Une urne bien choisie
Hockey lundi, 29 nov. 2010. 21:17 samedi, 21 déc. 2024. 20:37
En connaissez-vous beaucoup des petits durs natifs de Saint-Henri dont les funérailles ont été célébrées dans une cathédrale par l'archevêque du diocèse de Montréal, monseigneur Jean-Claude Turcotte?
Comme l'a fait remarquer Robin Burns, le cousin du défunt, dans une allocution amusante et bien sentie : "Pas mal pour une tête carré de Saint-Henri."
Pas mal, dites-vous? Le disparu aurait même pu s'amuser à former deux bons trios parmi le groupe imposant de prêtres qui secondaient le réputé célébrant dont le nom a déjà été mentionné comme un éventuel candidat au trône papal.
Il en a fait déplacer des gens, Pat Burns, à l'occasion de son dernier rendez-vous avec le monde du hockey. Il n'aurait sans doute pas pleuré s'il avait été là car, comme l'a mentionné le curé, il a affronté la mort comme nous affrontons tous la vie. Il savait depuis longtemps que ce départ était incontournable.
Des propos qui ont été corroborés par le directeur général des Devils du New Jersey, Lou Lamoriello, qui a galamment remercié son épouse Line de lui avoir permis de jaser seul à seul avec son mari, à deux jours de sa mort. "Pat ne pouvait plus parler, mais j'ai vu dans ses yeux beaucoup de calme et une grande sérénité. Il était prêt", a-t-il raconté.
La cérémonie, préparée par la famille et minutieusement orchestrée par la machine bien huilée du Canadien en matière d'événements, a regroupé près de 1 200 amis, admirateurs, gens de hockey venus de partout et membres des médias qui, sans se marcher sur les pieds sur le parvis de la cathédrale, ont couvert l'événement avec tout le respect exigé par la famille.
Pat aurait été ravi de savoir dans quel lit on lui permettra de dormir pour l'éternité. Line, les yeux rougis par le chagrin, est entrée dans l'église en serrant amoureusement contre sa poitrine la réplique de la coupe Stanley qu'on remet annuellement à chacun des gagnants, un trophée haut de deux pieds dans lequel reposaient les cendres de son époux.
Cette urne n'aurait pu être mieux choisie. La coupe Stanley, remportée par les Devils en 2003, constitue l'exploit numéro d'une carrière bien remplie. Burns en avait rêvée. Il avait passé des années à lui courir après. C'était la pièce d'argenterie la plus chère à ses yeux. On imagine maintenant toute la place qu'elle occupera dans la maison devenue trop grande de Line qui, chaque jour, vivra avec le souvenir de son homme sous les yeux.
Plus tard, l'émotion était à trancher au couteau quand elle est allée déposer l'urne entre les mains des porteurs à l'extérieur de la cathédrale, tout en franchissant l'allée entre les deux rangées d'honneur formées par l'équipe entière des Devils, sa dernière famille sportive.
Parti dans l'amertume
C'est à Montréal que s'est amorcé le brillant parcours de 14 saisons, de 501 victoires, de trois trophées Jack Adams et d'une coupe Stanley de Burns. C'était normal que cet au revoir ait lieu à deux ou trois kilomètres du Forum où il a dirigé l'équipe de son enfance que lui avait confiée Serge Savard. Quand il était ti-cul, c'est au pied de la côté Atwater, tout près du Forum, qu'il s'endormait le soir en souhaitant qu'on lui annonce une victoire du Canadien à son réveil.
C'est cette même équipe qu'il s'est résigné à quitter après quatre saisons d'une pression écrasante. S'il n'était pas parti, il y aurait laissé sa santé, lui le policier qui en avait pourtant vu bien d'autres. Mais entre mettre des bandits sous verrous comme policier et faire face à la grogne du public et des médias quand le Canadien en arrache, il savait parfaitement quelle mission était la plus difficile. Dans une de ses envolées oratoires colorées, il m'avait exprimé son amertume et toute l'injustice qu'il ressentait en quittant Montréal pour Toronto.
"Le convoi de charriots tournait autour de moi et ça tirait de partout, avait-il dit. Un de ces jours, dans ce métier, il faudra que les flèches puissent aller dans l'autre sens. À ce que je sache, dans les films de cowboys, ça tire des deux bords."
Durant la cérémonie, j'ai réfléchi à la façon la mieux appropriée de se souvenir de Pat Burns. Que doit-on se rappeler de l'homme et de l'entraîneur qui, cinq après avoir dirigé son dernier match, a fait déplacer des gens de tous les principaux secteurs de hockey de l'Amérique?
Je crois qu'on va se souvenir d'un homme bourru et grognon qui aurait fait n'importe quoi pour cacher le coeur tendre qui battait à l'intérieur de son imposante charpente. Comme s'il avait ressenti l'obligation de projeter une image de macho pour connaître le succès dans un sport qui l'était déjà beaucoup.
