Le soccer européen se déchire autour de la Super Ligue
Europe dimanche, 18 avr. 2021. 16:01 dimanche, 18 avr. 2021. 18:04MONTREUX, Suisse - Guerre de mots et bataille juridique en vue: la Super Ligue, compétition privée fondée lundi par douze clubs dissidents pour supplanter la Ligue des champions, a suscité un tollé parmi les supporters et les instances, qui fustigent « un crachat au visage des amoureux du football ».
Cette fois, les hostilités sont ouvertes et chacun lâche ses coups: après des décennies à agiter le spectre d'un schisme, les cadors du continent, Real Madrid, Liverpool ou Manchester United en tête, ont franchi le pas en créant une société privée, baptisée « Super League », et en lançant préventivement des procédures judiciaires pour assurer le bon lancement du projet face à l'opposition de l'UEFA, organisatrice de la Ligue des champions, la compétition phare du football européen depuis 1955.
La création de la Super Ligue est « une proposition honteuse » de quelques clubs « guidés par l'avidité », « un crachat au visage de tous les amoureux du football », a réagi lundi le président de l'UEFA Aleksander Ceferin, lors d'une conférence de presse.
Le patron de l'instance européenne a contre-attaqué en promettant d'exclure les clubs et les joueurs concernés de toute compétition nationale et internationale, et a officialisé l'adoption d'une réforme de la Ligue des champions, qui passera de 32 à 36 équipes à l'horizon 2024.
Ébranlé par la pandémie de Covid-19, le sport roi en Europe voit remis en cause l'actuel système de redistribution des ressources télévisuelles entre la C1 et les championnats nationaux.
Les clubs rebelles, dans le détail l'AC Milan, Arsenal, Atlético Madrid, Chelsea, FC Barcelone, Inter Milan, Juventus, Liverpool, Manchester City, Manchester United, Real Madrid et Tottenham, comprennent l'intégralité des vainqueurs de la C1 depuis 2005, sauf le Bayern Munich. Ils prétendent instaurer un controversé système de ligue quasi fermée comparable à la NBA ou la NFL.
« La saison inaugurale [...] démarrera aussi tôt que possible », ont assuré les clubs fondateurs dans un communiqué, sans fixer de calendrier précis.
« Ressources supplémentaires »
Selon une source ayant connaissance des tractations, le Bayern Munich et le Paris SG ont été approchés mais n'ont pas donné suite.
Une autre source, proche des clubs fondateurs, a néanmoins assuré à l'AFP que deux clubs français « au minimum » seraient présents chaque année dans cette Super Ligue, sans préciser l'identité ou le mode de sélection des clubs concernés.
Côté allemand, le Bayern Munich et Dortmund se sont clairement prononcé contre le projet, a affirmé le patron du Borussia Hans-Joachim Watzke.
Selon ses promoteurs, la Super Ligue fonctionnerait sous la forme d'une saison régulière opposant 20 clubs, puis d'éliminatoires, avec quinze membres de droit (les 12 « clubs fondateurs » cités et trois supplémentaires restant à déterminer) et cinq autres équipes choisies « à travers un système basé sur leur performance de la saison précédente ».
Les matches se tiendraient en principe en milieu de semaine, entrant en concurrence directe avec les cases réservées pour la Ligue des champions, mais pas avec les championnats nationaux traditionnellement organisés le week-end.
La nouvelle compétition, selon ses promoteurs, est vouée à « générer des ressources supplémentaires pour toute la pyramide du football » et les clubs fondateurs recevront « un versement en une fois de l'ordre de 3,5 milliards d'euros destinés uniquement à des investissements en infrastructures et compenser l'impact de la crise du COVID-19 ».
La banque américaine JPMorgan a confirmé lundi qu'elle allait financer le projet, qui inclura aussi une Super Ligue féminine.
Les montants évoqués supposent des recettes bien supérieures à celles obtenues par l'UEFA pour l'ensemble de ses compétitions de clubs (Ligue des champions, Ligue Europa et Supercoupe d'Europe), qui avaient généré 3,2 milliards d'euros de droits TV en 2018-2019, avant une pandémie qui a fortement plombé le marché des droits sportifs.
Menace d'exclusion
Reste à savoir quelles réponses l'UEFA, vent debout, et la Fifa apporteront à cette tentative de sécession, comparable à celle qu'a connu le basketball européen, entre l'Euroligue et la Fiba.
La Fifa « ne peut que désapprouver une Ligue européenne fermée et dissidente », a simplement réagi la fédération internationale lundi.
Pour sa part, Aleksander Ceferin a réaffirmé lundi que les joueurs évoluant dans les clubs fondateurs de cette ligue privée « seront bannis » des compétitions internationales telles que la Coupe du monde ou l'Euro et « ne pourront pas représenter leurs équipes nationales ».
Il faudra voir si sa menace est conforme au droit européen de la concurrence, ce qui laisse présager une éventuelle bataille juridique.
D'autant que dans un courrier adressé à Fifa et UEFA et obtenu par l'AFP, les promoteurs de la Super Ligue ont annoncé avoir lancé préventivement « une procédure devant les juridictions compétentes pour assurer l'instauration et le fonctionnement sans accroc de la compétition ».
En attendant, les prises de positions anti-Super Ligue se sont multipliées, notamment parmi les supporters.
« C'est un braquage. Ils font disparaître toute forme d'incertitude sportive, ce qui fait la base de l'attachement à ce sport », a déclaré à l'AFP Ronan Evain, coordinateur du réseau Football Supporters Europe.
Et les responsables politiques ont également fait part de leur inquiétude, à l'image de l'Elysée, qui a fustigé un projet « menaçant le principe de solidarité et le mérite sportif », ou du Premier ministre britannique Boris Johnson.
Margaritis Schinas, commissaire européen en charge de la Promotion du Mode de vie européen (Culture, Education) a pour sa part jugé la Super Ligue contraire aux valeurs européennes de « diversité » et d'« inclusion ».