Fraîchement rentré d’un voyage qui l’a mené en Asie et en Europe, Mikaël Kingsbury passera 14 jours chez lui. Seul, avec sa copine. Question de respecter la quarantaine recommandée par le gouvernement Legault.

 

Quand on lui a parlé mercredi, il en était au Jour IV.

 

« Je me fais de la bonne bouffe et je fais des petits entraînements, rien de fou », lance Mikael Kingsbury, au bout du fil, lorsqu’on lui demande ce qu’il fait de ses journées. Son frigo n’a jamais été aussi plein, dit-il. Ses parents lui ont déposé des sacs d’épicerie devant sa porte, question de bien respecter le protocole recommandé.

 

Kingsbury est rentré samedi, avec toute l’équipe canadienne, d’un voyage de quatre semaines qui les a menés au Japon, au Kazakhstan, en Russie et finalement en Suède, avec des escales en Corée du Sud et en Norvège. Il n’a pas hésité une seconde et s’est plié aux recommandations. « Mes besoins personnels peuvent passer en deuxième », dit-il.

 

Pour lui, la question de santé publique prévaut sur tout en ce moment. « C’est platte mais ce n’est pas en étant 2-3 personnes à respecter les règles, surtout les gens qui ont voyagé comme moi, qu’on va passer à travers. On s’enferme pour 14 jours. »

 

L’occasion est belle, après une saison exigeante (7 victoires en 10 épreuves et deux autres globes), de se reposer. « J’en profite pour reposer mon corps », admet Kingsbury. « J’étais quand même assez fatigué après la saison. »

 

La saison a été fatigante, particulièrement le dernier mois.

 

Un mois de voyage en Asie et en Europe

 

Kingsbury et l’équipe canadienne sont partis vers le Japon à la mi-février. À ce moment, on ne parle pas encore de pandémie ni même de crise à l’échelle planétaire. Mais le coronavirus frappe en Asie. La Fédération internationale de ski assure que les épreuves vont avoir lieu et qu’il n’y a aucun risque mais l’équipe canadienne prend des précautions.

 

« On est arrivé en même temps que l’histoire du bateau de croisière au Japon », raconte Kingsbury. « On s’était préparé plein de trucs pour se laver les mains mais on n’avait pas vraiment d’information sur le virus. »

 

Dans les premières heures au Japon, déjà inquiète quant à la situation, l’équipe apprend une tragique nouvelle.

 

« Lors de la première nuit, on s’est fait réveiller par la nouvelle du décès de Brayden (Kuroda) », raconte Kingsbury qui avait discuté avec son jeune coéquipier dans les jours précédents. « Ça été des montagnes russes d’émotions et d’apprentissage à chaque jour avec cette nouvelle et le virus. »

Une épreuve qui a rapproché davantage les membres de l’équipe. Et le voyage ne faisait que commencer.

 

Après la compétition au Japon, les bosseurs doivent s’envoler pour le Kazakhstan. L’incertitude règne concernant cette Coupe du monde, les Kazakhs parlent de fermer leurs frontières. Finalement, la FIS parvient à avoir une dérogation de dernière minute pour faire entrer les skieurs. « Quand on a voyagé vers le Kazakhstan, avec une escale en Corée du Sud, c’était assez intense. Les mesures étaient prises pour protéger les pays. À chaque avion qu’on prenait, il y avait 4 ou 5 personnes qui montaient dans l’avion, vêtues de combinaisons blanches, de gants et de masques, et ils prenaient la température de tout le monde. » Heureusement, tout le monde a passé le test.

 

Ensuite, direction la Russie, plus précisément en Sibérie, quelque part à 4000 km à l’est de Moscou. « En Russie, à chaque jour d’entraînement et de compétitions, le matin, tu devais aller voir le médecin, dans l’hôtel. Il cochait ton nom et tu pouvais prendre l’autobus pour aller au site de compétition. C’est là qu’on a réalisé l’ampleur que ça prenait. Et toutes les nouvelles concernant le Québec ont commencé à circuler sur les réseaux sociaux. » L’inquiétude monte d’un cran.

 

Dernière destination, la Suède. Et l’angoisse augmente rapidement.

