Le destin de McIlroy, d'enfant prodige à légende immortelle
Rory McIlroy avait rendez-vous avec son destin au Augusta National, à l'occasion de la ronde de golf la plus importante de sa vie. Malgré les embûches, McIlroy a réalisé son rêve le plus cher, tout en se débarrassant de son plus grand fardeau.
Dimanche, il s'est élevé une coche au-dessus de peloton au bout d'une journée de suspense intenable pour mettre la main sur son 1er titre au Tournoi des Maîtres et ainsi compléter le Grand Chelem, le Saint Graal du golf.
« C'est le plus beau jour de ma vie de golfeur », a déclaré McIlroy. « J'ai littéralement réalisé mes rêves. »
Fidèle à son habitude, McIlroy ne s'est pas rendu la vie facile et a alimenté la tension jusqu'au bout avec plusieurs coups spectaculaires et quelques erreurs qui auraient pu faire dérailler sa mission. Dans une ronde qui restera dans les mémoires pour ses nombreux revirements, l'athlète d'Hollywood, en Irlande du Nord, s'est finalement imposé dès le 1er trou de prolongation contre l'Anglais Justin Rose.
L'enjeu était simple lors de cette ronde finale. McIlroy avait la possibilité de passer du rang de super-vedette - rôle qu'il porte fièrement depuis son arrivée fracassante sur le circuit de la PGA en tant qu'adolescent - au statut de légende de l'histoire du golf.
Ce statut de légende, partagé par seulement les plus grands noms du sport, s'est mérité par la complétion du Grand Chelem. En remportant le seul titre majeur qui manquait à sa spectaculaire collection d'honneurs, McIlroy a finalement atteint la terre promise. À 35 ans, il rejoint Gene Sarazen, Gary Player, Ben Hogan, Jack Nicklaus et Tiger Woods dans le club sélect des gagnants des quatre tournois majeurs.
« C'est un sentiment incroyable. C'est ma 17e visite ici et je me demandais si j'allais vivre ce moment un jour », a expliqué un McIlroy émotif à Jim Nantz dans la Butler Cabin quelques instants avant de recevoir son Veston vert. « Je crois que les 10 dernières années, avec le poids du Grand Chelem sur mes épaules, je me demande de quoi on va parler l'an prochain. Je suis honoré, excité, et tellement fier d'être un champion du Masters. »
Il complète d'ailleurs le Grand Chelem exactement 25 ans après Woods et devient le premier joueur à le faire au Masters depuis Sarazen, il y a 90 ans.
« Bienvenue dans le club Rory McIlroy. Compléter le Grand Chelem à Augusta, c'est spécial. Ta détermination durant cette ronde, et durant tout ton parcours ont rapporté. Maintenant, tu fais partie de l'histoire. Je suis fier de toi! », a écrit Tiger Woods sur la plateforme sociale X.
McIlroy était promis à ce destin depuis son enfance, alors qu'il était déjà considéré comme un phénomène de son sport à un très jeune âge. Ses parents ont fait tous les sacrifices pour lui permettre de compétitionner au plus haut niveau. Dès le début de sa carrière professionnelle, McIlroy a rapidement répondu aux promesses placées en lui en remportant quatre titres majeurs entre 2011 et 2014, dont quelques-uns de façon dominante, un peu à la manière de son idole de jeunesse, Tiger.
« Je veux saluer mes parents qui sont à la maison en Irlande du Nord », a tenté de dire McIlroy avant de se laisser emporter par les émotions et les larmes. « Je ne peux pas attendre de célébrer avec eux. »
Malgré ses succès sur la scène internationale – deux titres du Championnat des joueurs, trois titres de la Coupe FedEx et plusieurs victoires importantes autant en Amérique du Nord qu'en Europe – McIlroy combattait ses démons lors des tournois majeurs depuis plus d'une décennie.
Il y a 14 ans, McIlroy a obtenu sa première chance de mettre la main sur le Veston vert. On se souvient du jeune homme aux cheveux longs, qui avait encore sa graisse de bébé, prendre le départ de la ronde finale avec quatre coups d'avance. Ce dimanche-là, le « kid » de 21 ans avait vu son cœur être brisé pour la première fois sur la plus grande scène. En remettant une carte de 80, McIlroy avait complètement bousillé sa chance, et depuis, un petit nuage flottait au-dessus de sa tête quand il bondissait dans les allées du Augusta National.
« C'est un travail de 14 ans... depuis cette avance de quatre coups en 2011. Il y avait beaucoup d'émotions refoulées sur le 18e vert. Un moment comme celui-ci après toutes ces années et toutes ces déceptions, ça vaut vraiment la peine », a dit McIlroy quelques instants après sa conquête.
Des déceptions et des chagrins, McIlroy a en vécu plusieurs depuis ce moment. On n'a qu'à revenir à l'été dernier, à l'Omnium des États-Unis, quand il semblait destiné à mettre fin à sa disette en tournoi majeur. Cependant, quelques roulés ratés en fin de ronde ont ouvert la porte à Bryson DeChambeau qui a subtilisé les honneurs dans les derniers moments de la ronde.
