez le revoir plus rapidement que vous ne le pensez. En tout cas moi, si j’avais le pouvoir de prendre des décisions dans les bureaux des Blue Bombers de Winnipeg, l’adversaire des Alouettes lors des deux premiers matchs du calendrier régulier, j’envisagerais sérieusement la possibilité de lui lâcher un petit coup de fil.

Porter serait une belle police d’assurance derrière Buck Pierce, un quart aussi talentueux que fragile, mais il pourrait certainement révéler quelques secrets sur les façons de faire à Montréal. Ça vaut ce que ça vaut, vous me direz, mais ce ne serait certainement pas la première fois qu’on verrait ça au football professionnel!

Un message de l’entraîneur recrue

Lorsque Don Matthews est arrivé à Montréal en 2002, il n’avait pas encore défait toutes ses boîtes qu’il a pris l’audacieuse décision de se débarrasser d’un certain Mike Pringle. Comme message, ça ne pouvait pas être plus percutant.

Son successeur, Marc Trestman, a aussi créé une onde de choc dès le début de son règne en renvoyant T.J. Hill, qui était le leader de la défensive, et Reggie Hunt.

Ces souvenirs me sont revenus en tête pendant que j’observais le déroulement du premier camp d’entraînement de Dan Hawkins. Quel geste poserait-il pour signaler sa présence, pour faire comprendre à ses joueurs qu’une nouvelle ère allait débuter?

Porter fait maintenant partie de la réponse. Y aura-t-il d’autres surprises du genre? D’autres vétérans – je pense notamment à Jerald Brown – passeront-ils sous la guillotine? Il ne faudrait pas s’en étonner.

Calvillo : le choix sensé

Revenons sur le dossier des quarts-arrières et discutons un peu du bon vieux Anthony Calvillo.

J’aurais aimé voir AC à l’œuvre un peu plus souvent au cours des dernières semaines, mais je comprends très bien la particularité de la situation. Voyez ce qui s’est passé à Edmonton. Matt Nichols bataillait pour le poste de numéro un chez les Eskimos, mais au premier match préparatoire, il a subi une déchirure du ligament croisé antérieur. Sa saison est terminée.

Alors quand je vois que Calvillo a seulement décoché 13 passes pendant le calendrier présaison, alors qu’il doit apprendre un nouveau système, j’ai mes réserves... mais en même temps j’apprécie le fait qu’il soit en santé et qu’il sera à son poste pour le début de la vraie saison à Winnipeg. Et dans le fond, c’est ce qui est important. Ma logique : je suis prêt à me contenter d’un début de saison un peu plus lent pour m’assurer que le joueur qui m’est le plus utile y participe.

D’ailleurs, vous vous souvenez de ce qui s’était passé l’an dernier? Calvillo avait boudé le premier match préparatoire et n’avait dirigé qu’une seule série dans le deuxième. Puis, lors de l’ouverture de la saison à Calgary, le désastre : taux de passes complétées de 51%, gains de 174 verges, deux interceptions, défaite de 38-10.

C’était un départ tout croche, et ce même s’il s’agissait d’une cinquième saison à l’intérieur du système de Trestman. Mais tout est rentré dans l’ordre la semaine suivante : 443 verges par la voie des airs avec trois passes de touché.

On ne souhaite pas de faux départ à Calvillo jeudi contre les Blue Bombers, mais si jamais c’est le cas, n’appuyons pas sur le bouton de panique et laissons-lui un peu de temps. Et si mon appel à la prudence vous déplaît, vous pouvez toujours analyser le prochain début de saison d’un angle plus encourageant.

Cette année, Calvillo travaillera dans un troisième système offensif différent depuis 2002.  Quand Matthews est arrivé avec son coordonnateur offensif Jim Barker, non seulement AC avait-il dû repartir à zéro, mais on lui avait donné la chance de choisir ses propres jeux. Résultat : il avait quand même lancé pour plus de 5000 verges cette année-là avec 27 passes de touché et dix interceptions.  

En 2008, sous l’égide de Trestman, Calvillo avait connu un camp d’entraînement relativement court et avait à peine participé aux matchs préparatoires. Ses chiffres en saison régulière : des gains de 5633 verges – son plus haut total de l’ère Trestman – 46 passes de touché et seulement 13 interceptions.

Conclusion : l’histoire nous dit qu’Anthony Calvillo est capable d’apprendre vite.

Un conseil pour Hawkins

Je m’adresserai ici directement à l’entraîneur Dan Hawkins et à son bras droit en attaque, Mike Miller.

Messieurs, je ne veux pas qu’Anthony Calvillo roule le système offensif de Dan Hawkins. Je ne veux pas non plus qu’Anthony Calvillo roule le système offensif de Mike Miller. Ce que je veux, c’est qu’Anthony Calvillo roule le système offensif... d’Anthony Calvillo.

La nuance est très importante. Il faut s’assurer que le général de l’attaque soit à l’aise dans le nouvel environnement qui lui est imposé. C’est la clé. Tu peux arriver avec un paquet de bonnes idées et la volonté de t’imposer dans tes nouvelles fonctions, mais si ton quart n’est pas confortable, ça ne fonctionnera pas.

