Il y a une semaine exactement, la chute face première de George Parros au terme d’une bagarre qui a mal tourné, le triste spectacle de l’homme fort du Canadien étendu inconscient sur la patinoire d’un Centre Bell plongé dans le silence et la reprise de la croisade contre les bagarres dans la LNH étaient au centre de toutes les conversations.

Ceux, et ils sont nombreux, qui s’offensaient de voir les bagarres ainsi mises à l’index ont lancé des contre-attaques tous azimuts.

Poussés par une passion débordante qui voilait leur raison, ces amateurs de bagarres avançaient qu’un accident comme celui subi par Parros ne devrait pas entraîner de telles réactions. À la clef, ils défilaient des motifs militant en faveur de leur position : « Des gens meurent en voiture tous les jours et on conduit toujours. Des skieurs meurent sur les pentes et on ne rase pas les montagnes. Des gens se noient et on se baigne encore et qu’on y avance sur toutes sortes d’embarcations. Pourquoi ne pas abolir les mises en échec un coup parti...»

Vous voyez le genre...

À cause du triste manque de sérieux de remarques aussi absurdes, j’étais très heureux de faire partie du camp des « pissous » lapidés d’injures pour oser vouloir abolir les bagarres dans le hockey.

Je le suis davantage ce matin.

Davantage parce que j’ai regardé hier soir le documentaire que le réseau américain PBS diffusait dans le cadre de l’émission Frontline.

Intitulé League of denial : the NFL Concussion Crisis, ce documentaire de deux heures nous explique de quelle façon un pathologiste a mis au jour les problèmes de démence dans le cadre d’une autopsie pratiquée sur Mike Webster, l’ancien joueur de centre vedette des Steelers de Pittsburgh. Cette découverte du médecin Bennet Omalu a mis la table à ce qu’on appelle aujourd’hui les encéphalopathies traumatiques chroniques (ETC), une maladie confirmée par Ann McKee de l’Université de Boston qui a maintenant disséqué les cerveaux d’une cinquantaine de sportifs professionnels pour en savoir plus sur cette terrible maladie.

Une maladie que la NFL a toujours balayée du revers de la main jusqu’à ce qu’elle soit obligée de la reconnaître après l’étude du cerveau de Junior Seau qui s’est suicidé il y a deux ans. Une étude parrainée par la NFL.

Ce documentaire est saisissant. Je suis d’ailleurs encore assommé – excusez le jeu de mots trop facile – ce matin.

Vous pouvez le visionner ici.

Si vous y allez tout de suite, je vous donne rendez-vous dans deux heures pour la suite de mes conclusions.

Si vous voulez consulter mes conclusions, rendez-vous jusqu’à la fin où je vous offrirai une fois encore le lien qui vous conduira au documentaire.

Les conclusions médicales étalées dans ce documentaire sont d’une tristesse inouïe :

- Pas moins de 45 des 46 autopsies pratiquées sur les cerveaux d’anciens joueurs de la NFL décédés alors qu’ils étaient rongés par une démence évidente et des comportements agressifs étalés avec émotion par leurs veuves et leurs enfants étaient minés par l’ETC.
- Des examens pathologiques effectués sur les cerveaux de jeunes âgés de 21 et 18 ans ont permis de déceler des signes précoces de cette maladie irréversible.
- Bien que le documentaire se limitait au football et à la NFL, la spécialiste Ann McKee a relevé les mêmes symptômes d’ETC à l’intérieur des cerveaux d’anciens joueurs de la LNH dont, entre autres, les hommes forts Bob Probert et Derek Boogaard, mais aussi l’as marqueur des Sabres de Buffalo Richard Martin.

La NFL en mode défense

Au-delà des tristes et terrifiantes réalités et conclusions médicales contenues dans le documentaire, c’est le déni de la NFL, de la part de l’ancien commissaire Paul Tagliabue et de son bras droit Roger Goodell qui lui a succédé, d’une majorité de médecins des 32 équipes de la Ligue et de l’ignorance des amateurs qui assomment.

Dès les premières conclusions du pathologiste Bennet Omalu, la NFL a mis sur pied un comité dont le mandat premier était de frapper solidement, et derrière la ligne de mêlée, le médecin qui venait de publier ces conclusions inquiétantes.

À la tête de ce comité, la NFL avait mandaté un des médecins des Jets de New York. Un neurologue? Non! Un rhumatologue. Yes Sir!

Quand les associations entre le football et la démence minant d’anciens joueurs se sont multipliées au point où le Congrès américain a convoqué la NFL pour poser des questions pointues, Roger Goodell a écarté son rhumatologue qui avait conclu qu’un joueur victime d’une commotion cérébrale pouvait, sans problème, revenir au jeu lors d’un même match. Il a tenté de donner plus de crédibilité à son comité en confiant la direction à Ira Casson, chef médecin de la NFL.

Casson a remis en question les conclusions des études de Bennet Omalu et d’Ann McKee. Plus encore, il a assis toute la défense de la NFL sur le fait que les anciens joueurs dont les cerveaux étaient minés par l’ETC avaient des historiques de consommation abusive de stéroïdes, de drogues et d’alcool.

Cette position de la NFL n’a jamais changé.

Mais la NFL s’est retrouvée bien mal prise lorsque les Américains se sont mis à dresser le même lien entre le football et les commotions cérébrales qu’entre le tabac et le cancer.

