Vachon : mieux vaut tard, que jamais!
LNH samedi, 12 nov. 2016. 17:01 lundi, 16 déc. 2024. 03:09TORONTO – Le 27 juin dernier, lorsque Lanny McDonald, grand patron du Temple de la renommée du hockey, lui a lancé au téléphone : « félicitations! Tu entres », Rogatien Vachon s’est accordé quelques secondes de réflexion avant de répondre : « Merci beaucoup... mais je rentre où? »
Plus de 34 ans après avoir disputé le dernier de ses 795 matchs en carrière et après une plage interminable de 31 années d’admissibilité, Rogatien Vachon ne croyait plus à ses chances d’aller rejoindre les autres immortels gardiens qui ont marqué l’histoire du hockey. Lundi soir, la patience du gardien de Palmarolle en Abitibi sera finalement récompensée. Il franchira les portes du Temple de la renommée du hockey en compagnie d’Eric Lindros, Sergeï Makarov et du regretté Pat Quinn.
« J’ai toujours considéré que j’avais ma place au Temple. Sans être amer, j’étais un peu déçu c’est évident. Je pourrais dire qu’il était temps, mais je préfère dire : mieux vaut tard que jamais », a indiqué Rogatien Vachon en montrant fièrement la bague commémorant sa place au Temple du hockey. Une bague qu’il venait tout juste de glisser à son doigt lors de la cérémonie protocolaire de vendredi.
Dans un coin du grand hall où sont accrochées les plaques des 268 joueurs, 104 bâtisseurs et 16 arbitres et juges de lignes que les quatre intronisés rejoindront lundi, Rogatien Vachon a reconnu que l’appel qu’il a reçu en juin dernier a changé sa vie.
« Il m’a fallu quelques jours avant de réaliser ce que ça représentait. Mais de voir tous ces visages, tous ces noms et surtout ce qu’ils ont représenté pour l’histoire du hockey, c’est vraiment un honneur difficilement quantifiable. J’étais tout en haut de la liste avec les meilleurs gardiens de mon époque. Je le suis encore à compter d’aujourd’hui », a ajouté l’homme de 71 ans dont les mots semblaient flotter sur des vagues successives de fierté bien sûr, mais aussi d’humilité et d’un brin d’émotivité.
Du junior B au temple de la renommée...
Pourquoi Rogatien Vachon vient-il rejoindre les Jacques Plante, Ken Dryden, Patrick Roy et autres illustres gardiens du Canadien et du hockey en général?
Parce qu’il a pris la LNH d’assaut avec le Canadien en février 1967, réalisant un arrêt aux dépens de Gordien Howe sur le tout premier tir qu’il a affronté en carrière. Un tir décoché au terme d’une longue échappée. Prélude à une très grande carrière, cet arrêt aux dépens de Howe a pavé la voie au fait que le petit gardien n’a jamais accordé de but lors des tirs de pénalité qu’il a affrontés en 15 ans de carrière dans la LNH. Bon! On était loin de l’époque des tirs de barrage, mais quand même...
Cette victoire lors de son tout premier match a propulsé Vachon vers les 110 qu’il a signées avec le Canadien. Cent-dix victoires en saison régulière qui l’ont aidé à mettre la main sur le trophée Vézina en 1968. À ces 110 victoires, on doit aussi ajouter 14 gains (cinq revers seulement) en séries éliminatoires qui ont permis à Vachon de soulever la coupe Stanley à deux reprises : en 1968 et en 1969, faisant ravaler à Punch Imlach, l’entraîneur-chef des Maple Leafs de Toronto à l’époque, des propos peu élogieux alors qu’il avait traité de Vachon de gardien sorti du junior B lors des séries éliminatoires en 1967. Des séries que les Leafs ont balayées remportant leur dernière coupe Stanley.
« J’ai toujours pris ses commentaires en riant. De fait, après quelques victoires en séries contre Toronto, je crois qu’il a changé d’idée et qu’il m’a promu au rang de gardien de rang junior A », a ironisé Vachon en guise de réponse à un amateur qui lui a posé une question sur ce sujet samedi après-midi lors de la rencontre annuelle entre les amateurs et les intronisés.