La principale force de tous les grands quarts-arrières, un groupe dont Calvillo fait assurément partie, c’est la lecture du jeu et l’anticipation. Le doyen des Alouettes sait généralement ce qui va se passer avant même que le jeu ne débute. Il sait où il va lancer le ballon bien avant qu’on le lui remette. Il est donc important de lui présenter des concepts qu’il assimile bien, qu’il est capable de disséquer rapidement.

Doug Flutie, avec qui j’ai joué, et Danny McManus, deux autres quarts de premier plan qui ont eu de longues carrières, étaient faits dans le même moule. Ils pouvaient dégainer en deux ou trois secondes. Il s’agit là de la meilleure protection : pas de sac du quart, pas de contact indésirable. Quand on arrive dans la quarantaine, c’est une protection qui se prend bien!  

Une exécution de cette qualité est aussi le plus beau cadeau qu’on puisse faire à une ligne à l’attaque.

Je ne veux rien enlever à l’unité des Alouettes, qui est excellente, mais je crois que je pourrais amener ma gang de 2001, les Okeke, Fort, Chiu, Flory et moi-même, et je crois qu’on serait encore capable de faire le travail! Quand tu comptes sur un quart qui décoche aussi rapidement, ça fait vraiment la différence! C’était la même chose à Toronto. Je pensais qu’on avait une bonne ligne à l’attaque à l’époque, mais c’est clair que Doug nous faisait bien paraître.

Une statistique m’a particulière agacé pendant le camp d’entraînement. Au-delà du fait que Calvillo n’a lancé que 13 passes, je me souviens surtout des deux qu’il n’a pas décochées... parce qu’il s’est retrouvé sur le derrière. Dans chacun des matchs préparatoires des Alouettes, un jeu s’est terminé avec un sévère sac encaissé par le quart partant.

Calcul rapide : c’est un sac à toutes les 7,5 passes tentées. C’est trop à mon goût.

Je ne veux pas partir en peur, je sais que l’échantillonnage est minuscule! Mais je n’y peux rien, je n’aime pas ça. Surtout que les deux solides plaqués ont été réalisés par des plaqueurs et ont donc pris origine au centre de la ligne. Le centre, c’est le chemin le plus court entre le point A et le point B, entre le côté ennemi des tranchées et celui qu’on tente de protéger. Ça me dérange un peu.

Donc, l’important, c’est qu’il s’installe une collaboration extraordinaire entre Anthony et ses entraîneurs. Le coach doit être capable de l’impliquer dans le processus décisionnel. Que préfères-tu dans telle situation? Es-tu à l’aise avec cette idée? Que changerais-tu dans cette protection? Il faut à tout prix entamer ce genre de discussion pour pouvoir mieux peser les « pour » et les « contre ».

Si tu ne t’assures pas de donner à ton quart-arrière tous les outils pour réussir, tu cherches le trouble. Surtout quand il s’apprête à fêter ses 41 ans!

Ça n’a pas fini de bouger

L’heure limite pour compléter l’alignement approche, mais ça ne veut pas dire que rien ne changera une fois que la cloche aura sonné.

Avant le match contre les Argonauts, il y avait 86 noms sur la liste de Jim Popp. Quatre d’entre eux sont suspendus, donc on tombe en 82. Onze ont depuis été retranchés, ce qui nous amène à 71.

On peut s’y perdre assez facilement, mais pour l’instant, dites-vous que les Oiseaux vont garder le contrôle sur un minimum de 57 joueurs : les 46 réglementaires au sein de l’alignement, les neuf qu’il est permis de placer sur l’équipe de pratique et deux autres dont le nom se trouve déjà sur la liste des blessés de neuf semaines.

Connaissant Jim Popp, il devrait également agrandir son lot en mutant quelques joueurs sur la fameuse liste des blessés d’une semaine. D’autres équipes utilisent de plus en plus cette tactique, mais historiquement, les Alouettes ne se sont jamais gênés pour le faire. D’autant plus qu’avec un nouveau personnel en place, les décisions ne sont pas toujours évidentes. Il faut s’attendre à ce qu’on achète un peu de temps en laissant de côté de cette façon le fruit de quelques indécisions. Si le joueur concerné est prêt à accepter ce sort, c’est rempli de bon sens.

Et à ceux qui ont déjà appris qu’ils « faisaient le club », j’offre toutes mes félicitations, mais je demande aussi de ne pas célébrer trop vite. La fin du camp fera des victimes aux quatre coins de la LCF et qui sait si un mal-aimé d’une autre équipe ne fera pas l’affaire des Alouettes?

Ça, pour un joueur, je dois avouer qu’il n’y a rien de plus frustrant pour un joueur. Tu te farcis un camp complet, tu te fais dire que tu fais l’affaire et 48 heures plus tard, on te remplace par le rejet d’une autre équipe.

Disons que la semaine qui précède le début de la saison est toujours rock’n roll dans la Ligue canadienne. Alors célébrez les bonnes nouvelles messieurs, mais souvenez-vous qu’il ne faut jamais rien prendre pour acquis!

*Propos recueillis par Nicolas Landry.