Un jeune joueur de hockey, Andrew Zaccardo, devenu tétraplégique suivant une mise en échec violente a eu gain de cause dans un dossier de responsabilité civile sportive. Aux termes d'une décision rendue, le 1er févier dernier par l'honorable juge Daniel W. Payette, Ludovic Gauvreau-Beaupré et sa compagnie d'assurances devront solidairement verser 8$ millions à Andrew et à sa famille.

Ce jugement aura un impact considérable sur le hockey mineur, puisque la somme octroyée aux victimes est certainement l'une des plus importantes jamais accordées au Canada dans un dossier de cette nature. Bien qu'il existe plusieurs décisions dans la cadre d'actions en responsabilité civile sportive, la somme de 8$ millions est toutefois sans précédent.

Faits

Rappelons que cette affaire remonte au 3 octobre 2010 lors d'un match entre les Patriotes de Laval et le Royal de Montréal, deux équipes de classe Midget. Dans les premières minutes du match, le défenseur Ludovic Gauvreau-Beaupré a asséné une mise en échec par-derrière à l'attaquant Andrew Zaccardo, lequel se trouvait alors en possession de la rondelle en zone adverse. Après ce coup, Andrew a git sur glace, ne s'est jamais relevé et est tétraplégique depuis ce jour. Il importe de mentionner que les règles du jeu officielles édictées par Hockey Québec et Hockey Canada interdisent la mise en échec par-derrière.

Subséquemment, Andrew, ses parents et son frère ont intenté une action en responsabilité civile en août 2013 contre Ludovic Gauvreau-Beaupré, Hockey Canada, Hockey Québec et Chartis Insurance Company of Canada[i] pour la somme de 8 280 520.22$. Toutefois, les demandeurs se sont désistés de leur action auprès de Hockey Canada et Hockey Québec peu de temps avant le procès.

Procès

En vertu de l'article 1457 du Code civil du Québec, un athlète peut engager sa responsabilité personnelle lorsque la preuve démontre la présence de trois éléments constitutifs: la faute, le dommage et le lien causal. Ainsi, Andrew était tenu de prouver la faute commise par Ludovic à son endroit, le préjudice subi et le lien causal entre cette faute et ce préjudice, le tout suivant les règles de la prépondérance de la preuve. Depuis cet accident, Andrew est tétraplégique, il ne peut plus marcher, doit se déplacer en fauteuil roulant et a un usage limité de ses mains. Incontestablement, les préjudices subis par Andrew sont bien réels, mais encore fallait-il démontrer l’existence d’une faute et d’un lien de causalité pour établir la responsabilité de Ludovic. En effet, il importait de prouver que Ludovic avait adopté comportement non conforme aux règles de conduite généralement acceptées.

En devenant membre de Hockey Québec ou Hockey Canada, l'athlète accepte de se conformer aux règles du jeu et aux règlements. Il appert que Hockey Canada produit des vidéos éducatives relativement à l'application de ses règlements. Lors de son témoignage, Ludovic a indiqué qu'il était conscient de l'interdiction de la mise en échec par derrière sur la patinoire et qu'il avait visionné les susdites vidéos. De plus, il avait déjà été sanctionné deux ans auparavant pour un geste similaire. Dans la mesure où le règlement interdisant la mise en échec en derrière existe et où Ludovic avait connaissance de son existence, son comportement devient simplement téméraire.

En défense, Ludovic a allégué que le jeu s'était passé à toute vitesse et qu'il n'avait vu Andrew qu'à la dernière minute. Pour Ludovic, son geste était accidentel. Puisque toute son attention était sur la rondelle, il n'avait pas pu prévenir l'accident, ayant réalisé trop tard qu'Andrew se trouvait sur son chemin. Lors de l'audience, Ludovic a précisé qu'il n'avait pu s'arrêter avant d'entrer en collision avec Andrew.