« J’ai gagné la coupe deux fois et j’ai participé à une troisième conquête », s’est permis d’ajouter « Rogie » avec un brin d’ironie et un sourire espiègle malgré son âge vénérable.
Cette troisième conquête, Vachon l’a célébrée dans l’ombre du jeune Ken Dryden qui est débarqué devant le filet du Canadien à la fin de la saison 1970-1971. Premier – et il sera difficile de l’imiter – joueur de l’histoire à soulever la coupe Stanley avant de soulever le trophée Calder remis à la recrue de l’année, Ken Dryden a lancé un message clair au printemps 1971.
D’un Forum à un autre...
Ce message, Rogatien Vachon l’a vite compris.
« Il était clair que Dryden deviendrait le gardien numéro un du Canadien. Après seulement six ans dans la Ligue, j’étais encore jeune, j’étais encore solide, je voulais jouer et jouer comme numéro un. Je suis donc allé frapper au bureau de M. Pollock – Sam Pollock était alors le directeur général du Tricolore – pour lui demander une transaction. Je lui ai dit qu’il pouvait m’envoyer n’importe où. Que je voulais simplement être un numéro un », se souvient Rogatien Vachon.
Pollock a acquiessé. Il a envoyé Rogatien Vachon à l’autre bout du monde : à Los Angeles. Il est passé du Forum de Montréal au Fabulous Forum que les Kings ont toujours partagé avec les Lakers de la NBA.
Cette transaction qui aurait pu être interprétée alors comme une punition a en fait été le tremplin qui a vraiment propulsé le gardien jusqu’au Temple de la renommée. Car c’est avec les Kings que l’excellent gardien est aussi devenu une vedette. Une grande vedette qui a contribué à faire rayonner le hockey sous le soleil de la Californie. Ce qui n’était pas évident lors des premières saisons des Kings et des Golden Seals après la première expansion de 1967.
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Pendant que les Seals étaient la risée de la LNH – ils sont déménagés à Cleveland en 1976 avant d’être fusionnés aux North Stars du Minnesota à l’aube de la saison 1978-1979 – les Kings se sont solidement ancrés sur les plages de Los Angeles grâce à Rogatien Vachon qui est venu solidifier une défense qui en avait grand besoin.
« Les gens ont oublié ça, mais notre saison de 105 points en 1974-1975 (42 victoires, 17 défaites et 21 verdicts nuls) demeure la plus productive des Kings en 50 ans. On avait une équipe pas pire, mais quand Bob Pulford a pris sa retraite et est devenu l’entraîneur-chef, c’est là qu’on est devenus vraiment bons. On avait un grand coach et Marcel (Dionne), Dave Taylor et Charlie Simmer sont arrivés. On est alors devenus très gros à L.A.. Wayne Gretzky les a fait grandir encore plus, c’est clair et aujourd’hui les Kings sont une force de la LNH comme le démontrent les deux coupes Stanley et les succès des sept dernières années. »
Vachon n’a pas gagné la coupe Stanley avec les Kings. Ses prouesses devant le filet lui ont toutefois permis de terminer 2e et 3e dans la course au trophée Hart en 1975 et 1977. Des courses remportées par Bobby Clarke et Guy Lafleur.
S’il n’a pas été solide à titre d’entraîneur et de directeur général, Vachon a quand même contribué à la mise en marché des Kings à titre de président et surtout de visage connu et reconnu de l’organisation à laquelle il est associé depuis son arrivée en Californie en 1972. Et encore aujourd’hui, lorsqu’il déambule autour de sa résidence à Venice Beach, « Rogie » est reconnu.
Duel historique Vachon-Dzurila
Les exploits multipliés avec le Canadien et les Kings – il a aussi défendu les couleurs des Red Wings de Detroit et des Bruins de Boston avec qui il a terminé sa carrière – auraient à eux seuls justifié la présence de Rogatien au Temple de la renommée.
Ses performances à la coupe Canada de 1976 ont simplement confirmé cette intronisation qui a mis bien trop d’années avant de se concrétiser.
