La Ligue canadienne est un circuit unique à plusieurs points de vue. On y voit des choses qu’il serait impensable d’imaginer ailleurs dans le monde du football. Voir deux équipes s’affronter dans des matchs consécutifs - et pour commencer la saison de surcroît! - est l’une d’elles.

Et c’est exactement le scénario pour lequel se préparent présentement les Alouettes et les Blue Bombers de Winnipeg.

Se préparer pour le même adversaire deux semaines de suite est une expérience particulière. Comme joueur, ce n’était pas un scénario qui me plaisait énormément. Je préférais de loin passer à autre chose et laisser la poussière retomber avant de revoir les mêmes visages.

Au lendemain d’une défaite, cette situation t’offre la possibilité de savourer ta vengeance rapidement. Si tu t’es fait rincer toute la journée sur les unités spéciales, par exemple, un match retour immédiat représente l’occasion idéale pour se reprendre. À l’opposé, si tu as bien paru dans le premier duel, tu abordes le prochain avec beaucoup de confiance.

Mais dans un cas comme dans l’autre, ça reste spécial puisqu’au niveau de ta préparation, tu révises exactement les mêmes choses que la semaine précédente. Généralement, le plan de match se ressemble et n’est assorti que de quelques variations.  Tu portes évidemment attention aux réussites et aux échecs qui ont ponctué la première partie pour apporter les ajustements nécessaires, mais ça demeure assez sommaire comme modifications tactiques.

Le football est un sport extrêmement stratégique. Avant chaque match, des tonnes de statistiques sont décortiquées afin d’en extraire des tendances qui pourraient nous procurer un avantage sur nos prochains adversaires. Mais quand ces statistiques ont été obtenues contre ta propre équipe seulement quelques jours plus tôt, les données sont quelque peu faussées. Plutôt que d’un nouveau plan de match, on se retrouve alors à élaborer ce qui ressemble davantage à un ajustement de mi-temps.

Dans le fond, c’est un peu comme si les joueurs des Alouettes et des Blue Bombers se trouvaient présentement au vestiaire et qu’on attendait le début de la deuxième demie d’un méga-match de huit quarts.

Dans des circonstances comme celle-là, la croyance populaire veut que l’équipe qui s’est inclinée lors du premier match débute le second avec un avantage puisqu’elle sait exactement sur quelles lacunes travailler pour revenir en force. Personnellement, c’est une théorie à laquelle j’adhère totalement.

Je n’ai pas sous la main les statistiques sur lesquelles appuyer mon intuition, mais je me souviens certainement de quelques expériences personnelles qui la rendent crédible. En 2009 ou en 2010, on s’était rendus à Calgary où on s’était fait laver par à peu près 30 points. Une raclée, une vraie! Mais les Stampeders étaient venus ici une semaine plus tard et on les avait plantés à notre tour par un pointage à peu près semblable.  

Je me répète, mais la semaine qui sépare une série aller-retour, c’est comme une pause à mi-chemin dans un match. À la mi-temps, l’équipe qui va bien ne fait pas de gros ajustements. Elle se motive, elle se crinque, elle veut maintenir le rythme tandis que dans l’autre vestiaire, les faiblesses sont plus concrètes et on travaille sur les points à améliorer.

Par contre, tout n’est pas aussi noir ou blanc dans le cas qui nous intéresse. Le match auquel nous avons assisté sur la pelouse manitobaine a été assez partagé. La première demie a été l’affaire des Alouettes, les Bombers ont complètement dominé le troisième quart et les visiteurs ont terminé en force. Les deux équipes vont aller pêcher là-dedans pour voir ce qui a fonctionné et ce qui a été moins convaincant, mais c’est sûr que malgré tout, je donne l’avantage à l’équipe qui a une défaite sur le cœur.

Attendez-vous donc à un fort début de match des Blue Bombers jeudi.

L’avantage du terrain

Les Alouettes, qui viennent de braver l’hostilité du tout nouveau Investors Group Field, auront toutefois l’avantage de jouer dans leur propre stade, devant leurs partisans, pour les retrouvailles avec les Bombers. Je crois que ça pourrait être un facteur déterminant dans l’issue du match.