Juste pour vous dire, il a passé quatre ans à s'engueuler avec les journalistes d'opinion couvrant les activités du Canadien. Or, le jour de son départ, il a téléphoné personnellement à Red Fisher, à Jack Todd, à Réjean Tremblay et à moi-même pour nous remercier. Je ne serais pas étonné que les trois autres, tout comme moi, soient tombés en bas de leur chaise.
Un dur qui agissait comme un père
Dans l'église, à quelques pas de moi, au bout de la banquette, prenait place un jeune homme, ému, souvent la tête entre les mains, qui n'a pas dit un seul mot à ses voisins durant les deux heures qu'a duré la cérémonie. C'était un ancien joueur de Burns, peut-être celui qu'il a traité le plus durement devant les caméras, celui de qui il a dit un jour, dans un moment d'impatience: «Qu'il mange de la marde...»
Souvent critiqué, avec raison, par les médias quand son indiscipline hors glace plaçait toute l'organisation dans l'embarras, Shayne Corson reconnaissait que Burns avait contribué à prolonger sa carrière en le brassant royalement. "Il se rangeait derrière nous quand nous nous mettions dans le pétrin, mais il nous sermonnait comme notre père l'aurait fait".
A l'extérieur de l'église, quelques instants avant ces funérailles grandioses, une autre personne a attiré l'attention. Avec une quarantaine de livres en moins et récemment victime d'une phlébite, Jacques Demers n'aurait pas voulu manquer la cérémonie.
Le sort qu'a connu Burns l'a beaucoup fait réfléchir. C'est bien jeune, 58 ans, pour partir. Dieu sait tout ce que Burns aurait pu accomplir s'il n'avait pas été frappé par le cancer. À ses 501 victoires, il aurait probablement fallu en ajouter 300 autres et qui sait, peut-être même une autre coupe.
L'été dernier, Burns vivait difficilement ses derniers moments sur terre pendant que le sénateur Demers, déjà riche, célèbre et pétant de bonheur, à 66 ans, profitait pleinement de tout ce que la vie avait à lui offrir. Puis, sans crier gare, Demers s'est retrouvé entre la vie et la mort sur une table d'opération.
Il n'est pas sans réaliser sa chance car il s'en est fallu de peu pour qu'il parte avant Burns, pourtant gravement malade depuis quatre ans. Le message semble clair. Il est préférable de profiter pleinement de la vie pendant qu'elle veut encore de nous.
Comme l'a fait remarquer Robin Burns, le cousin du défunt, dans une allocution amusante et bien sentie : "Pas mal pour une tête carré de Saint-Henri."
Pas mal, dites-vous? Le disparu aurait même pu s'amuser à former deux bons trios parmi le groupe imposant de prêtres qui secondaient le réputé célébrant dont le nom a déjà été mentionné comme un éventuel candidat au trône papal.
Il en a fait déplacer des gens, Pat Burns, à l'occasion de son dernier rendez-vous avec le monde du hockey. Il n'aurait sans doute pas pleuré s'il avait été là car, comme l'a mentionné le curé, il a affronté la mort comme nous affrontons tous la vie. Il savait depuis longtemps que ce départ était incontournable.
Des propos qui ont été corroborés par le directeur général des Devils du New Jersey, Lou Lamoriello, qui a galamment remercié son épouse Line de lui avoir permis de jaser seul à seul avec son mari, à deux jours de sa mort. "Pat ne pouvait plus parler, mais j'ai vu dans ses yeux beaucoup de calme et une grande sérénité. Il était prêt", a-t-il raconté.
La cérémonie, préparée par la famille et minutieusement orchestrée par la machine bien huilée du Canadien en matière d'événements, a regroupé près de 1 200 amis, admirateurs, gens de hockey venus de partout et membres des médias qui, sans se marcher sur les pieds sur le parvis de la cathédrale, ont couvert l'événement avec tout le respect exigé par la famille.
Pat aurait été ravi de savoir dans quel lit on lui permettra de dormir pour l'éternité. Line, les yeux rougis par le chagrin, est entrée dans l'église en serrant amoureusement contre sa poitrine la réplique de la coupe Stanley qu'on remet annuellement à chacun des gagnants, un trophée haut de deux pieds dans lequel reposaient les cendres de son époux.
Cette urne n'aurait pu être mieux choisie. La coupe Stanley, remportée par les Devils en 2003, constitue l'exploit numéro d'une carrière bien remplie. Burns en avait rêvée. Il avait passé des années à lui courir après. C'était la pièce d'argenterie la plus chère à ses yeux. On imagine maintenant toute la place qu'elle occupera dans la maison devenue trop grande de Line qui, chaque jour, vivra avec le souvenir de son homme sous les yeux.
