Une chance pour un quart canadien?
Universitaires mardi, 16 mars 2010. 12:17 jeudi, 12 déc. 2024. 09:27
Ceux qui suivent de près le football québécois connaissent bien Benoît Groulx. Au cours des cinq dernières années, le numéro 8 du Rouge et Or de l'Université Laval aura constitué une des belles antithèses du sport amateur québécois. Du haut de ses cinq pieds et neuf pouces, Cool Ben a été à la fois l'un des plus grands et l'un des plus petits passeurs de l'histoire du football universitaire canadien. Mais l'an prochain, pendant que plusieurs de ses anciens coéquipiers fouleront les terrains de la Ligue canadienne de football (LCF), le père de famille de 25 ans entamera quant à lui une nouvelle carrière en tant qu'entraîneur.
Il aurait bien sûr aimé avoir l'occasion de lancer des ballons chez les pros. Malheureusement pour lui, Groulx joue tout simplement le mauvais rôle. Dans la LCF l'an dernier, on trouvait des joueurs canadiens à toutes les positions. Sauf une : celle de quart-arrière.
«C'est dommage, affirme Groulx. Mais tout commence par la règle.»
La règle, c'est celle qui oblige chacune de ses huit équipes à habiller 42 joueurs par match. Du nombre, il doit y avoir «un minimum de 20 joueurs non importés, jusqu'à 19 joueurs importés, et trois joueurs désignés comme quarts-arrières».
Plus concrètement, une équipe comme les Alouettes de Montréal est donc constituée de 20 Canadiens, de 19 non-Canadiens, et de trois passeurs, peu importe leur provenance.
«Les quarts sont comptés à part, ils n'entrent pas dans le ratio, poursuit celui qui sera coordonnateur offensif des Gaiters de Bishop's . Et ça, c'est un problème.» Si les Alouettes avaient décidé de donner une chance à Benoît Groulx, en juin 2010, il n'aurait pas compté comme l'un de leurs 20 joueurs canadiens.
Pourquoi faire une telle distinction entre les pivots et leurs coéquipiers des autres positions?
«L'élément le plus difficile à trouver pour une équipe de football est un excellent quart-arrière, explique le directeur des communications de la LCF, Olivier Poulin. Pour donner à nos huit équipes le plus de flexibilité afin qu'ils puissent développer leur prochain grand quart, il a été décidé de tous les considérer de manière égale, peu importe leur nationalité. »
L'argument tient la route. Mais la situation demeure la même. Malgré un slogan qui dit «Notre ligue, notre football», la LCF ne comptait en 2009 aucun joueur canadien à la position la plus importante.
«Ça va en prendre juste un qui va être capable de prouver qu'un quart-arrière canadien peut avoir du succès dans cette ligue-là, rajoute Benoît Groulx. Ce serait la meilleure chose qui pourrait arriver au football canadien.»
Avoir une chance
Parmi ceux qui pourraient faire changer les choses, il y a Danny Brannagan. À l'instar de Groulx, il vient de terminer l'une des carrières les plus prolifiques du sport universitaire canadien. En novembre dernier, le quart a couronné son cursus à l'Université Queen's par une victoire de 33-31 lors de la Coupe Vanier - grande finale du football universitaire canadien. Surtout, il vient de signer un contrat avec Argonauts de Toronto.
Celui qui arrive au deuxième rang de l'histoire pour le nombre de verges aériennes amassées en carrière est l'un des trois quarts-arrières qui ont été invités à lancer des ballons lors du camp annuel d'évaluation de la ligue. Un camp qui est tenu en vue du repêchage des joueurs canadiens. Tout comme Brannagan, Erik Glavic et Justin Dunk (les deux autres passeurs invités) ne seront pas sélectionnés lors de l'encan qui sera tenu le 2 mai prochain. Ils ont tous les trois été ignorés lors de leur année d'admissibilité. Mais Brannagan a assez impressionné durant le camp pour se faire proposer un contrat jusqu'en 2012. Un contrat auquel lui-même ne croyait pas vraiment.
«En arrivant à Queen's, je pensais qu'il ne restait que cinq ans de football à ma carrière. C'est sûr que c'était un peu frustrant de savoir que peu importe le succès obtenu au niveau universitaire, un quart-arrière canadien n'a pratiquement aucune chance dans la LCF à moins de changer de position.»
L'exemple le plus frappant est celui de Mathieu Bertrand, l'ancien passeur vedette du Rouge et Or qui était trop fort pour le niveau universitaire, mais qui a été muté au poste de centre-arrière chez les Eskimos d'Edmonton. Mais Brannagan a désormais la chance de faire changer les choses.
