Le succès « made in Québec » de la Lettonie
OTTAWA – L'été dernier, le directeur général du Phoenix de Sherbrooke a envoyé à son entraîneur des gardiens un liste de « sept ou huit noms » d'athlètes que l'équipe avaient à l'œil en vue du repêchage européen de la Ligue canadienne de hockey.
Olivier Gervais s'est mis au boulot et rapidement, il a identifié ses préférences. Parmi elles se trouvaient un gardien letton du nom de Linards Feldbergs.
Pour s'assurer de bien faire ses devoirs, Gervais a organisé avec son prospect une rencontre par visioconférence. « Ça a cliqué instantanément », racontait Gervais à RDS lundi matin. En choisissant Feldbergs avec le 25e choix du repêchage, le Phoenix venait de trouver son nouveau gardien numéro un.
L'homme masqué de 19 ans connaît une première saison décente en Amérique du Nord. Il a obtenu le départ dans 21 des 33 matchs du Phoenix, il affiche une moyenne de buts alloués de 2,51 et un taux d'efficacité de ,899. Mais lorsqu'il est arrivé en Estrie au mois d'août, jamais Gervais ne se serait douté que, quelques mois plus tard, il regarderait son poulain enchaîner les petits miracles contre Équipe Canada au Championnat du monde de hockey junior.
« Côté technique, c'est sûr que ce n'était pas parfait sur certains aspects », admet Gervais. Mais le potentiel était là.
« Sans aller dans le détail et les recettes secrètes qu'on a appliquées, la première chose que j'ai vue de Lenny en vidéo, c'est que c'est un jeune très athlétique. On l'a vu surtout dans les 40 dernières secondes [de la troisième période contre le Canada]. Il n'était pas parfait, mais il s'est battu, il n'avait qu'une chose en tête, c'était de gagner. C'est ça que j'ai vu de lui la première fois. »
Gervais avait l'occasion de mettre la main sur des billets pour le match entre le Canada et la Lettonie vendredi dernier. Mais avec ses autres obligations qui s'empilent et un bambin de 3 mois à la maison, la raison l'a emporté sur l'émotion et il a regardé la partie du confort de son sofa.
À quelques centaines de kilomètres du Centre Canadian Tire, il a senti son protégé un brin fébrile, logiquement saisi par l'ampleur du moment. Mais quand les deux équipes ont atteint le premier entracte à égalité 0-0, le sixième sens de Gervais lui a envoyé de bonnes vibrations.
« Ses premières périodes, c'est parfois des périodes qui peuvent être un peu plus difficiles. Mais quand il a une bonne première période, je pense qu'il n'a pas encore eu un mauvais match cette année. Alors moi, à ce moment-là, je me suis dit : "Ok, il est correct". »
Feldbergs a finalement reçu 57 tirs ce soir-là. Il en a bloqué 55, puis en a ajouté une couche en rendant une copie parfaite en fusillade. En rejouant ce scénario 1000 fois, les chances seraient presque nulles qu'il se répète. Avec le Phoenix, le jeune cerbère a eu le meilleur sur 13 des 16 adversaires qu'il a affrontés en tirs de barrage. Mais aucun n'avait le talent pur que ceux qu'ÉCJ a envoyés dans l'arène.
En entendant cette théorie, notre intervenant s'objecte poliment.
« C'est vrai, on refait le scénario, est-ce qu'il en arrête encore huit? Lenny, c'est un gars qui, de plus en plus, il comprend la game. Il est capable de lire les joueurs, de comprendre un peu leurs habitudes. Après le premier tireur canadien, j'ai vu qu'il l'a bien suivi jusqu'à la fin, je n'étais même pas inquiet. Je savais qu'il allait bien faire peu importe qu'il en affronte trois, cinq, huit ou quinze. Lenny, il aime la pression! »
« Je ne pensais pas que c'était dans la poche, mais il avait une bonne chance. Rendu là, je voyais la Lettonie remporter ce match-là. »
Le téléphone de Gervais s'est emballé après le triomphe de son élève. Il estime avoir reçu une centaine de messages d'amis, de collègues et de parents de jeunes sportifs qu'il a pris sous son aile. Des anciens gardiens comme Jean-Sébastien Giguère et Jocelyn Thibault lui ont aussi donné une tape dans le dos virtuelle.
En entrevue au lendemain de son improbable exploit, Feldbergs, l'un des quatre représentants de la LJHMQ qui sont au cœur des succès de la Lettonie, a pris la peine d'exprimer sa gratitude envers son mentor. Ce dernier lui a rendu la pareille en lui faisant parvenir ses félicitations et ses encouragements.
« C'est sûr que dans le match contre le Canada, j'ai enlevé mon chapeau d'entraîneur et je suis devenu fan un peu. Je lui ai écrit après pour lui dire de continuer de s'amuser. Ce n'est pas le temps de parler de technique. C'était pour lui dire que le nuage qui est autour de lui, ce n'est pas un coup de chance. C'est quelque chose pour laquelle il travaille depuis longtemps. Là c'est un des résultats de tout ce travail. »
En s'exilant à Sherbrooke, Linards Feldbergs souhaitait se familiariser avec le hockey nord-américain et mettre son nom sur la mappe en vue d'une future carrière professionnelle. Avec un petit détour par Ottawa, on peut dire qu'il a maintenant réussi à attirer l'attention.