L'improbable miracle d'une équipe de « no names »
OTTAWA – Ce n'était pas tant de la joie que de l'incrédulité. Un à un, les héros de la victoire de la Lettonie contre Équipe Canada junior ont défilé dans les coulisses silencieuses du Centre Canadian Tire tard vendredi soir sans trop comprendre ce qui venait de leur arriver.
« Il faudrait que quelqu'un me pince présentement parce que je ne comprends toujours pas ce que je suis en train de vivre », a réussi à prononcer le capitaine Peteris Bulans.
« Quand on est revenus dans le vestiaire, je ne pouvais toujours pas le croire. Est-ce que ça venait vraiment d'arriver? », tentait toujours de se raisonner Eriks Mateiko.
Environ une heure plus tôt, Mateiko avait marqué l'un des buts les plus importants de l'histoire du hockey letton, terrassant le géant canadien en se dressant comme l'unique marqueur de ce qui semblait être une interminable fusillade.
« Je regardais dans la foule, puis je regardais mes coéquipiers célébrer, tentait de se remémorer le gardien Linards Feldbergs. Les partisans canadiens étaient sous le choc et nous, on sautait partout. Je ne pouvais pas assimiler tout ce qui était en train de se passer et je ne peux toujours pas le faire. »
Voilà ce qui était en train de se passer. La Lettonie, une équipe qui n'avait jusque-là remporté que deux victoires dans toute son histoire au Mondial junior, qui ne compte cette année que deux joueurs repêchés dans la Ligue nationale et quatre joueurs de 16 ans, venait d'humilier sur son propre terrain un programme dont les dirigeants ont maintes fois promis d'avoir appris leurs leçons après une décevante cinquième place il y a un an.
« Comme j'ai dit à mes joueurs avant le match, on est arrivés ici comme une équipe de "no names", rappelait l'entraîneur Artis Abols. Vous connaissiez peut-être un ou deux de nos joueurs avant le tournoi, mais pour le reste, vous n'auriez pas pu dire dans quelle équipe ou même dans quelle ligue ils jouaient. Mais je leur ai dit qu'ils avaient la chance d'être sur la plus grande scène du monde du hockey en ce moment. C'est le meilleur endroit pour se faire remarquer. »
Abols dit avoir commencé à croire qu'un miracle était possible après la première période, que ses joueurs sont parvenus à conclure avec une égalité de 0-0.
« Sur le banc, je voyais que les gars étaient solidaires et qu'ils commençaient à croire en leurs chances. Le Canada est toujours un grand favori, surtout à ce tournoi où l'écart de talent est encore plus prononcé que dans les équipes seniors. Mais on y a cru. On a respecté le plan qu'on avait établi, les gars ont joué les uns pour les autres, ils sont restés disciplinés... et on a gagné. »
Le Canada a pris les devants au deuxième vingt, quand Jett Luchanko a marqué sur une échappée en désavantage numérique. Mais les Lettons n'ont pas baissé les bras. Ils sont revenus de l'arrière deux fois en troisième période.
« Vers la fin, je sentais qu'ils commençaient à paniquer », a révélé Mateiko, auteur de l'un des deux buts des siens en temps réglementaire.
Quand le Canada a pris les devants 2-1 avec un peu plus de cinq minutes à faire, on a eu l'impression que le carrosse des Lettons venait de se transformer pour de bon en citrouille. Mais une pénalité décernée à Ethan Gauthier a redonné l'espoir aux négligés.
« Je me suis dit que c'était le temps de briller », a pensé Bulans, qui a finalement marqué le but égalisateur.
Devant les journalistes, Abols a comparé ce moment à la médaille de bronze remportée par son pays au Championnat du monde de 2023.
« Je ne sais pas si vous avez vu les vidéos, mais savez-vous combien de personnes avaient accueilli l'équipe au centre-ville après ça? 50 000! C'était un moment énorme pour la Lettonie, un tout petit pays. Vous devez probablement consulter une carte pour savoir où c'est situé! »
Il était 5h du matin à Riga quand Peteris Bulans s'est présenté devant les médias. À son tour, il ne pouvait s'empêcher de penser aux répercussions que cet exploit allait avoir à la maison.
« Je pense à tous les jeunes qui visionneront les faits saillants de notre victoire en se réveillant ce matin. C'est le genre de chose que j'aurais rêvé de voir quand j'étais à leur place. Comme je vous disais, il faudrait que quelqu'un me pince! »
Dans l'euphorie du moment, une partie du cerveau d'Abols était déjà consacrée à ce qui attendait son équipe le lendemain. Un match contre une autre puissance, celle des États-Unis.
« Le match de ce soir vaut de l'or et en même temps il ne veut rien dire, relativisait-il. Deux points ne nous offrent aucune garantie présentement, ça nous en prendrait au moins deux autres. »
À ce moment précis, c'est un pragmatisme auquel ses joueurs ne parvenaient pas encore à accéder. On pouvait facilement le leur pardonner.