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Un peu, beaucoup, passionnément

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COLLABORATION SPÉCIALE

 

Presque deux ans après sa dernière sortie médiatique montréalaise, Joey Saputo a repris parole cette semaine. Une entrevue d'une trentaine de minutes réalisée en italien (à Montréal) via la page YouTube de la chaîne OMNI.

 

En 2023, lorsqu'il s'était présenté sur la scène du Centre Nutrilait aux côtés de Gabriel Gervais, l'exercice était franchement réussi. Le dévoilement d'un nouveau logo, pour remplacer le défunt flocon, témoignait d'un retour enthousiaste aux racines du onze montréalais.

 

Cette semaine, on était aux antipodes.

 

Pourquoi comparer?

 

J'ai grandi à Québec dans une famille de supporters de Manchester United. C'était la belle époque. Celle où Old Trafford portait beaucoup mieux son nom de Théâtre des rêves.

 

J'y ai vu Éric Cantona marquer un des plus beaux buts de l'histoire de la Premier League. J'y étais pour une demi-finale de Ligue des Champions épique où Cristiano Ronaldo et sa bande ont muselé le Barça de Messi. Un drapeau de Roy Keane était fixé sur le mur de ma chambre.

 

Tout ça ne m'a pas empêché de faire l'aller-retour Québec/Montréal plusieurs fois par année pour me rendre au Centre Claude-Robillard. C'était aussi mon club. À une autre échelle, certes, j'y retrouvais là-aussi des personnages, des symboles et un sentiment d'appartenance qui évoquaient quelque chose en moi.

 

La coupe Longueuil de Paulinho remplaçait le collet levé de Cantona. Les tacles assassins de Nick De Santis rappelaient ceux de Keane.

Les Jason Di Tullio, Antonio Riberiro et Adam Braz, eux, représentaient un nouvel univers du possible pour le jeune Québécois que j'étais. Ils étaient une très (très) modeste version de la Class of 92'.

 

Pourquoi toujours comparer comme l'a fait Saputo dans son entrevue? À quoi bon dire que si le CF Montréal affrontait le Bologne FC, il se ferait massacrer?

 

Quand vient le temps de décider ce qu'il vaut la peine de dire ou non, les Boudhistes ont l'analogie des trois portes. Est-ce vrai, est-ce nécessaire et est-ce bienveillant? Si nos propos passent le pied de ces trois portes, ils méritent d'être partagés.

 

Dans la cas qui non concerne, on a plutôt défoncé la bay window. Ça fait plus de dégâts

 

 Il est possible d'apprécier les niveaux de l'Europe ET de la MLS en même temps. Une lumière ne brillera pas d'avantage si tu en éteins une autre.

 

Voilà pourquoi les propos de Joey Saputo m'ont choqué cette semaine. Pourquoi faire tant d'efforts pour mettre le FC Bologne en valeur aux dépens du CF Montréal?

 

Le fait que seul un maillot de Bologne ait été déposé sur le bureau était probablement un gros indice de ce qui nous attendait dans l'entrevue.

 

Je présume que le nouveau maillot montréalais est resté dans le tiroir. Dommage, il est magnifique et on en aurait peut-être vendu quelques exemplaires à deux semaines du match d'ouverture à domicile.

 

Un manque de passion

 

Le propriétaire déplore une passion qu'il croit dissipée depuis son départ de la présidence en 2019.

 

Ce point de vue sous-entend que la passion est nécessairement positive et/ou productive. Pourtant, Le Larousse définit la passion comme un « état affectif intense et irraisonné qui domine quelqu'un ». L'expression « crime passionnel » n'existe pas pour rien.

 

Si on met la sémantique de côté, c'est à se demander pourquoi les Ultras ont été bannis du Stade Saputo. N'étaient-ils pas les plus « passionnés » de tous? N'oublions pas que leur exclusion était dans la foulée d'un rebrand raté qui est curieusement omis lorsqu'on lamente une culture qui a changé depuis six ans.

 

Si on trouve véritablement qu'une injection de passion (définissez-là comme vous voulez) est nécessaire, une opportunité monstre a été ratée dans cette entrevue.

 

Celle de mettre en valeur l'arrivée de Luca et Simone Saputo dans des postes de direction. Deux garçons qui ont littéralement grandit au sein de ce club et qui connaissent mieux que quiconque l'ADN de l'Impact. Quelques mois à peine après leur nomination, on aurait pu leur donner un coup de pouce plutôt qu'une jambette.

 

Finalement, est-ce juste de reprocher à Montréal d'avoir perdu en passion lorsqu'on choisit d'assister à la 13e journée de championnat italien, plutôt qu'à une finale de Championnat canadien 2021 contre Toronto?

 

L'absence était peut-être justifiée, mais en termes de perceptions, la passion démontrée n'égale pas celle que l'on demande en retour.

 

Réécrire l'histoire

 

Saputo affirme aussi que, contrairement à la Métropole, Bologne est une ville qui apprécie le club, comprend le projet et lui donne le temps de travailler.

 

Question de se protéger contre un révisionnisme involontaire, rappelons qu'en janvier 2019, c'est sous escorte policière qu'il est venu s'adresser aux supporters italiens à la suite d'une défaite.

 

Quelques semaines plus tôt, les noms de Marco Di Vaio et deux autres membres de la direction était peints sur des croix déposées au centre d'entraînement en guise de protestation (menace?).

 

Je ne sais pas pour vous, mais on n'a pas la même manière de démontrer notre appréciation, compréhension et patience.

 

La Città

 

La relation avec les instances municipales est autre aspect que Joey Saputo déplore lorsqu'il compare sa ville de naissance à sa ville d'adoption.

 

En ce sens, je peux comprendre sa frustration. Le dossier des améliorations Stade Saputo traine depuis sept ou huit ans. Les propriétaires seraient pourtant prêts à investir une centaine de millions de dollars.

 

Dans la foulée de la réfection de la Caserne Letourneux, le club avait aussi fait des démarches pour y installer une bulle hivernale permettant de s'y exercer à l'année. Le manque d'esthétisme aurait été évoqué pour refuser cette initiative qui doterait aussi les jeunes du quartier Hochelaga-Maisonneuve d'un précieux plateau d'entraînement.

 

Si vous avez emprunté le Boulevard Notre-Dame dernièrement, l'ironie de l'argument esthétique ne vous échappera pas.

 

Ceci-dit, une autre belle opportunité a été ratée.

 

Avec le départ annoncé de Valérie Plante, Saputo aurait pu tendre la main à la prochaine administration. En quoi la Municipalité peut-elle aider son club de soccer et en quoi cette aide sera-t-elle bénéfique pour le quartier, la ville et le futur de l'organisation dans la métropole?

 

Des réponses claires à ces questions nous mettrait sur un chemin beaucoup plus constructif que ce discours rengaine qui se limite à blâmer l'autre.

 

En terminant le visionnement de cette entrevue, j'ai eu l'impression d'avoir écouté un ami qui flotte encore sur le nuage de son premier voyage en Italie. Celui qui te dit « Ark, tu coupes ton spag? En Italie, ils roulent et c'est toujours des pâtes fraîches! ».

 

Ce qui se passe à Bologne est admirable. Montréal n'est pas pour autant à dédaigner ou regarder de haut. Surtout lorsqu'on considère l'écart des ressources investies d'un côté et de l'autre de l'Atlantique.

 

P.S. Je ne roule pas mon spaghetti. Ne me lancez pas les tomates de Nonna.