Au sujet de la règle qui exclue les quarts du nombre de joueurs «non importés », le natif de Burlington croit sincèrement que le futur doit passer par une modification du règlement. Le problème, c'est la manière de l'appliquer.
«Ça va être difficile en une seule année de forcer chaque équipe de la LCF à avoir un quart-arrière canadien. En une seule année, il n'y aura jamais assez de quarts de qualité qui graduent pour remplir la demande. Ce qu'il faudrait, c'est que la règle soit changée pour qu'une équipe obtienne des incitatifs si elle décide de donner une chance à un Canadien de se développer.»
L'importance d'une poignée de main
En marge du camp officiel de la ligue, qui se tenait du 12 au 14 mars à Toronto, il y avait un autre camp : celui de Duane Ford. L'analyste du réseau TSN et ancien centre-arrière vedette organisait quant à lui une journée d'essais juste avant l'ouverture du vrai camp pour permettre à d'autres joueurs de se montrer devant l'œil attentif des dépisteurs, qui sont déjà massés dans la Ville Reine.
Plusieurs joueurs québécois se sont rendus sur place dans le but de faire tourner des têtes, de rencontrer les entraîneurs en personne, de laisser une bonne impression.
C'est le cas de Jean-Philippe Shoiry, vétéran quart-arrière du Vert & Or de l'Université de Sherbrooke. «Je vais là pour avoir la chance de me faire voir, de me faire connaître, affirmait-il juste avant de partir vers Toronto. On reçoit des lettres de coachs de la LCF, mais là c'est l'occasion de les rencontrer pour vrai. Je m'en vais présenter qui je suis, comme joueur mais aussi comme homme. Je m'en vais serrer des mains, rencontrer des personnes.»
S'il est réaliste quant à ses chances de se faire repêcher, le gaillard de six pieds cinq pouces espère simplement recevoir une invitation pour un camp d'entraînement.
«L'idéal, ce serait d'aller montrer ce que je peux faire lors d'un camp. Ça permettrait aux entraîneurs de me connaître, et moi je pourrais cibler ce qu'il faut que j'améliore, pour pouvoir compétitionner au prochain niveau. Ensuite il me resterait une cinquième saison universitaire pour travailler là-dessus.»
Retour à la réalité
Au cours des deux dernières années, plusieurs des meilleurs quarts de l'histoire du football universitaire canadien ont terminé leur carrière. Groulx, Brannagan, Michael Faluds et autres Matt Connell ont complètement réécrit le livre des records de la ligue, démontrant de manière assez indéniable que le jeu aérien se développe à une vitesse hallucinante, au Canada.
Mais si les passeurs sont meilleurs que jamais, comment se fait-il que depuis que Tommy Denison en 2006, aucun pivot canadien n'ait été habillé pour un match de saison régulière? Surtout que contrairement à leurs homologues américains, les quarts-arrières qui graduent des universités canadiennes n'ont pas à s'habituer à de nouvelles règles, à un nouveau terrain et à des couvertures défensives complètement différentes.
La réponse la plus sensée est venue de la part d'un vieux routier qui est drôlement bien placé pour donner son avis. Dan McKinnon travaille pour les Eskimos d'Edmonton comme responsable du recrutement. L'ancien entraîneur des receveurs est notamment responsable de dénicher le talent canadien en vue du repêchage, chaque année.
«Quand je recrute un joueur, ce n'est pas pour qu'il reste remplaçant toute sa vie, expliquait-il sur les lignes de côté d'un terrain, en plein travail de recrutement. Chaque fois que je fais signer un athlète, c'est en me disant qu'il pourrait être partant et m'aider à gagner des matchs. J'ai vu beaucoup de quarts canadiens qui avaient de belles aptitudes. Mais pas au point d'être numéro un, pas au point de me forcer à déloger quelqu'un en place.»
«À la base, une équipe de football c'est une entreprise. Je dois aligner les meilleurs joueurs possible et gagner des matchs. Sinon je vais finir par perdre ma job. »
On veut bien. Mais pour plusieurs, il est plus que temps que les choses changent. C'est notamment le cas de l'entraîneur-chef du Vert & Or de l'Université de Sherbrooke André Bolduc. «C'est clair que les meilleurs quarts canadiens pourraient être développés et devenir des bons joueurs dans la LCF, note l'ancien receveur des Alouettes de Montréal. La qualité du coaching s'est tellement améliorée au cours des dernières années que les passeurs qui graduent aujourd'hui sont de niveau pour compétitionner avec les Américains. »
«Honnêtement, on en est rendu là!»
