« Nous étions tous des capitaines »
Hockey - Jean Béliveau dimanche, 7 déc. 2014. 17:39 vendredi, 22 nov. 2024. 07:04Yvan Cournoyer est à fleur de peau ces jours-ci. Dès qu'on mentionne le nom de Jean Béliveau en sa présence, une petite buée est perceptible dans ses yeux. Ces grands du passé, qui sont allés à la guerre et qui ont beaucoup gagné, ne pleurent pas facilement. En privé peut-être, mais en public, un Glorieux refoule sa peine dans la mesure du possible.
Cournoyer n'aurait pas plus de peine s'il avait perdu un membre de sa propre famille. Béliveau a été un coéquipier, un capitaine, un mentor et un ami qu'il souhaitait pour la vie. Une vie qu'il aurait souhaité plus longue et moins douloureuse pour le gracieux numéro 4.
Il est fier de ce qu'il a lui-même représenté pour le Gros Bill, le genre de qualificatif qu'on n'a jamais entendu dans sa bouche, cependant. On ne l'a jamais entendu utiliser un autre nom que Jean. Jean a fait ceci, Jean a fait cela. Jean savait regrouper les membres de l'équipe. Il est touché que Béliveau l'ait considéré symboliquement comme son fils. Ça, il ne l'oubliera jamais.
Cournoyer avait 20 ans quand il a profité d'un essai de cinq matchs avec le Canadien. Il est devenu un membre régulier de l'équipe à 21 ans. C'était jeune pour graduer avec le Canadien à l'époque. L'entraîneur Toe Blake avait jugé que la meilleure façon de faciliter son adaptation à la Ligue nationale était de lui attribuer un chambreur mature et discipliné. Du jour au lendemain, la verte recrue a partagé la chambre du capitaine sur la route, rien de moins.
C'est à ce moment que Béliveau a commencé, d'une façon plutôt sympathique, à le considérer comme le fils qu'il n'avait jamais eu, lui qui avait une fille unique.
« Cela m'amusait quand il me disait: "Viens te coucher mon fils, il est assez tard" », rappelle-t-il en souriant.
Dans le vestiaire, il était aussi le voisin de banquette du Grand Jean qui lui a souvent fait profiter de son vécu. Il se souvient encore parfaitement de ce qu'il lui répétait très souvent. « Il me rappelait constamment que le temps passe très vite. "Tu vas voir, Yvan, qu'une carrière est vite passée". Moi, à 20 ans, je me disais que j'avais encore beaucoup de temps devant moi », souligne-t-il.
C'était comment partager la chambre du plus grand leader de l'équipe? On imagine qu'il fallait préserver son intimité. Ne pas briser le silence dans la place quand le hockeyeur-intellectuel avait les yeux plongés dans un livre. La remarque le fait sourire.
« Jean ne se couchait pas de bonne heure, précise-t-il. Nous avions un solide esprit d'équipe. Il était notre capitaine et il sortait avec les boys. Je peux te dire qu'on ne se couchait pas toujours à l'heure. Nous étions tous des capitaines. Sur la glace, nous avions un job à faire et on essayait de le faire le mieux possible. Il y a une chose qui n'a jamais changé. Les vrais capitaines, c'est à l'extérieur de la patinoire qu'on les reconnaît. »
Des capitaines, il y en avait plusieurs durant la rencontre privée de plusieurs membres de la grande famille du Canadien avec le clan Béliveau une bonne heure avant l'ouverture du Centre Bell ce matin. Il y avait les capitaines qui ont porté le C sur leur chandail, notamment Vincent Damphousse, Henri Richard et Cournoyer, et les autres qui se sont comportés, pour la plupart, comme des capitaines durant leur carrière: Dickie Moore, Phil Goyette, Jean-Guy Talbot, Marcel Bonin, Robert Rousseau, Steve Bégin, Guy Lapointe, Réjean Houle, Christian Bordeleau, Yvon Lambert et Georges Laraque. Comme il s'agissait d'un moment de recueillement pour la grande famille du Canadien, les Molson étaient là en grand nombre, de même que les ex-présidents Ronald Corey et Pierre Boivin et l'ancien propriétaire, George Gillett.
Compte tenu de la notoriété du disparu, ils seront plusieurs à prendre la parole à ses funérailles. Geoff Molson, qui sera le premier à s'exécuter, sera suivi de Dickie Moore, Ken Dryden, Serge Savard et Cournoyer.