La première raison qui motive cette petite prédiction est évidente. Les bienfaits d’évoluer devant les siens, dans ses affaires, sont bien connus. Tu passes la semaine dans un environnement dans lequel tu es confortable et tu n’as pas à voyager pour aller remplir ta mission. Juste ça, c’est un « plus » considérable. D’ailleurs, historiquement, les Alouettes ont toujours été meilleurs à domicile qu’à l’étranger. Je ne dirais pas que c’est une équipe qui voyage mal, mais elle a toujours été très performante dans son nid.  

L’autre raison concerne plus précisément le travail d’Anthony Calvillo et de sa ligne à l’attaque. Lors du dernier match, l’utilisation d’une cadence silencieuse pour contrer l’effet néfaste du bruit généré par les 35 000 spectateurs a eu des répercussions sur la chimie du groupe.

Dans une situation comme celle-là, le centre – on parle ici de Luc Brodeur-Jourdain – doit préparer le reste du groupe pour la mise en jeu en hochant d’abord la tête avant de remettre le ballon au quart-arrière. Par contre, un règlement stipule qu’il doit toujours effectuer cette routine au même rythme. Pour un joueur défensif, ça devient alors un jeu d’enfant de synchroniser son assaut avec le départ de l’action.

Lors du premier match de la saison, l’unité de cinq des Alouettes a eu de la difficulté à contenir la pression. Les deux ailiers défensifs des Bombers avaient constamment des départs hallucinants et chaque fois, les bloqueurs étaient pris à contre-pied. Ça ne devrait pas se reproduire jeudi.

Autres observations en vrac

- Le trio de secondeurs des Alouettes a été dominant, sans grande surprise. Kyries Hebert, Chip Cox et Shea Emry étaient partout sur le terrain. Hebert, visiblement, s’est déjà admirablement adapté à sa nouvelle position. On aurait toléré une période d’adaptation de trois ou quatre semaines pour lui permettre de trouver ses repères, mais la transition s’est faite sans heurt. C’est ça, un vétéran de qualité. Il a vu beaucoup de football dans sa vie et ça a donné ce qu’on a vu sur le terrain la semaine dernière.

- Mon collègue Pierre Vercheval a déjà abordé le sujet, mais j’ai moi aussi été franchement impressionné par le travail de la tertiaire. J’ai déjà hâte de voir ce groupe à l’œuvre une fois que la cohésion sera bien installée. La bonne communication, parmi les unités distinctes de la défensive, c’est la clé du succès. Regardez par exemple la tertiaire des Lions de la Colombie-Britannique, un modèle de constance et de succès pendant tant d’années. La recette : les joueurs qui la composaient savaient exactement ce que leurs partenaires de jeu allaient faire les yeux fermés, sans avoir à se parler. Plus il prendra de l’expérience et plus le groupe des Alouettes saura nous impressionner.

- En attaque, j’ai trouvé les Alouettes un peu prévisibles. Je ne sais pas encore exactement ce que ça m’indique, mais j’ai trouvé que Calvillo et Jamel Richardson ont manqué de synchronisme à quelques occasions. Ce sont pourtant des gars qui jouent ensemble depuis longtemps, alors visiblement on est encore en train d’assimiler le cahier de jeux. Les décisions en attaque n’étaient pas très diversifiées, c’était plutôt simple. En fait, on avait avisé tout le monde avant le match que ce serait le cas et on n’avait pas menti. On a donc vu peu d’originalité dans la sélection de jeux, mais ce n’est pas une critique. Je le souligne parce que c’est un fait, mais j’imagine que ça va devenir de plus en plus complet avec le temps.