Sur le CFL.ca, on peut lire en grosses lettres «This is our league.» Si le circuit Cohon veut continuer à jouer la carte patriotique pour se rapprocher de ses fans, il n'aura d'autres choix que de faire une place aux meilleurs passeurs canadiens. Espérons maintenant que le contrat offert à Danny Brannagan créera un précédent.
Ce serait la meilleure chose qui pourrait arriver au football canadien.
Il aurait bien sûr aimé avoir l'occasion de lancer des ballons chez les pros. Malheureusement pour lui, Groulx joue tout simplement le mauvais rôle. Dans la LCF l'an dernier, on trouvait des joueurs canadiens à toutes les positions. Sauf une : celle de quart-arrière.
«C'est dommage, affirme Groulx. Mais tout commence par la règle.»
La règle, c'est celle qui oblige chacune de ses huit équipes à habiller 42 joueurs par match. Du nombre, il doit y avoir «un minimum de 20 joueurs non importés, jusqu'à 19 joueurs importés, et trois joueurs désignés comme quarts-arrières».
Plus concrètement, une équipe comme les Alouettes de Montréal est donc constituée de 20 Canadiens, de 19 non-Canadiens, et de trois passeurs, peu importe leur provenance.
«Les quarts sont comptés à part, ils n'entrent pas dans le ratio, poursuit celui qui sera coordonnateur offensif des Gaiters de Bishop's . Et ça, c'est un problème.» Si les Alouettes avaient décidé de donner une chance à Benoît Groulx, en juin 2010, il n'aurait pas compté comme l'un de leurs 20 joueurs canadiens.
Pourquoi faire une telle distinction entre les pivots et leurs coéquipiers des autres positions?
«L'élément le plus difficile à trouver pour une équipe de football est un excellent quart-arrière, explique le directeur des communications de la LCF, Olivier Poulin. Pour donner à nos huit équipes le plus de flexibilité afin qu'ils puissent développer leur prochain grand quart, il a été décidé de tous les considérer de manière égale, peu importe leur nationalité. »
L'argument tient la route. Mais la situation demeure la même. Malgré un slogan qui dit «Notre ligue, notre football», la LCF ne comptait en 2009 aucun joueur canadien à la position la plus importante.
«Ça va en prendre juste un qui va être capable de prouver qu'un quart-arrière canadien peut avoir du succès dans cette ligue-là, rajoute Benoît Groulx. Ce serait la meilleure chose qui pourrait arriver au football canadien.»
Avoir une chance
Parmi ceux qui pourraient faire changer les choses, il y a Danny Brannagan. À l'instar de Groulx, il vient de terminer l'une des carrières les plus prolifiques du sport universitaire canadien. En novembre dernier, le quart a couronné son cursus à l'Université Queen's par une victoire de 33-31 lors de la Coupe Vanier - grande finale du football universitaire canadien. Surtout, il vient de signer un contrat avec Argonauts de Toronto.
Celui qui arrive au deuxième rang de l'histoire pour le nombre de verges aériennes amassées en carrière est l'un des trois quarts-arrières qui ont été invités à lancer des ballons lors du camp annuel d'évaluation de la ligue. Un camp qui est tenu en vue du repêchage des joueurs canadiens. Tout comme Brannagan, Erik Glavic et Justin Dunk (les deux autres passeurs invités) ne seront pas sélectionnés lors de l'encan qui sera tenu le 2 mai prochain. Ils ont tous les trois été ignorés lors de leur année d'admissibilité. Mais Brannagan a assez impressionné durant le camp pour se faire proposer un contrat jusqu'en 2012. Un contrat auquel lui-même ne croyait pas vraiment.
«En arrivant à Queen's, je pensais qu'il ne restait que cinq ans de football à ma carrière. C'est sûr que c'était un peu frustrant de savoir que peu importe le succès obtenu au niveau universitaire, un quart-arrière canadien n'a pratiquement aucune chance dans la LCF à moins de changer de position.»
L'exemple le plus frappant est celui de Mathieu Bertrand, l'ancien passeur vedette du Rouge et Or qui était trop fort pour le niveau universitaire, mais qui a été muté au poste de centre-arrière chez les Eskimos d'Edmonton. Mais Brannagan a désormais la chance de faire changer les choses.
Au sujet de la règle qui exclue les quarts du nombre de joueurs «non importés », le natif de Burlington croit sincèrement que le futur doit passer par une modification du règlement. Le problème, c'est la manière de l'appliquer.