Sentant la gravité de la situation, la NFL qui est une industrie immense sur la scène sportive américaine, une industrie qui calcule ses revenus en milliards de dollars et non en millions a alors versé 1 million $ en guise de bourse de recherche à la chaire de l’Université de Boston dirigée par Ann McKee.

Une poignée de menue monnaie pour se donner bonne conscience et amadouer l’opinion publique.

Roger Goodell a même décidé d’inviter les familles d’anciens joueurs décédés à remettre les cerveaux des défunts à Mme McKee pour étoffer les études.

On a presque eu l’impression que la NFL capitulait.

Surtout qu’une fois aux prises avec une poursuite civile de 2 milliards lancée par d'anciens joueurs et les membres des familles des anciens décédés, la NFL a accepté de verser 765 millions $ en guise d’entente à l’amiable.

Mais attention : bien qu’elle ait accepté de payer cette somme imposante, la NFL s’est assurée qu’il soit écrit dans le jugement qu’elle refusait d’établir quelque lien que ce soit entre le football et l’état de santé cérébral des anciens joueurs qu’elle dédommageait ainsi.

Une conclusion importante.

Car depuis 1994 lors des premiers examens de Bennet Omalu jusqu’au versement de ces 765 millions $, les prétentions de la NFL n’ont pas changé. Ou pas assez. Si elle reconnaît la réalité et la gravité des encéphalopathies traumatiques chroniques (ETC), la NFL refuse toujours de faire un lien de cause à effet avec la pratique du football.

On verra combien de temps encore elle pourra maintenir cette position.

Prudence de mise

On fait quoi avec tout ça maintenant? On arrête de jouer au football comme on le connaît? On met un terme aux plaqués comme on veut abolir les bagarres dans la LNH? On arrête de faire du sport pour minimiser les risques de commotions?

Bien sûr que non.

La réponse simple est : on se sert de sa tête pour s’assurer de la garder intacte.

Les coups à la tête entraînent des commotions. Les commotions entraînent des conséquences néfastes sur le cerveau. Des conséquences négatives dont on commence à peine à déterminer l’envergure.

Harry CarsonIl est donc important, non nécessaire, de réagir.

Ann McKee, qui a grandi au centre de frères qui jouaient au football, qui est une fan de la NFL et qui comprend l’envergure de ce sport et de cette ligue aux États-Unis, ne veut pas abolir le football ou les sports en général.

Mais elle interdirait à un de ses fils de jouer au football « full contact » à 10 ans, 12, ans, 14 ans.

Ancien joueur de ligne des Giants de New York, un des chanceux qui a encore toute sa tête et qui apparaît à quelques reprises dans le documentaire, Harry Carson est beaucoup plus critique que Mme McKee à l’endroit du football et de la NFL.

« Je crains maintenant que les petits impacts répétés et non seulement les majeurs aient des conséquences dramatiques », assure Carson.

Quant à la compensation de 765 millions $ versée par la NFL, Harry Carson l’interprète crûment comme 765 millions de bonnes raisons pour ne pas jouer au football.

Venant d’un gars qui a consacré sa vie au football et à la NFL, ça frappe!

La NFL a déjà pris des moyens pour protéger ses joueurs en interdisant les coups casque contre casque. Elle a aussi adopté d’autres règles pour protéger ses quarts-arrières qui tombaient comme des mouches avant que de telles mesures soient adoptées. Le développement technologique des casques les rend beaucoup plus efficaces pour atténuer les contrecoups des impacts.

On verra.

Et il faudra que les sportifs amorcent eux-mêmes la croisade en cessant de mentir sur leur état de santé réel afin de maintenir leur place au sein de la formation ou de maintenir leurs chances de se rendre jusqu’à la NFL.

Et sur ce point, on est loin d’une victoire du gros bon sens sur la réalité actuelle.

Au hockey?

La LNH a déjà entrepris sa croisade pour minimiser les risques de commotions et leurs conséquences néfastes qui ont déjà mis des fins hâtives à trop de carrières.

Les mises en échec sournoises sont interdites. Les coups à la tête aussi. Ces infractions entraînent des suspensions qui ne sont pas encore assez sévères à mon goût. Mais bon. C’est un début.

Ça nous amène aux bagarres.

Si les coups de coude ou d’épaule à la tête sont dangereux au point d’être interdits et passibles de suspensions, pourquoi diable alors accepter que deux hockeyeurs – pas des boxeurs, des hockeyeurs – se tapent sur la gueule à poings nus en prenant soin de retirer leur casque avant?

Comme si se frapper en pleine poire à poings nus ne représentait pas un danger de commotion.

Simonac!

Comme je le disais vendredi matin dernier à l’émission matinale de Marie-France Bazzo où je défendais ma position sur l’importance de bannir les bagarres dans le hockey : ce n’est qu’un début, continuons le combat.

Un combat que le documentaire diffusé par PBS hier nous aidera à gagner. Un jour pas trop lointain je l’espère.

Je vous redonne ici le lien pour visionner le documentaire : League of denial : the NFL Concussion Crisis.

C’est long. Je sais. Mais c’est un cours magistral sur l’histoire des commotions, leurs conséquences et les esquives de la NFL pour éviter d’assumer ses responsabilités.