D'ici là, la famille Béliveau continuera de recevoir les condoléances du public dans une ambiance feutrée et émotive. On s'est attardé aux moindres détails pour créer un site très particulier. Les trophées Hart, Art Ross et Conny Smythe qu'il a gagnés et la coupe Stanley, qui contient 17 fois son nom, enjolivent le décor. Une large bannière portant son numéro, descendue au-dessus du cercueil, est lignée de noir. Deux éléments très spéciaux, mis en lumière par des réflecteurs, ne peuvent pas échapper à l'attention des visiteurs. Le siège occupé par Béliveau, à trois rangées du banc de l'équipe, drapé d'un chandail numéro 4, et la bannière représentant son chandail dans les hauteurs de l'édifice sont illuminés, ajoutant ainsi à la nostalgie du décor. Tout cela enveloppé d'une musique de circonstance.
La veille, le Centre Bell était une arène de boxe. Aujourd'hui, c'est une cathédrale.
La vie de condo
Impossible de jaser avec Cournoyer de sa relation avec ce coéquipier qui a marqué sa vie sans revenir sur sa dernière rencontre avec lui, à son condo de Longueuil, alors qu'on croyait l'hôte de la maison dans les derniers moments de sa vie. Le simple fait de revenir là-dessus provoque chez lui un sanglot qu'il ne peut réprimer. Béliveau avait quitté son lit pour occuper un fauteuil pour la circonstance. Après un premier moment de grande émotion, ils ont pu se remémorer une anecdote qui les a fait sourire.
Il y avait beaucoup de chaleur au 21e étage de ce condo offrant une vue spectaculaire sur Montréal. Accompagné de sa femme Évelyn, Cournoyer a pu constater que Béliveau ne regrettait nullement d'avoir quitté, il y a sept ans, la seule maison qu'il ait occupée (durant 53 ans) après avoir quitté Québec pour joindre les rangs du Canadien. Il lui avait recommandé plusieurs fois de s'installer dans un endroit où il n'aurait plus à vaquer à toutes sortes de petits travaux autour de la maison qui n'étaient plus de son âge.
« Jean s'était privé de son garage pour procéder à une rallonge de la maison, raconte celui dont le numéro 12 a été retiré il y a neuf ans. Ça ne faisait aucun sens. Élise et lui passaient leurs hivers à déblayer la voiture et l'entrée de la maison. Quand je lui conseillais de s'installer en condo, il répondait toujours que sa femme aimait ses fleurs. Un jour qu'on participait à un événement à Toronto, il m'a annoncé avec un sourire large comme ça qu'il avait vendu sa maison. Il m'a dit cela avec l'enthousiasme d'un gars qui venait de gagner la coupe Stanley. Il se disait content de ne plus avoir à sortir ses poubelles. Il s'amusait du fait qu'il n'avait qu'à laisser tomber un sac dans la chute à déchets. On en a ri un bon coup. »
Un dur moment
On se surprend parfois à espérer que les amateurs de hockey québécois voient arriver un jour un autre athlète de la dimension et du charisme de l'ancien capitaine, mais s'il y a une chose dont Cournoyer soit absolument certain, c'est que cela ne se produira pas.
« Il n'y en aura pas d'autres comme lui. Il n'y aura jamais deux Jean Béliveau. Impossible », dit-il.
L'ex-Roadrunner a trouvé la dernière semaine très difficile. À quelques jours d'intervalle, il a perdu son ailier gauche et son joueur de centre, deux compagnons de trio qui ont été étroitement liés à ses propres succès offensifs.
« S'il y a une ou deux équipes originales en haut, elles ne seront pas contentes de voir arriver ces deux-là », mentionne-t-il.
Salut Gilles
Samedi, à Repentigny, on a assisté au départ de Tremblay, un merveilleux patineur qui a été le Bob Gainey de son époque. Un Gainey plus offensif, faut-il le dire, puisqu'il a connu cinq saisons de plus de 20 buts. Une mini coupe Stanley et un trophée issu du gala des Gémeaux en 1994, saluant sa contribution et celle de Claude Quenneville à la Soirée du hockey, témoignaient de ses deux belles carrières.
Il n'y avait qu'un seul Gémeaux pour les deux et Quenneville le lui avait offert en cadeau.
Un beau geste.