Après cette journée, on se disait peut-être que Rory serait brisé par cette succession de déceptions dans les plus grands évènements. Mais de son propre dire, McIlroy a la mémoire courte, et il l'a prouvé dès le début de la saison 2025 en enchaînant des titres à Pebble Beach et au TPC Sawgrass pour arriver à Augusta avec le vent dans les voiles.
Malgré la pression grandissante qui vient avec chacune de ses visites à Augusta, c'est un McIlroy plus confiant, plus léger que jamais qui s'est présenté cette semaine pour compléter sa quête ultime. Avec la combinaison de son jeu étincelant et d'une paix d'esprit jamais vu depuis longtemps, l'aura du Nord-Irlandais était plus puissante que jamais cette semaine. Ce n'est pas un hasard si les plus grandes légendes lui ont prédit la victoire avant même le début du tournoi. Jack Nicklaus, Tom Watson et Gary Player s'entendaient tous, McIlroy était l'homme à battre, devant l'inévitable Scottie Scheffler, qui était pourtant favorisé par tous les preneurs au livre au moment d'amorcer le tournoi.
Après un début convaincant en 1re ronde, les doutes ont rapidement ressurgi autour de McIlroy quand il a effectué deux doubles bogueys sur le neuf de retour pour finalement terminer sa journée à la normale.
Pourtant, Rory a de nouveau traversé le parcours avec le même rythme qui caractérise sa marche sur un parcours de golf. Sa 2e ronde de 66 a été sans faille, puis ce fut encore mieux samedi, alors qu'il a probablement connu le meilleur début de ronde de l'histoire du Masters. Un autre 66 l'a catapulté au sommet du classement, avec une avance de deux coups.
Pour rendre le narratif encore plus riche, le plus proche poursuivant de McIlroy avant la ronde finale était DeChambeau, celui-là même qui lui avait brisé le cœur quelques mois auparavant au US Open. L'affiche était trop belle pour être vraie. Les deux visages les plus en vues du sport, vedettes de leur circuit respectif, aux styles diamétralement opposés à plusieurs points de vue, allaient en découdre pour le titre le plus prestigieux de leur carrière.
Pour le spectateur, c'était le scénario rêvé. Pour McIlroy, c'était une couche de pression supplémentaire à l'aube de la ronde la plus importante de sa vie. D'un côté ou de l'autre, les grands titres allaient être à propos de lui, et il le savait très bien. S'il gagnait, il s'assurait une place au sommet de la hiérarchie de son sport, et ce, pour l'éternité. S'il échouait dans sa quête, on aurait seulement parlé de ses démons, de ses déceptions, et on aurait tenté de comprendre pourquoi cet athlète si talentueux était incapable de compléter son plus grand objectif, année après année.
Après un double boguey inquiétant sur le 1er trou, il était difficile de ne pas ressentir l'immense pression et la nervosité étouffante qui pouvait l'habiter. Après deux trous, McIlroy avait déjà perdu son avance au profit de DeChambeau, mais il a continué de marcher la tête baissée, dans son « petit cocon » comme il l'avait décrit la veille, en marche vers son destin, vers l'immortalité et le statut incontesté de plus grand golfeur de sa génération.
Au tournant du deuxième neuf, là où le tournoi s'amorce réellement le dimanche selon la légende, tout semblait en place pour une marche triomphante vers le titre, mais un coup de cocheur dans l'obstacle d'eau au 13e et un double boguey ont ravivé le débat. Puis, au 15e, McIlroy s'est relevé avec un des coups de fer les plus spectaculaires de ce trou riche en histoire. Pendant ce temps, Justin Rose s'est installé au chalet avec un cumulatif de moins-11 et son rival n'avait besoin que d'une normale au 18e pour sécuriser son 1er Veston vert, mais son roulé a raté l'objectif sur la gauche pour forcer la prolongation.
Après une sublime approche de Rose sur le premier trou supplémentaire, McIlroy a répondu comme le grand champion qu'il est, en plaçant sa balle à moins de trois pieds de l'objectif. Après un raté Rose, McIlroy a complété son pèlerinage avec un birdie, avant de s'effondrer au sol en larmes, accompagné de son cadet de toujours et meilleur ami Harry Diamond.
« Je connais Harry depuis que j'ai 7 ans. Nous nous sommes rencontrés sur le vert de pratique du Club de Golf d'Hollywood. Cette victoire est autant la sienne que la mienne », a dit McIlroy au sujet de son complice.
Cette semaine, McIlroy avait le meilleur jeu dans son sac, et quand il est au sommet de son art, personne n'arrive à son niveau. Pas même DeChambeau, pas même Scheffler. C'est dans sa tête que McIlroy a vaincu ses démons. Cette mentalité d'agresseur, McIlroy l'avait perdu lors sa disette en tournois majeurs. Cette confiance inébranlable affichée lors de ses jeunes années, on se demandait si elle existait toujours.
« Ma bataille aujourd'hui a été avec moi-même. Ma bataille aujourd'hui s'est passé dans mon esprit », a avoué le nouveau propriétaire d'un veston vert avec fierté.
La quête de McIlroy est maintenant complétée. Désormais, il s'agira seulement de s'élever encore plus haut dans la hiérarchie des légendes du jeu. Au tournant de la mi-trentaine, McIlroy a encore plusieurs années de golf de haut niveau à offrir et on peut maintenant se demander où est la limite de son excellence.