Bertrand Raymond : 50 ans de carrière sur le côté humain du sport
Sports divers mardi, 26 sept. 2017. 16:36 mercredi, 25 déc. 2024. 15:36MONTRÉAL – « Nous avons alors assisté à des gestes héroïques accomplis par quelques joueurs. Jean-Claude Tremblay et Guy Lapointe, haches à la main, ont libéré des gens du quatrième étage avec l’aide de Pierre Bouchard, malgré la fumée très dense. »
Bouchard, Serge Savard et Dale Hoganson ont même tenté de secourir en vain une personne importante de l’organisation du Canadien (vous aurez la réponse dans le livre) qui était coincée dans sa chambre. C’est finalement une échelle arrachée à un pompier par Réjean Houle qui a permis de sauver cet homme et d’autres gens prisonniers des flammes et de la fumée.
Au fil de sa carrière de 50 ans comme chroniqueur sportif, Bertrand Raymond a vécu d’innombrables moments fascinants, touchants et terrifiants comme ce feu qui s’est déclenché durant une nuit de 1972 dans un hôtel de St Louis quelques heures après un match. En lisant son autobiographie, qui s’intitule 50 ans parmi les géants : le carnet de mes souvenirs, vous pourrez découvrir et redécouvrir une tonne d’histoires captivantes avec des détails savoureux, croustillants et émouvants.
Au-delà de sa longévité, la carrière de ce journaliste originaire de Chicoutimi se démarque par son côté humain. Les chroniqueurs sportifs qui ont ému leurs lecteurs à plusieurs reprises ne courent pas les rues. Raymond ne croit pas qu’il était destiné à cette voie, mais il a été frappé par deux immenses drames qui ont changé sa vie à jamais.
En juin 1973, moins de 48 heures avant son mariage, il a appris le décès de ses parents dans un accident d’automobile alors que ceux-ci faisaient le trajet de Chicoutimi vers Montréal pour assister à la cérémonie.
Seulement six ans plus tard, son jeune frère Pierre a perdu la vie en s’endormant au volant. Il venait de quitter une soirée de réjouissances organisée pour souligner la promotion de Bertrand à titre de directeur des sports au Journal de Montréal.
Ces incidents lui ont permis de mieux transmettre sa sensibilité dans ses écrits. Comme il l’écrit si bien dans son livre, c’était « cher payé pour que j’en arrive là ».
Dans le cadre d’une entrevue avec le RDS.ca, Raymond a expliqué l’impact de ces deux accidents tragiques sur son parcours.
« Ces événements ont changé ma façon d’écrire et ma façon de voir les gens. À partir de ce moment, le sport n’était plus une question de statistiques pour moi. C’était à propos de rencontrer des gens et de sonder leur opinion. Quand ils vivaient eux-mêmes des malheurs dans leur vie et qu’ils se racontaient, je comprenais parfaitement ce qu’ils voulaient dire », a-t-il confié.
« L’accident de mes parents, ça fait au-dessus de 40 ans que c’est arrivé. Ce n’est pas quelque chose dont je parle parce que c’est derrière moi. Mais, quand j’ai fait ce livre, je ne pouvais pas le contourner. Même si ça faisait longtemps, ça m’a remué. Je me suis aperçu que c’est justement pour ça que je n’en parlais pas », a avoué celui qui a été admis au Temple de la renommée du hockey pour sa contribution journalistique.
Il fait d’ailleurs vibrer des émotions lorsqu’il raconte un épisode marquant de la jeunesse de Ronald Corey, l’ancien président du Canadien. À 11 ans, Corey était parvenu à trouver le numéro de téléphone de Maurice Richard dans le but de réconforter son jeune frère qui était atteint d’un cancer au cerveau. Le Rocket avait promis de compter le lendemain et il a fait pleurer toute la famille Corey en faisant bien plus que tenir sa parole comme vous pourrez le lire.
Cette corde à son arc a donné un grand coup de main à ses patrons puisque les journalistes sportifs ne se battaient pas pour traiter de ces histoires bouleversantes.
« Tu ne dois pas avoir le cœur comme une roche. Dans le sport, on est vraiment concentré sur les performances. C’est un milieu macho et peut-être que ce n’était pas toujours bien vu qu’un chroniqueur sportif affiche une certaine sensibilité », a expliqué Raymond.
Sa capacité à émouvoir les gens sans dépasser les limites du respect l’ont mené à déborder du cadre sportif dans certaines de ses chroniques. Il en retient deux qui ont été plus marquantes que les autres.
En premier lieu, il cite ces deux enfants qui ont perdu la vie tragiquement en étant ensevelis par la boue lors des inondations monstres au Saguenay en 1996.
« C’est moi qui a proposé d’aller le faire même s’il n’y avait pas de volet sportif dans ça. Je me disais que c’était ma région, je regardais les images à la télévision et j’ai vu mon quartier partir dans les inondations. Quand j’ai vu ce qui est arrivé à cette famille, il fallait que ce soit moi qui parle aux parents. Je ne voulais pas qu’un magazine de ce monde fasse un papier à sensation sur eux. Comme papier difficile à rédiger, c’en fut tout un! »
« Le petit homme de 5 ans était là avec ses parents pour l’entrevue. La mère me parlait en lui flattant les cheveux. Ça voulait dire : "il nous en reste un". C’est quelque chose quand tu y penses. La veille, tu as trois enfants autour de toi au déjeuner et le lendemain, il ne t’en reste qu’un », a soufflé Raymond sur ce drame à fendre le cœur.
