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RÉSULTATS

Jeffrey Whaley : du Cirque du Soleil aux JO

Jeffrey Whaley Jeffrey Whaley - Matthieu Metivet/SWpix.com
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SECTION SPÉCIALE | HORAIRE DE DIFFUSION

MONTRÉAL – À première vue, la suggestion de Geneviève Tardif lui avait paru ambitieuse. 

Lui, Jeffrey Whaley, aux Jeux olympiques de Paris dans trois ans?

C'était en 2021, alors qu'il agissait à titre d'analyste aux côtés de la descriptrice de la toute première compétition olympique de BMX style libre de l'histoire, pour le compte de Radio-Canada aux JO de Tokyo.

Le casse-cou de l'Assomption venait à l'époque de conclure une tournée nord-américaine de cinq ans et quelque 1300 représentations avec le Cirque du Soleil, offrant le numéro de fermeture du spectacle « Volta », qui s'apprêtait à voyager outre-mer avant que la pandémie ne bouscule ses plans et ceux de la planète entière.

« Ç'a allumé la flamme en moi », racontait en début de semaine celui qui avait mis sa carrière compétitive en veilleuse pour saisir l'opportunité d'une vie avec le joyau québécois.

« En regardant et analysant [la compétition olympique] ça me démangeait. Je réalisais que, moi aussi, j'aimerais ça vivre cette expérience-là. »

D'autant plus qu'aucun Canadien ne s'était encore qualifié pour cette nouvelle discipline olympique. Whaley s'est donc lancé, motivé à l'idée d'écrire l'histoire et, pourquoi pas, raviver un sport en dormance à l'échelle nationale.

« Quand j'ai recommencé à faire des compétitions, il n'y avait même plus de programme de BMX Freestyle au Canada. Il n'y avait plus d'équipe et plus de coach parce qu'il n'y avait personne assez de niveau pour compétitionner sur le circuit des Coupes du Monde. C'est à ce moment que j'ai recontacté Cyclisme Canada. »

Il a vite été refroidi.

« Au départ, je n'ai pas eu une très belle réponse. C'était essentiellement : "Vas-y, si jamais ça fonctionne, on va embarquer". »

Trois ans et un éprouvant processus de qualification plus tard, il ne leur a pas laissé le choix. Le 30 juillet prochain, l'athlète de 28 ans sera le seul représentant du pays – et le premier de l'histoire – à s'élancer depuis les rampes du parc aménagé sur la Place de la Concorde à Paris.

Une rare place parmi les 12 coureurs en liste qu'il n'aurait pu gagner n'eut été sa détermination, et surtout, quantité de sacrifices.

À ses frais

L'aide financière de Cyclisme Canada étant essentiellement inexistante jusqu'à tout récemment pour les riders canadiens, Whaley a d'abord dû se débrouiller avec les moyens du bord pour parcourir la planète et participer aux compétitions qualificatives pour les JO.

« Ça a été un gros processus de qualification de près de trois ans durant lequel 95 % du temps, je faisais tout par moi-même avec mon coéquipier Maxime Chalifour, qui est deuxième au pays en ce moment. On a voyagé les deux ensembles partout à travers le monde à nos frais pour essayer de se qualifier. »

Pour financer leur quête, Whaley et Chalifour ont utilisé les recettes amassées au fil de leurs représentations pour BMX spectacle, une compagnie que les deux Québécois ont fondée avec le Français Kevin Fabregue après leur aventure au sein du Cirque du Soleil.

« C'est avec tous ces contrats-là où les gens nous ont engagés pour venir faire des démos qu'on a pu payer pour tous nos voyages. »

Jeffrey Whaley

Sur le circuit de la Coupe du monde, Whaley a alors vite constaté tout l'impact de l'avènement des Olympiques dans le milieu du BMX freestyle.

« Depuis les Jeux de Tokyo, le niveau avait explosé. Tout le monde a compris l'importance que c'était d'aller aux Jeux olympiques », note l'athlète qui a pris part à des compétitions entre l'âge de 16 et 20 ans avant de partir en tournée.

Désormais, la marge de manœuvre avait pour ainsi dire disparue. Terminée l'époque où on avait le temps de réparer son vélo entre deux séances de qualifications. Maintenant, les as du guidon ne se déplacent plus sans une monture en réserve. L'enjeu est trop important.