- J’enchaîne immédiatement avec une citation de Dan Hawkins que j’avais trouvé intéressante durant le camp d’entraînement. Ça aidera peut-être à comprendre la philosophie qu’il a affichée à son baptême de feu dans la LCF. Quand on avait demandé au nouveau coach des Alouettes ce qu’il avait appris sur le football en travaillant dans les médias, voici ce qu’il a répondu : « Quand on est tellement concentré sur les X et les O, les stratégies et les petits détails, on se complique parfois la tâche quand de l’extérieur, tout paraît parfois beaucoup plus simple. » En gros, ça veut dire que dans le feu de l’action, un entraîneur a parfois tendance à se perdre dans ses idées pour tenter de déjouer l’adversaire alors qu’en réalité, la solution peut être aussi simple que donner le ballon à ton meilleur joueur parce qu’il connaît un match de fou! Combien de fois, comme partisan, vous avez remis en question les décisions trop complexes d’un entraîneur qui s’éloigne sans raison de ce qui fonctionne? Je crois que Hawkins l’a compris en travaillant devant les caméras et ça a paru dans sa façon de travailler. Souvent, on l’a vu appeler des jeux simples et sans artifice, mais qui produisaient de bons résultats.

- On a vu le meilleur et le pire sur les unités spéciales mais franchement, mon impression globale est fort positive. Tout au long du match, les Alouettes ont gagné la bataille du positionnement sur le terrain. Non seulement ils ont excellé sur les retours – Noel Devine a été formidable sur les bottés d’envoi et Tyron Carrier parfois spectaculaire sur les dégagements – mais ils ont surtout été très forts en couverture. C’est ce qui m’a marqué. Sur les unités spéciales, tu veux réussir des longs jeux, mais tu veux surtout empêcher l’adversaire d’en réussir. À ce chapitre, mission accomplie pour les hommes du nouvel entraîneur Ray Rychelski.

Le départ d’un méchant bon gars

Les Alouettes ont échangé un vieux de la vieille lundi quand ils ont envoyé Dahrran Diedrick à Hamilton.

Comme coéquipier, Diedrick était très apprécié. Dans mon temps, il était un peu le bouc-émissaire de toutes les jokes et il acceptait très bien ce rôle. Il aimait recevoir de l’attention et était capable d’en prendre. Je n’ai que de bons souvenirs du temps passé avec ce gars-là.

Dahrran a joué pratiquement toute sa carrière sur les unités spéciales, c’était une fierté pour lui. Au niveau des opérations football, ce n’est pas nécessairement une mauvaise décision de l’envoyer sous d’autres cieux. Avec la congestion visible à sa position et tous les nouveaux Canadiens qui ont récemment percé sur les unités spéciales, les Alouettes voulaient se rajeunir à moindre coût. Ça a coûté le poste à un gars qui a joué plus d’une centaine de matchs dans l’uniforme de l’équipe, alors c’est important de le souligner.

Avant de penser au joueur, je pense aujourd’hui au gars avec qui j’ai vraiment passé du bon temps. Dahrran est un gars de Toronto, alors il retourne dans son coin, ça doit lui faire plaisir. Et même si je n’ai jamais été échangé, j’imagine qu’on doit pouvoir se consoler en se disant qu’il y a une équipe quelque part qui t’aime assez pour aller te chercher. C’est la continuation d’une autre carrière de foot qui se poursuit ailleurs, mais c’est la vie d’un athlète professionnel.

Le départ de Dahrran correspond au retour de Patrick Lavoie, qui n’a pu commencer l’année en même temps que tout le monde puisqu’il se remettait d’une opération au dos.

La contribution de Patrick, qui est rapidement devenu un favori de la foule à son année recrue, dépendra en partie de son état de santé. S’il revient et joue à plein régime, je pense qu’il pourrait avoir une autre excellente saison, mais on ne connaît pas encore le système du coordonnateur offensif Mike Miller. Jusqu’à maintenant, on n’en a vu que des bribes.

Quels sont ses plans pour Patrick Lavoie? Pour plusieurs raisons, l’ancien du Rouge et Or était très sollicité dans l’attaque de Marc Trestman, mais est-ce que Miller le gardera aussi occupé? Je doute qu’il ait une aussi grande place au sein de l’attaque cette année, mais il a prouvé qu’il avait le talent pour remplir n’importe quel rôle.  

*Propos recueillis par Nicolas Landry