Le chroniqueur d’expérience n’oubliera jamais non plus la tuerie de Columbine en 1999. Il s’était rendu au Colorado trois semaines plus tard pour couvrir les séries éliminatoires. L’Avalanche avait réagi en accordant un grand soutien à la population et Raymond avait pu visiter à l'hôpital un miraculé de ces événements grâce à Pierre Lacroix, le président de l’équipe.
Raymond avait ainsi raconté l’histoire effroyable d’un jeune qui avait été atteint au crâne par deux balles.
« Quand le garçon s’est mis à faire le décompte de ses points de suture sur la tête, Lacroix avait les larmes aux yeux et j’aurais eu besoin d’aller prendre l’air tellement c’était difficile, mais je devais raconter cette histoire », a confié Raymond qui la détaille avec doigté dans son livre.
Des relations qui ont changé avec les athlètes
Bien sûr, Raymond n’aborde pas que des sujets tragiques dans son palpitant carnet de récits. Il trouve le moyen de faire rire à quelques occasions dont en citant les propos de Henri Richard qui s’était vidé le cœur à propos de son entraîneur de l’époque Al MacNeil. L’anecdote de Joé Juneau qui avait ouvert presque toutes les meilleures bouteilles de la cave à vin de George Gillett lors d’une fête d’équipe vaut aussi la lecture.
Le dénominateur commun de cet ouvrage, c’est que Raymond a pu « faire allusion à des événements et des gens qui m’ont marqués. C’est ça, ce livre. »
En cinq décennies, Raymond a traversé toute une révolution technologique allant de la machine à écrire à l’ordinateur et aux réseaux sociaux. Mais, surtout, il a développé des relations spéciales avec plusieurs personnalités du sport. Au sommet de cette liste se dresse Jean Béliveau qui a choisi le bien-être de sa famille au lieu de jouer un grand rôle dans sa deuxième carrière.
« Il avait une façon de passer des messages sans avoir l’air d’en passer un. S’il avait été gouverneur général du Canada, il aurait été le meilleur homme pour faire le lien entre les Francophones et les Anglophones. Il se serait promené à travers le pays sans jamais imposer de directives aux gens sur l’importance d’être unis, mais il aurait été capable de passer son message fort habilement », a cerné Raymond.
Sans être nostalgique de cette époque à cinq journalistes affectés à la couverture du Canadien, il réalise qu’il a œuvré dans les plus belles années de ce métier.
« Aujourd’hui, avec huit ou neuf nationalités dans la chambre, les Russes, les Tchèques ou les Finlandais ne sont pas intéressés de raconter leur vie en détails à des médias du Québec avec lesquels ils n’ont aucun attachement », a observé comme changement le journaliste qui a couvert six coupes Stanley du Canadien à ses dix premières années à cette affectation!
Malgré la tache du lock-out au Journal de Montréal qui lui a laissé un goût amer, Raymond se dit comblé par sa carrière. Il faudrait être exigeant pour conclure le contraire.
« Quand tu grandis à Chicoutimi, le Forum, c’est comme inaccessible pour toi, c’est la cathédrale du hockey. Je suis tellement reconnaissant envers la vie d’avoir pu faire le métier dont je rêvais », a témoigné le chroniqueur qui a hésité longtemps avant d’écrire ce livre qui boucle la boucle.
La carrière de quel athlète aurait-il voulu couvrir?
Le parcours professionnel de Raymond s’est amorcé par un rêve, celui de couvrir le Canadien. Il a fini par en faire bien plus en écrivant sur les exploits des plus grands athlètes et en utilisant sa plume pour raconter sept expériences aux Jeux olympiques.
Au final, il aurait rêvé de couvrir un seul autre athlète, le plus grand à ses yeux.
« Mon héros de tous les temps, c’est Jack Nicklaus. Parce que c’est le plus grand et que sa vie est un modèle de droiture. Il a plusieurs enfants et environ 22 petits-enfants (c’est le nombre exact, NDLR).
« Quand les meilleurs golfeurs de la planète sont venus à Montréal pour la coupe des Présidents, c’était lui le capitaine des Américains. Pendant quatre jours, j’ai traîné une casquette pour la lui faire signer, mais j’étais trop gêné d’aller lui demander. La dernière journée, il est venu autour du neuvième vert parce que Mike Weir était en train de battre Tiger Woods et il a voulu faire un discours de motivation à Tiger. Quand les joueurs sont partis, la foule les a suivis et il est resté là seul avec sa femme.
« Je lui ai dit : "M. Nicklaus, je n’ai jamais demandé d’autographe dans ma vie, mais voudriez-vous signer ma casquette". Je me sentais comme les jeunes qui ne sont pas capables de parler devant leur idole. Pourtant, je n’étais pas un jeune loup du printemps, mais il était un monument pour moi.
« En plus, c’est mon fils qui m’a convaincu de le faire. Je lui disais que je voyais M. Nicklaus tous les jours, mais que je n’étais pas capable de lui demander son autographe. Il m’a répondu : "Toi papa, quand tu me dis quoi faire, tu aimes ça quand je le fais. Bien, moi je te dis d’aller lui demander" et je l’ai écouté », a conclu Raymond, un père de deux enfants avec sa femme Louise.