Quand le public en a assez...
Canadiens mercredi, 18 oct. 2017. 08:56 jeudi, 12 déc. 2024. 00:57J’ai rarement entendu autant de propos négatifs visant le Canadien. Habituellement, quand les gens sont amèrement déçus, ils font semblant de se fâcher, mais ça ne dure pas. C’est une forme de pression qu’ils aiment bien exercer sur l’organisation et qui atteint rarement l’objectif visé.
Cette fois, les récriminations sont d’un autre genre. Elles ne se limitent pas aux performances de l’équipe. Elles témoignent d’une exaspération et d’une patience qui a atteint ses limites. Elles visent directement ceux qui besognent dans les hautes sphères du Centre Bell. Si l’entraîneur Claude Julien est un intouchable en vertu de son contrat blindé et si le directeur général Marc Bergevin donne l’impression d’être à court de solutions pour donner le coup de barre que sa troupe aurait bien besoin, Geoff Molson devient la cible de ceux qui paient très cher pour acheter son produit. Le président-propriétaire encaisse actuellement une bonne part du blâme pour tout ce qui ne va pas, sur la glace comme à l’extérieur.
Si le Canadien connaissait un début de saison à l’image des départs impressionnants de son ancien entraîneur, Molson ne serait nullement importuné dans sa tour d’ivoire. Les hausses annuelles des abonnements de saison, la décision ridicule d’imposer une « taxe de luxe » sur les billets version papier et les prix carrément abusifs aux concessions sont tous des irritants qui laissent l’amateur avec la désagréable impression que les revenus ont préséance sur les succès de l’équipe. Ces frais supplémentaires imposés sur les billets imprimés ont vraiment fait exploser le vent de mécontentement qui soufflait sur l’équipe depuis l’été. L’une des formations les plus riches de la Ligue nationale en a rajouté en venant fouiller plus profondément encore dans les poches de ses fans. Des organisations beaucoup moins à l’aise financièrement que le Canadien, Calgary et Ottawa par exemple, offrent des billets version papier sans exiger des frais additionnels. À Toronto, ce système n’a pas encore été instauré. La direction des Maple Leafs affirme que si jamais elle tente l’expérience, elle ne le fera pas sans consulter d’abord sa clientèle.
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Tout cela survient après avoir raté les séries il y a deux ans et avoir piqué du nez contre les Rangers au printemps. On ne reviendra pas sur la défense qui a été charcutée et qui a perdu totalement son identité depuis. On n’insistera pas sur les problèmes récurrents de l’attaque pour lesquels on cherche vainement des solutions.
L’espoir des amateurs est vraiment testé. Il y a un an à peine, on extrapolait régulièrement sur la fameuse fenêtre d’opportunité qui s’offrait au Canadien en vue d’une 25e coupe Stanley. Si c’était réaliste il y a un an, voire deux, ça ne l’est plus. Des formations continuent de progresser pendant que le Canadien régresse. Y a-t-il un seul chrétien au Québec qui croit vraiment que le Canadien va remporter la coupe Stanley avant Edmonton ou Toronto? La fameuse fenêtre génératrice d’espoir est donc fermée hermétiquement pour le moment.
Si ma mémoire me sert bien, c’est la première fois qu’un tel vent de mécontentement balaie le Canadien depuis le message très fort que les Montréalais avaient envoyé à l’ex-président Ronald Corey à l’occasion du repêchage de 1992 tenu en plein Forum.
Au cours des trois printemps précédents, le Canadien n’avait pas franchi la deuxième ronde des séries. Chaque fois, il avait été éliminé, oh sacrilège, par les Bruins de Boston. La dernière fois en quatre matchs s’il vous plaît. De 1988 à 1991, l’organisation avait vu un seul de ses choix de première ronde se tailler une place dans la formation, le gros Turner Stevenson. Au rayon des erreurs coûteuses durant ces trois années, il y avait Éric Charron, Lindsay Vallis et Brent Bilodeau. C’est donc dans cette ambiance déprimante que l’équipe s’était présentée à la séance de repêchage de 1992.