À ce titre, l'honorable juge Payette, qui a visionné la scène lors du procès, a déclaré que cette version n'était « ni crédible ni fiable ». Ce dernier rappelle que la responsabilité civile ne s'arrête pas là où la glace commence. Le jugement mentionne également que «le geste n'a rien d'accidentel» et qu'il s'agit d'un «geste délibéré bien qu'il ne soit pas prémédité». L'honorable juge Payette ajoute que Ludovic était bien conscient que le geste posé était strictement interdit par la ligue et qu'il devait savoir qu'un tel assaut pouvait causer de graves blessures. La preuve a révélé que Ludovic n'avait pas freiné, n'avait pas tenté de changer de direction ou de minimiser son contact avec Andrew et qu'il avait utilisé son avant-bras pour le projeter contre la bande, ayant même accentué son assaut en sautant. De telle sorte que le comportement de Ludovic constituait une faute, n'ayant pas agi tel un joueur prudent et diligent en de pareilles circonstances.

Acceptation des risques

Dans le contexte sportif, une faute n'est pas systématique, puisque la participation à une activité comporte l'acceptation de certains risques. L'athlète qui s'adonne à un sport de rudesse comme le hockey doit donc accepter le risque d'être accidentellement blessé. C'est d'ailleurs ce que Ludovic a invoqué lors de l'audience.

En effet, Ludovic a soutenu que la mise en échec constituait un risque inhérent à la pratique du hockey et que Andrew avait accepté ce risque en participant volontairement au match.

Or, certains gestes peuvent difficilement constituer un risque implicitement accepté par un athlète. Dans la mesure où un dommage est causé par un geste qui n'est ni prévisible ni habituel à la pratique d'un sport, nous ne pouvons pas présumer que la victime a consenti à les subir en décidant d'y participer. De là, l'importance de distinguer ce qui est accidentel de ce qui ne l'est pas.

Ainsi, un joueur ne consentira pas à toute forme de violence injustifiée et imprévisible lors d'un match de hockey. Pour évaluer si l'acte reproché est abusif et anormal, l'honorable juge Payette a dû comparer la conduite de Ludovic à celle d'un joueur raisonnable en de pareilles circonstances. Quoi qu'il en soit, le geste de Ludovic n'a pas à être intentionnel pour engager sa responsabilité, mais il est essentiel qu'il présente une certaine démesure et anormalité. La trame factuelle est donc très importante pour apprécier le caractère fautif d'un geste puisqu'il y a des actes, qui, posés dans des circonstances autres, seraient inadmissibles, alors que sur un terrain de jeu, ils sont normaux. L'athlète accepte donc le risque qui est raisonnablement prévisible et dont les chances de réalisation sont importantes. Ainsi, la conduite du fautif doit être objectivement blâmable pour que le risque soit considéré anormal et pour que l'application de l'acceptation des risques soit exclue. En l'espèce, l'honorable juge Payette a conclu que la conduite de Ludovic transgressait considérablement les normes générales du « fair-play » et n'a pu accueillir la défense de l'acceptation des risques par Andrew.

« Andrew n'est pas la victime d'un accident ni d'un risque inhérent de la pratique du hockey. La mise en échec par-derrière est catégoriquement défendue par les règles qui régissent la pratique. Elle n'en fait pas partie de façon légitime et sa prohibition constitue une règle de prudence que les joueurs doivent observer. (...) Ludovic commet ainsi une faute civile dont Andrew n'a jamais accepté la survenance et devient responsable des dommages qui en résultent»

Jugement important

La place du sport au sein du droit de la responsabilité civile fait l’objet d’une appréciation très restrictive par les tribunaux. Les violations aux règles du jeu doivent normalement être interprétées par des arbitres. Toutefois, il y a des exceptions où le comportement de l'auteur de la faute est si grave qu'il doit mériter une sanction en terrain judiciaire tel a été le cas de Ludovic. L'honorable juge Payette indique clairement dans sa décision qu'une «patinoire de hockey n'est pas une zone de non-droit» et conséquemment, le sport n'est pas à l'abri de poursuites judiciaires. C'est pourquoi la décision de l'honorable juge Payette est importante, car elle rappelle que la mise en échec comporte un danger qui peut constituer une faute civile et non strictement une faute sportive. Au surplus, ce jugement fait une mise au point sur la présence de la violence dans les sports et sur les conséquences tragiques qui peuvent en découler.

Notons cependant que Ludovic et la compagnie d'assurance peuvent aller en appel30 jourssuivant la réception de la décision.

[1]Chartis Insurance Company assure Hockey Canada, Hockey Québec, les associations, ligues, participants et équipes en faisant partie