« Tu ne peux pas manquer une qualification, tu ne peux pas manquer une semi-finale. Tout compte, du début à la fin. 

« C'était un challenge mental et émotionnel, parce que j'arrivais d'une grosse tournée où je vivais des moments incroyables à chaque soirée. Il y avait 3000 personnes qui criaient chaque soir parce que ce qu'on faisait, c'était cool. Et là, je tombe en compétition, où je suis tout seul, et il n'y a personne qui dit rien parce que je suis tombé, que je finis 55e, et que je m'en vais à la maison la tête un petit peu entre les jambes, déçu de moi-même. »

Whaley a néanmoins rapidement apprivoisé sa nouvelle réalité. Après avoir terminé 51e aux Championnats du monde de 2022 à Abou Dhabi, il a conclu ceux de 2023 à Glasgow en Écosse au 12e rang. Un résultat qui, il était très loin de s'en douter à l'époque, allait lui offrir sa place aux Jeux olympiques de Paris.

Vous expliquer en détails le procédé qui a mené à sa qualification s'apparenterait à un exposé sur la physique quantique, alors permettez-nous de vous épargner ça. 

« Même nous les athlètes, la moitié du temps, on ne comprenait pas ce qui se passait », confirme Whaley.

Résumons donc cela ainsi : plusieurs pays s'étant déjà qualifiés pour la compétition, le Canada n'a hérité que tout récemment et de façon tout aussi inattendue de l'un des deux derniers billets disponibles. Tout ça grâce à Whaley et sa 12e position aux Mondiaux d'août 2023.

La place, donc, lui revenait de plein droit. À condition de pouvoir en assumer la responsabilité. Ce qui était loin d'être sûr quand son téléphone a sonné à la fin juin. Car ce n'était pas avec un bras reposant encore dans une attelle qu'il allait se permettre d'accepter l'offre de Cyclisme Canada.

« Je me voyais déjà la refuser. »

Le miracle, avant l'Everest

Whaley en était alors à la deuxième semaine d'un programme de rééducation devant s'échelonner sur un mois et demi après une opération subie le 11 juin pour soigner des déchirures au labrum et à la coiffe du rotateur de son épaule droite survenues à l'entraînement.

« J'avais vraiment de la misère à l'accepter. Alors je leur ai demandé une couple de jours pour voir si de mon côté, il n'y avait pas un miracle qui pouvait se produire. »

Un appel à son chirurgien plus tard, Whaley apprenait de la bouche de celui-ci que la rééducation prescrite à sa sortie de la salle d'opération se voulait volontairement conservatrice puisqu'il ne prévoyait pas reprendre la compétition avant décembre. Avec l'aide d'un bon physiothérapeute, rien ne l'empêcherait de guérir à temps pour vivre son rêve olympique.

« Je l'ai appelé avec l'anticipation d'avoir un non. Je voulais juste une confirmation que ce n'était pas possible. Finalement, j'ai eu droit au miracle que je pensais irréalisable. »

Whaley est ainsi remonté sur la scelle de son BMX sarcelle il y a deux semaines à peine. Et ce n'est que samedi, deux jours seulement avant son envolée vers Paris et après avoir prouvé à l'équipe nationale qu'il en avait les capabilités physiques, qu'il a reçu la confirmation qu'il était un Olympien. 

« Je vais t'avouer qu'au début, je voyais le mont Everest devant moi afin de vraiment bien me préparer, mais il n'y a pas eu une journée où je ne croyais pas que j'allais en être capable. »

« Déjà là, juste d'être rendu, c'est vraiment un exploit pour moi. On va voir ce que ça donne rendu là-bas, mais c'est sûr que je vais donner mon 200 % pour faire la meilleure run possible. Tout ce que j'ai pu faire pour maximiser ma préparation ces dernières semaines, je l'ai fait. Je n'aurais pas pu faire 1 % de plus. »

Whaley a même trouvé le temps de se trouver un remplaçant pour assumer le mandat d'analyste qu'il devait à nouveau occuper pour Radio-Canada. Et, il a appelé Geneviève. Bien sûr.

« On s'est reparlé il y a trois semaines, elle était super contente pour moi. »