 

« Ce qui nous a stressé, c’est qu’au matin du premier entraînement, les États-Unis, le Japon et la Grande-Bretagne ont rapatrié leurs athlètes. Ces pays n’ont même pas fait la première journée d’entraînement. Ils sont arrivés en Suède et ils sont repartis. » Et les rumeurs circulent concernant les frontières du Canada qui pourraient fermées. « On ne voulait pas être pris en Europe pendant quelques jours. On se disait que les avions allaient être pleins, tout le monde veut rentrer. »

 

L’équipe canadienne, menée par les entraîneurs et le staff demeuré au pays, s’assure de ramener tout le monde rapidement. Le jeudi, l’épreuve est officiellement annulée. Le vendredi matin, Mikael reçoit ses Globes, une heure plus tard l’équipe est dans un autobus direction Oslo, d’où elle s’envole, tôt samedi matin, pour rentrer à Montréal.

 

« À Oslo, ce n’est pas le plus gros aéroport mais il y avait du monde en titi à 3h du matin », raconte Kingsbury, avant de réaliser, « j’en ai vu des affaires dans les quatre dernières semaines! »

 

La bonne affaire à faire?

 

Cette question est revenue régulièrement dans la tête de Kingsbury dans le dernier mois, particulièrement dans la dernière semaine du voyage.

 

« Les compétitions de ski c’est l’fun, c’est ma job mais on a une seule vie à vivre, il faut quand même faire attention. » Mais la présence d’un médecin, en permanence, avec le groupe de bosseurs, avait un côté rassurant.  Aucun cas n’a été détecté au sein du groupe d’athlètes et d’entraîneurs, tous pays rassemblés.

 

Mais un risque planait, celui d’être mis en quarantaine.

 

« Tu ne veux pas te retrouver en quarantaine en Sibérie! Mais le stress a vraiment augmenté une fois en Europe. »

 

La crise prenait de l’ampleur partout dans le monde. 

 

Une pensée pour les athlètes qui préparent les JO de Tokyo

 

Kingsbury est au repos, sa saison étant terminée. Mais il a une pensée pour tous les athlètes qui doivent préparer les Jeux de Tokyo dans les conditions actuelles, sans accès à leur centre d’entraînement et sans compétition pour mesurer leur condition.

 

« Certains athlètes doivent se qualifier, d’autres sont à leur peak et sont prêts à aller chercher une médaille, ils sont prêts comme jamais. C’est ça qui est difficile. Les Jeux, pour certains athlètes, c’est once in a lifetime », explique Kingsbury qui a participé à deux Jeux olympiques. « On fait face à l’inconnu, c’est difficile mentalement. »

 

Deux autres Globes à son palmarès

 

La COVID-19 prend toute la place en ce moment mais il faut rappeler que Mikaël Kingsbury a remporté les deux Globes de cristal, pour une 9e saison de suite. C’est donc dire que depuis 2012, il est sacré champion de la saison des bosses et de tout le ski acrobatique à chaque année. Ça lui fait maintenant 18 Globes.

 

Même s’il a gagné par 300 points sur Ikuma Horishima au cumulatif, la lutte a été serrée jusqu’aux dernières épreuves.

 

« Mes principaux rivaux sont de plus en plus constants. Ils veulent me battre. Les gars sont meilleurs », reconnaît Kingsbury. « Après l’épreuve du Japon, j’ai eu un break. Ikuma n’a pas fait la finale et j’ai gagné. Ça creusé un écart à ce moment. Il s’est ensuite blessé au Kazakhstan et j’ai confirmé le globe en Russie. »

 

Kingsbury se réjouit de cette rivalité, il y carbure. « J’adore ça que les autres me poussent. Ça élève mon niveau. Au milieu de la saison, je dois continuer à me battre jusqu’au bout, ça me garde motivé. Certaines saisons, après un mois, j’étais déjà assuré de gagner le globe. Cette année, j’étais en mode business. Dans l’avion, au lieu de m’amuser, je faisais de la vidéo avec mes entraîneurs. J’aime ça », avoue Kingsbury.

 

Aucune contre-performance cette saison

 

On le sait constant mais cette saison son pire résultat a été 2e. À trois occasions. Chaque fois battu par Ikuma.

 

« Ce dont je suis fier, et c’est le résultat du travail que je fais avec Jean-François Ménard (son préparateur mental), c’est que j’ai rebondi à chaque événement. Toutes les fois où j’ai fini deuxième, j’ai gagné l’événement suivant. »

 

Comme il le dit lui-même, et ses résultats le confirment, il ne démontre aucun signe de ralentissement. Et ses rivaux savent qu’il a « une tête dure quand il skie. » À ses rivaux de travailler fort cet été...