J’attends Jonathan Drouin dans le vestiaire du Canadien. Un endroit où il n’a pas mis les pieds depuis plusieurs mois. Une pièce où il a connu la victoire, la défaite, de bons moments, mais aussi la déception, la frustration, la vulnérabilité. Un endroit qui a certes perdu de sa mysticité au fil des ans mais qui a encore son effet sur ceux qui y logent au cours de leur carrière.

Devant toutes ces photos des légendes qui ont sué sang et eau pour cette équipe, devant la phrase du militaire John McCrae, « nos bras meurtris vous tendent le flambeau, à vous toujours de le porter bien haut », comment ne pas vouloir être à la hauteur. Surtout si vous êtes né au Québec et que l’histoire du Canadien fait partie de votre culture.

Jonathan Drouin est un passionné de hockey. Il est très talentueux et il le sait. Il est donc très exigeant envers lui-même. La pression, il connaît. Il s’en met lui-même sur les épaules.

Pour qu’il prenne la décision de faire une pause, c’est que le malaise était profond.

Des rumeurs il y en a eu. On a parlé, à tort, de surdose de drogue, de médicaments, de tentative de suicide et j’en passe. Au cours de l’entrevue, il tient à apporter cette précision « Je ne suis jamais allé dans un programme de "rehab", je n’ai pas eu de problème de drogue ni de problème d’alcool. »

Très peu de gens sont au courant de ce qu’il a vécu ces derniers mois. Il n’a pas voulu élaborer, aller dans les détails. Il a choisi d’en parler à sa façon, histoire de passer à autre chose et de se concentrer totalement sur le hockey à quelques jours du début du camp d’entraînement. J’ai respecté son désir de discrétion. Jonathan avait quand même des choses intéressantes à dire.

Que s’est-il donc passé avec l’attaquant du Canadien? Ce qu’on sait, c’est que le 23 avril dernier, à Calgary, il a participé à la période d’échauffement et à peine quelques minutes plus tard, il s’est dirigé vers le thérapeute sportif Graham Rynbend et a quitté la patinoire. Il n’est pas revenu au jeu depuis.

« Ça, c’est des années d’anxiété, des années de problème d’insomnie pour moi », me confie Jonathan. « Cette semaine-là a été difficile pour moi. J’en suis tombé malade, au point où je ne contrôlais plus mon corps. Pour moi ç’a été vraiment le moment où j’ai réalisé que j’avais besoin de prendre un recul du hockey, de prendre un pas en arrière », relate-t-il.

Ce problème d’anxiété n’est pas nouveau.

« Je composais avec ça depuis plusieurs années, mais la saison dernière, ç’a monté à un autre niveau. »​

C’est connu, les athlètes professionnels jouent malgré les blessures, mais composer quotidiennement avec une blessure psychologique, c’est différent. On ne se confie pas, on ne consulte pas et le problème empire.

« Je composais avec ça depuis plusieurs années, sans vraiment savoir c’était quoi. C’était difficile d’aller voir quelqu’un, d’aller chercher de l’aide. Même moi je ne reconnaissais pas mes problèmes ou ce qui se passait. C’est vraiment la saison passée que j’ai cliqué. Je suis allé chercher de l’aide, je suis allé chercher du monde pour m’entourer. Maintenant je comprends comment ça se passe, je comprends les petits moments où je sens l’anxiété. Je suis maintenant mieux équipé que je ne l’étais avant. »

Le support de toute l’équipe a été primordial dans son cheminement.

« J’ai eu le support de toute l’équipe que ce soit Marc (Bergevin), les joueurs ou Dominique (Ducharme), les coachs… tous étaient de mon côté. Mes coéquipiers savaient ce qui se passait. Ce sont des gars avec qui je passe beaucoup de temps pendant plusieurs mois. On connaît nos problèmes, on sait ce qui se passe dans notre monde en dehors du hockey, alors le support était là, je ne pouvais pas demander mieux », précise-t-il.

Il a gardé contact avec ses coéquipiers tout au long des séries. C’était important pour lui de savoir qu’il faisait totalement partie de l’équipe malgré l’éloignement. Bien sûr qu’il aurait aimé faire partie de la formation et participer à cette belle aventure jusqu’en finale. Mais il n’en était pas question. Il en était tout simplement incapable.

« J’avais pris la décision de prendre un recul, mais non, ce n’était pas dur pour moi de regarder les matchs. C’est sûr que tu veux être là, c’est sûr que tu veux jouer dans ces matchs-là, c’est pour ça que je joue au hockey. Mais moi j’avais pris la décision de prendre soin de moi, j’étais content avec ma décision, je respectais ma décision. Pour moi c’était juste de pouvoir les regarder, de donner mon soutien à mes coéquipiers et aux coachs. J’étais tellement heureux à chaque match qu’on gagnait! Je n’étais pas dans la chambre, ni autour du Centre Bell, mais je pouvais sentir la ville, qu’il y avait un buzz. C’était vraiment cool de faire quand même partie de ça un peu. »

Il se dit mieux outillé pour amorcer la saison qui vient. Est-il un peu nerveux? Anxieux?

« Non, je suis vraiment excité! Je sais maintenant comment composer avec certaines choses, ce que je ne pouvais pas faire avant. »

Et il poursuit en parlant de l’équipe de cette année, du talent des jeunes Caufield et Suzuki, du bon groupe de vétérans, des nouvelles acquisitions faites par Marc Bergevin. Il voit l’avenir du CH d’un très bon oeil.

Pour ce qui est de son rôle cette saison, il laisse cela entre les mains de Dominique Ducharme. Même chose pour le poste qu’on lui confiera.

 

« J’ai joué à l‘aile gauche, à l’aile droite, au centre, je suis confortable partout. Dominique prendra la décision », précise-t-il.

Sans l’avouer ouvertement, les hockeyeurs se fixent un objectif personnel avant une saison. Celui de Jonathan est criant. Il le répète d’ailleurs trois fois.

« Je veux juste avoir du plaisir. Juste avoir du plaisir et devenir meilleur chaque jour. Je sais que ça fait cliché, mais juste avoir du plaisir à jouer au hockey, ça sera la meilleure chose pour moi. »

Il avait de toute évidence, perdu ce plaisir cet hiver. Mais avait-il perdu cette grande passion du hockey qui l’habite depuis son enfance? 

« Non, pas dans ce sens-là. J’adore le hockey, ceux qui sont proches de moi le savent. Je peux regarder cinq, six matchs par soir, je sais contre qui on va jouer, je connais leur système. La passion ne m’a jamais quitté, c’est vraiment d’avoir un style de vie qui fait en sorte que ça devient plus facile pour moi de jouer au hockey. Il y a des moments où je pouvais passer trois soirées sans dormir et jouer un "back to back". Ce n’était pas normal pour n’importe quel humain et c’est à moi de changer ça. »

Jonathan Drouin a passé un bel été entouré de sa famille et ses amis. Il s’est entraîné intensément. Il semble dans une excellente forme. Il se dit prêt physiquement et mentalement à amorcer la nouvelle saison. Un Jonathan Drouin heureux, bien dans sa peau, est une excellente nouvelle d’abord pour lui et ses proches mais aussi pour le Canadien. Il est maintenant prêt à tourner la page sur un chapitre difficile de sa vie. Le nouveau commence cette semaine et on lui en souhaite un excellent.

« Je pouvais être trois jours sans dormir »