«Ça va être difficile en une seule année de forcer chaque équipe de la LCF à avoir un quart-arrière canadien. En une seule année, il n'y aura jamais assez de quarts de qualité qui graduent pour remplir la demande. Ce qu'il faudrait, c'est que la règle soit changée pour qu'une équipe obtienne des incitatifs si elle décide de donner une chance à un Canadien de se développer.»
L'importance d'une poignée de main
En marge du camp officiel de la ligue, qui se tenait du 12 au 14 mars à Toronto, il y avait un autre camp : celui de Duane Ford. L'analyste du réseau TSN et ancien centre-arrière vedette organisait quant à lui une journée d'essais juste avant l'ouverture du vrai camp pour permettre à d'autres joueurs de se montrer devant l'œil attentif des dépisteurs, qui sont déjà massés dans la Ville Reine.
Plusieurs joueurs québécois se sont rendus sur place dans le but de faire tourner des têtes, de rencontrer les entraîneurs en personne, de laisser une bonne impression.
C'est le cas de Jean-Philippe Shoiry, vétéran quart-arrière du Vert & Or de l'Université de Sherbrooke. «Je vais là pour avoir la chance de me faire voir, de me faire connaître, affirmait-il juste avant de partir vers Toronto. On reçoit des lettres de coachs de la LCF, mais là c'est l'occasion de les rencontrer pour vrai. Je m'en vais présenter qui je suis, comme joueur mais aussi comme homme. Je m'en vais serrer des mains, rencontrer des personnes.»
S'il est réaliste quant à ses chances de se faire repêcher, le gaillard de six pieds cinq pouces espère simplement recevoir une invitation pour un camp d'entraînement.
«L'idéal, ce serait d'aller montrer ce que je peux faire lors d'un camp. Ça permettrait aux entraîneurs de me connaître, et moi je pourrais cibler ce qu'il faut que j'améliore, pour pouvoir compétitionner au prochain niveau. Ensuite il me resterait une cinquième saison universitaire pour travailler là-dessus.»
Retour à la réalité
Au cours des deux dernières années, plusieurs des meilleurs quarts de l'histoire du football universitaire canadien ont terminé leur carrière. Groulx, Brannagan, Michael Faluds et autres Matt Connell ont complètement réécrit le livre des records de la ligue, démontrant de manière assez indéniable que le jeu aérien se développe à une vitesse hallucinante, au Canada.
Mais si les passeurs sont meilleurs que jamais, comment se fait-il que depuis que Tommy Denison en 2006, aucun pivot canadien n'ait été habillé pour un match de saison régulière? Surtout que contrairement à leurs homologues américains, les quarts-arrières qui graduent des universités canadiennes n'ont pas à s'habituer à de nouvelles règles, à un nouveau terrain et à des couvertures défensives complètement différentes.
La réponse la plus sensée est venue de la part d'un vieux routier qui est drôlement bien placé pour donner son avis. Dan McKinnon travaille pour les Eskimos d'Edmonton comme responsable du recrutement. L'ancien entraîneur des receveurs est notamment responsable de dénicher le talent canadien en vue du repêchage, chaque année.
«Quand je recrute un joueur, ce n'est pas pour qu'il reste remplaçant toute sa vie, expliquait-il sur les lignes de côté d'un terrain, en plein travail de recrutement. Chaque fois que je fais signer un athlète, c'est en me disant qu'il pourrait être partant et m'aider à gagner des matchs. J'ai vu beaucoup de quarts canadiens qui avaient de belles aptitudes. Mais pas au point d'être numéro un, pas au point de me forcer à déloger quelqu'un en place.»
«À la base, une équipe de football c'est une entreprise. Je dois aligner les meilleurs joueurs possible et gagner des matchs. Sinon je vais finir par perdre ma job. »
On veut bien. Mais pour plusieurs, il est plus que temps que les choses changent. C'est notamment le cas de l'entraîneur-chef du Vert & Or de l'Université de Sherbrooke André Bolduc. «C'est clair que les meilleurs quarts canadiens pourraient être développés et devenir des bons joueurs dans la LCF, note l'ancien receveur des Alouettes de Montréal. La qualité du coaching s'est tellement améliorée au cours des dernières années que les passeurs qui graduent aujourd'hui sont de niveau pour compétitionner avec les Américains. »
«Honnêtement, on en est rendu là!»
Sur le CFL.ca, on peut lire en grosses lettres «This is our league.» Si le circuit Cohon veut continuer à jouer la carte patriotique pour se rapprocher de ses fans, il n'aura d'autres choix que de faire une place aux meilleurs passeurs canadiens. Espérons maintenant que le contrat offert à Danny Brannagan créera un précédent.
Ce serait la meilleure chose qui pourrait arriver au football canadien.