MONTRÉAL – Un groupe de chercheurs d’institutions montréalaises a bénéficié de l’intelligence artificielle pour effectuer une percée qui pourrait devenir majeure à plusieurs égards par rapport aux commotions cérébrales.

Les chercheurs ont procédé à différents tests sur des anciens athlètes universitaires âgés de 51 à 75 ans ayant pratiqué des sports de contact tels le hockey sur glace et le football. D’un côté, ils ont récolté des données sur 15 sujets qui ont subi des commotions cérébrales durant leur carrière et ils en ont fait de même avec 15 autres candidats qui ont évité ce type de blessure.

C’est ici que ça devient fascinant. Ils sont parvenus à développer un outil diagnostique permettant de déceler des commotions cérébrales survenues il y a plusieurs années. Auparavant, il fallait attendre jusqu’à l’autopsie, mais l’intelligence artificielle commence à révolutionner la médecine.

« Le modèle d’intelligence artificielle a révélé six caractéristiques distinctes du cerveau commotionné. Ces six caractéristiques, on les retrouvait presque uniquement chez des cerveaux commotionnés. On était donc en mesure de dire, avec 90 % de précision, qu’un cerveau était commotionné par rapport à un autre qui ne l’est pas », a expliqué Louis de Beaumont, Ph. D., chercheur à l’Hôpital du Sacré-Cœur de Montréal et à l’Université de Montréal.

« Ce fut des travaux de longue haleine, ça fait près d’une décennie qu’on récolte des données sur les athlètes. On a ramassé plusieurs des meilleurs biomarqueurs sur les commotions cérébrales et on a décidé de tout mettre ensemble grâce l’intelligence artificielle. Il ne faut pas avoir peur du terme, ça ne fait que mettre en commun des informations, tu la nourris avec des données. L’intelligence artificielle permet de prendre des millions de données ensemble et faire ressortir des choses uniques que l’on ne peut pas suspecter. Même le meilleur radiologiste au monde ne pourrait jamais trouver des combinaisons comme l’intelligence artificielle; voilà la grande avancée », a-t-il témoigné au RDS.ca.

Pour le moment, les chercheurs de l’Université de Montréal, de l’Institut et hôpital neurologiques de Montréal (le Neuro) et du Centre Ludmer en neuroinformatique et santé mentale ne sont pas prêts à utiliser le terme « majeur » pour qualifier cette avancée.

Afin que l'outil puisse être utilisé en clinique, il faudra un échantillon plus grand, de même que« Non, parce que c’est préliminaire. Il faut bien comprendre qu’on a travaillé sur un petit échantillon. On a les moyens financiers du Québec, toute notre recherche est financée par le commun des mortels puisqu’on est des chercheurs publics », a précisé le Dr. Sébastien Tremblay, chercheur postdoctoral au Neuro.

« Le procédé fonctionne et c’est très encourageant, mais pour que ça devienne un outil qu’on peut utiliser en clinique, il va falloir répliquer l’étude avec un plus grand échantillon et on a besoin de plus d’argent », a enchaîné celui qui est docteur en neuroscience.

Le gouvernement du Québec a justement dévoilé, il y a quelques jours, son protocole de gestion des commotions cérébrales qui ne fait pas l’unanimité même si l'initiative est saluée.

Un outil précieux pour les poursuites judiciaires?

Depuis quelques années, les plus grands circuits professionnels, comme la NFL et la LNH, ont été poursuivis par des regroupements d’anciens joueurs victimes de commotions cérébrales. Nul doute, les progrès réalisés pourraient devenir des alliés de taille pour les plaignants.

« Si on arrive à le répliquer sur un grand échantillon, ce sera extrêmement important. Dans les poursuites, quand un athlète dit qu’il a subi 14 commotions cérébrales, on se fie uniquement à son témoignage et ça n’a pas beaucoup de valeur. Notre modèle va permettre de dire avec 90% de précision qu’un cerveau a subi une commotion cérébrale de manière totalement objective et des preuves objectives en cour, c’est ultra important », a confié Dr. de Beaumont.