Plus tard, l'émotion était à trancher au couteau quand elle est allée déposer l'urne entre les mains des porteurs à l'extérieur de la cathédrale, tout en franchissant l'allée entre les deux rangées d'honneur formées par l'équipe entière des Devils, sa dernière famille sportive.
Parti dans l'amertume
C'est à Montréal que s'est amorcé le brillant parcours de 14 saisons, de 501 victoires, de trois trophées Jack Adams et d'une coupe Stanley de Burns. C'était normal que cet au revoir ait lieu à deux ou trois kilomètres du Forum où il a dirigé l'équipe de son enfance que lui avait confiée Serge Savard. Quand il était ti-cul, c'est au pied de la côté Atwater, tout près du Forum, qu'il s'endormait le soir en souhaitant qu'on lui annonce une victoire du Canadien à son réveil.
C'est cette même équipe qu'il s'est résigné à quitter après quatre saisons d'une pression écrasante. S'il n'était pas parti, il y aurait laissé sa santé, lui le policier qui en avait pourtant vu bien d'autres. Mais entre mettre des bandits sous verrous comme policier et faire face à la grogne du public et des médias quand le Canadien en arrache, il savait parfaitement quelle mission était la plus difficile. Dans une de ses envolées oratoires colorées, il m'avait exprimé son amertume et toute l'injustice qu'il ressentait en quittant Montréal pour Toronto.
"Le convoi de charriots tournait autour de moi et ça tirait de partout, avait-il dit. Un de ces jours, dans ce métier, il faudra que les flèches puissent aller dans l'autre sens. À ce que je sache, dans les films de cowboys, ça tire des deux bords."
Durant la cérémonie, j'ai réfléchi à la façon la mieux appropriée de se souvenir de Pat Burns. Que doit-on se rappeler de l'homme et de l'entraîneur qui, cinq après avoir dirigé son dernier match, a fait déplacer des gens de tous les principaux secteurs de hockey de l'Amérique?
Je crois qu'on va se souvenir d'un homme bourru et grognon qui aurait fait n'importe quoi pour cacher le coeur tendre qui battait à l'intérieur de son imposante charpente. Comme s'il avait ressenti l'obligation de projeter une image de macho pour connaître le succès dans un sport qui l'était déjà beaucoup.
Juste pour vous dire, il a passé quatre ans à s'engueuler avec les journalistes d'opinion couvrant les activités du Canadien. Or, le jour de son départ, il a téléphoné personnellement à Red Fisher, à Jack Todd, à Réjean Tremblay et à moi-même pour nous remercier. Je ne serais pas étonné que les trois autres, tout comme moi, soient tombés en bas de leur chaise.
Un dur qui agissait comme un père
Dans l'église, à quelques pas de moi, au bout de la banquette, prenait place un jeune homme, ému, souvent la tête entre les mains, qui n'a pas dit un seul mot à ses voisins durant les deux heures qu'a duré la cérémonie. C'était un ancien joueur de Burns, peut-être celui qu'il a traité le plus durement devant les caméras, celui de qui il a dit un jour, dans un moment d'impatience: «Qu'il mange de la marde...»
Souvent critiqué, avec raison, par les médias quand son indiscipline hors glace plaçait toute l'organisation dans l'embarras, Shayne Corson reconnaissait que Burns avait contribué à prolonger sa carrière en le brassant royalement. "Il se rangeait derrière nous quand nous nous mettions dans le pétrin, mais il nous sermonnait comme notre père l'aurait fait".
A l'extérieur de l'église, quelques instants avant ces funérailles grandioses, une autre personne a attiré l'attention. Avec une quarantaine de livres en moins et récemment victime d'une phlébite, Jacques Demers n'aurait pas voulu manquer la cérémonie.
Le sort qu'a connu Burns l'a beaucoup fait réfléchir. C'est bien jeune, 58 ans, pour partir. Dieu sait tout ce que Burns aurait pu accomplir s'il n'avait pas été frappé par le cancer. À ses 501 victoires, il aurait probablement fallu en ajouter 300 autres et qui sait, peut-être même une autre coupe.
L'été dernier, Burns vivait difficilement ses derniers moments sur terre pendant que le sénateur Demers, déjà riche, célèbre et pétant de bonheur, à 66 ans, profitait pleinement de tout ce que la vie avait à lui offrir. Puis, sans crier gare, Demers s'est retrouvé entre la vie et la mort sur une table d'opération.
Il n'est pas sans réaliser sa chance car il s'en est fallu de peu pour qu'il parte avant Burns, pourtant gravement malade depuis quatre ans. Le message semble clair. Il est préférable de profiter pleinement de la vie pendant qu'elle veut encore de nous.