Ronald Corey embarrassé
En prenant place sur le podium pour souhaiter la bienvenue aux différentes formations de la ligue et aux partisans de l’équipe, Ronald Corey avait été copieusement hué. Il avait été plus chahuté que le président de la ligue, John Ziegler, ce qui n’était pas rien. On l’avait visé parce qu’il représentait la plus haute instance de l’organisation. La situation ne s’était pas améliorée quelques minutes plus tard quand l’équipe avait utilisé son premier choix pour réclamer un autre boeuf de l’Ouest. Le pauvre David Wilkie, dont c’était le jour le plus important de sa jeune carrière, avait été hué à son tour.
Dans cette ambiance surchauffée, chaque sélection des Nordiques de Québec avait été saluée par des applaudissements nourris en signe de dérision. Dans le temps, on pouvait toujours compter sur les Nordiques pour forcer le Canadien à réagir. S’ils étaient toujours là, la direction du Canadien hésiterait davantage avant de prendre le genre de décisions qui lui vaut actuellement autant de critiques. Comme si les Nordiques avaient voulu tourner le fer dans la plaie ce jour-là, ils avaient réclamé quatre espoirs de la Ligue de hockey junior majeur du Québec, dont le gardien Emmanuel Fernandez, le neveu de Jacques Lemaire, qui était assis à la droite de Serge Savard. C’est devenu une mauvaise journée sur toute la ligne quand le directeur du recrutement André Boudrias, au lieu de prendre une chance avec un joueur québécois en procédant à son 11e et dernier choix, avait opté pour un joueur japonais dont on n’a même jamais vu la photo.
Corey, qui était fort habile pour créer des diversions quand les choses allaient mal, avait semblé très ébranlé cette fois. Il avait révélé que ce message, exprimé haut et fort, avait été bien saisi. Pour Corey, Serge Savard, André Boudrias et Jacques Lemaire, il n’y avait pas de doute possible. Le feu couvait aux quatre coins de la ville. Savard avait promis des changements majeurs, ce qu’il avait fait avec panache quelques semaines plus tard en allant chercher Vincent Damphousse à Edmonton et Brian Bellows au Minnesota. Il avait aussi sorti Jacques Demers de la retraite pour lui permettre de succéder à Pat Burns. Grâce aux 40 buts de Bellows, aux 39 buts de Damphousse, aux 37 buts de Kirk Muller et au leadership positif de Demers, le Canadien avait immédiatement rebondi avec une coupe Stanley, sa dernière.
C’est parfois ce qui se produit quand le peuple manifeste sa mauvaise humeur en exerçant une pression écrasante sur les têtes dirigeantes de l’équipe. En 1992, tous les éléments y étaient pour que ça sente le chauffé au Forum : trois printemps catastrophiques consécutifs contre les Bruins de Boston, la concurrence tenace des Nordiques et des gaffes répétées au repêchage. C’était suffisant pour rendre l’ambiance suffocante au sein de l’administration Corey-Savard.
Vingt-cinq ans plus tard, le peuple a encore une fois l’impression qu’on se paie sa tête. Plus l’équipe engrange des dollars et plus la coupe Stanley s’éloigne de Montréal. En exploitant la naïveté des amateurs et en trouvant toutes sortes de stratagèmes pour l’obliger à dépenser un dollar loisir de plus en plus rare, on risque d’étirer un élastique qui finira par leur péter en plein visage. C’est arrivé à Corey il y a 25 ans pour des raisons exclusivement reliées au hockey.
Geoff Molson ne peut pas prendre la grogne publique à la légère. C’est aujourd’hui sa responsabilité de voir à regagner la confiance des amateurs. On n’y arrivera pas uniquement en baissant le prix des hot dogs. Il doit surtout faire la démonstration qu’il désire gagner la coupe à n’importe quel prix. À tort ou à raison, on n’est pas toujours convaincu qu’il s’agit de sa responsabilité première. On ne peut pas générer des revenus de toutes les manières imaginables au détriment du seul objectif qui compte vraiment : GAGNER.