Derrière l’un des clubs les plus puissants à avoir défendu les couleurs du Canada sur la scène internationale, Vachon a maintenu un dossier de 6 victoires (dont 2 par jeu blanc) et un seul revers. Sa moyenne de 1,39 but accordé par match l’a aidé à remporter le titre de joueur par excellence du tournoi.
Le seul revers encaissé par Vachon a donné lieu à l’un des plus grands duels de l’histoire du hockey entre deux gardiens. Le 9 septembre 1976, au Forum de Montréal, Vachon avait excellé devant la cage du Canada, n’accordant qu’un but à la Tchécoslovaquie. Son vis-à-vis Vladimir Dzurilla avait fait mieux encore signant un jeu blanc aux dépens des puissants Canadiens.
Ken Dryden, qui avait chassé Vachon de Montréal quelques années plus tôt, avait indiqué après la rencontre qu’il venait d’assister à la plus grande performance jamais offerte par deux gardiens de but.
Les deux équipes se sont croisées en finale. Une finale deux de trois que le Canada a gagné avec des gains de 6-0 et de 5-4 en prolongation.
« C’est le plus grand fait saillant de ma carrière. Il n’y a rien de tel que de gagner pour son pays. Je me souviens très bien de ce match contre Dzurilla et de la grande finale. J’avais toute une équipe devant moi. Bobby Orr était là. Le « big three » du Canadien était là. On avait de la puissance à l’attaque. C’était formidable. Mais le duel contre Dzurilla avait été sensationnel aussi. C’est pour cette raison qu’on avait eu autant de plaisir à échanger nos chandails à la fin de la finale. Il y avait un grand respect mutuel qui nous unissait. »
Au-delà le duel contre Vladimir Dzurilla, Rogatien Vachon a identifié un verdict nul de 0-0 entre les Kings de Los Angeles et les Islanders de New York (18 novembre 1977 à Long Island) comme étant son match le plus mémorable en carrière. « C’était le duel de deux gardiens connus sous leur seul surnom dans la LNH. Il y avait Rogie d’un bord et Chico (Glen Resch) de l’autre. Les Kings et les Islanders étaient très forts à l’attaque. Je crois qu’on avait fait face à 2000 tirs lors de cette partie. Je crois que je n’ai jamais été aussi dans une zone que ce soir-là. Je me souviens très bien d’un jeu que j’ai vu se dessiner de la zone des Islanders jusqu’à mon but. C’est comme si j’avais vu la reprise en direct. Tout s’était déroulé au ralenti. Ça ne m’était jamais arrivé avant et c’est la seule fois que cela m’est arrivé en 16 ans de carrière. »
Rogatien Vachon sera entouré de ses enfants, de ses petits-enfants – dont un petit-fils qui est très bon devant le filet à Los Angeles – de ses frères et de plusieurs amis. « Il ne manquera que Nicole (Blanchard) qui m’a quitté en février après 45 ans de mariage. C’est mon seul regret en vue de la soirée de lundi. Mais elle sera quand même avec moi. »
Bien que son discours soit déjà prêt, Rogatien Vachon espère n’oublier personne dans des remerciements. Il a toujours voué une grande admiration pour son héros de jeunesse, Jacques Plante, qu’il remerciait silencieusement chaque fois qu’une rondelle frappait son masque.
« On ne lui dira jamais assez merci. C’était fou de jouer sans masque, mais c’est comme ça. Nous étions mal protégés. L’équipement d’aujourd’hui est sensationnel. Mon petit-fils est deux fois mieux protégé que je ne l’ai jamais été avec de l’équipement deux fois plus léger. Nos masques étaient rudimentaires, mais c’était déjà une grande amélioration. On les décorait comme on voulait. J’ai toujours aimé le petit sourire qui avait été coupé à la place de la bouche. Il ne manquait qu’un long cigare, mais ce n’était pas permis... »
À 71 ans, Rogatien Vachon bouclera sa grande carrière qui l’a sorti de son Abitibi natale et qui se terminera finalement au Temple de la renommée. À un amateur qui lui demandait samedi ce qu’il aurait fait si le hockey ne lui avait pas permis de connaître la carrière et la vie qu’il a connues Rogatien Vachon a candidement répondu : « Je serais sans doute encore aujourd’hui accroupi dans une grange pour traire des vaches à la ferme. »