Du côté de la NFL, le dossier a été réglé pour un montant pouvant atteindre un milliard et qui pourrait dédommager jusqu’à 20 000 retraités. Par contre, la LNH n’est pas sorti du bois et un avocat impliqué dans la poursuite contre le circuit Bettman a reconnu qu’il s’agit d’un outil potentiel.

« Absolument. Je supporte leurs démarches, ça peut seulement nous aider à faire avancer nos causes. J’ai une réaction très positive à ce développement. J’accueille le tout avec beaucoup d’enthousiasme même s’il ne s’agit que de résultats avec un petit échantillon », a réagi Me Charles Zimmerman

« La LNH continue de nier qu’il y a un lien entre les coups encaissés au hockey et les impacts cognitifs à long terme. Plus il y aura de preuves scientifiques qui démontrent les conséquences des commotions cérébrales, plus ça aidera à faire avancer les dossiers », a ajouté Me Zimmerman.

Ce son de cloche a été confirmé par une avocate québécoise spécialisée en droit de la santé qui remarque la possibilité d’une preuve intéressante à condition de valider les résultats à grande échelle.

La patience sera nécessaire, mais les chercheurs tablent sur la prochaine étape.

« On travaille sur la cueillette de données d’une autre cohorte d’athlètes. On parle de deux ou trois ans, on sait exactement comment procéder puisqu’on l’a déjà fait », a jugé Dr. de Beaumont qui s’attend à un rayonnement international pour cette percée quand le modèle sera appuyé avec des statistiques d’envergure.

Des indices pour découvrir un traitement

Pour aboutir à des conclusions aussi précises, des tests neuropsychologiques, de génotypage et de neuroimagerie structurelle, des tests d’imagerie par spectroscopie de résonance magnétique ainsi que des tests d’imagerie de diffusion ont été nécessaires.

Le tout ne se transpose donc pas sur les lignes de côté d’un terrain de football ou dans un aréna de hockey. Par contre, les chercheurs s’attardent à cet objectif d’élaborer une procédure permettant de confirmer ou infirmer une commotion cérébrale.

« Il y a tout un ensemble de patients qui a besoin d’un outil neutre pour détecter des commotions cérébrales pendant un match ou après un match. On veut le faire parce qu’il y a le même problème présentement : on doit se fier aux propos de l’athlète. On travaille là-dessus, mais on est encore en développement », a relaté Dr. Tremblay en insistant que des efforts dans ce sens ont lieu à l’échelle de la planète.

Grâce à leurs découvertes – qui se préciseront au fil de leurs travaux – les chercheurs souhaitent également élaborer le premier traitement reconnu scientifiquement pour le fléau des commotions cérébrales.

« C’est une question très importante. Il faut savoir qu’il n’y a aucun traitement scientifiquement validé pour les commotions cérébrales et ce n’est pas clair pour tout le monde malheureusement. Il y a plusieurs petites cliniques qui sont lancées et qui vendent des traitements très chers à des gens qui ne savent pas que ce ne sont pas des traitements valides », a tenu à préciser Dr. Tremblay.

« On pourra faire ressortir des cibles thérapeutiques en déterminant, par exemple, que les symptômes des commotions cérébrales sont liés essentiellement à trois ou quatre composantes du cerveau qui ne vont vraiment pas bien. Ça va nous orienter sur des traitements plus spécifiques », a souhaité Dr. de Beaumont qui veut aussi prouver que les commotions cérébrales provoquent des symptômes distincts de la maladie d’Alzheimer.

Les chercheurs ont donc énormément de pain sur la planche, mais ils ont un partenaire gourmand – l’intelligence artificielle - pour croire à la possibilité d’accomplir ce boulot très utile.