Impact : Philippe Eullaffroy rêve d'une équipe nourrie par son Académie
Impact lundi, 21 mars 2016. 11:11 jeudi, 12 déc. 2024. 06:38MONTRÉAL – Philippe Eullaffroy a longtemps combiné ses deux passions avant de commencer à se consacrer à plein temps au soccer il y a un peu plus de dix ans. Mais les grands principes qui ont pavé le parcours de ce scientifique de formation continuent de dicter sa démarche alors qu’il entame sa septième année à la direction de l’Académie de l’Impact de Montréal.
« Je ne suis pas du tout d’accord avec les gens qui disent que le soccer n’est pas une science. Pour moi, c’en est une, insiste d’entrée de jeu l’entraîneur-chef du FC Montréal et responsable du développement de la relève du club pro dans une longue entrevue accordée à RDS. On tient des statistiques, on parle de chimie d’équipe et de physique. Et quand on fait bien les choses, comme en sciences, le résultat est attendu. C'est vrai qu'il y a un peu plus d’incertitudes que dans les sciences exactes, mais si on additionne toutes les bonnes données, il y a de grandes chances que le résultat soit celui recherché. »
Eullaffroy, qui est détenteur d’une maîtrise en biologie marine et d’un doctorat en toxicologie de l’environnement, est donc convaincu que le respect d’une bonne méthodologie, combinée aux nouveaux outils qui seront bientôt mis à sa disposition à la Caserne Letourneux, permettra éventuellement à l’Impact de s’approvisionner à même son propre bassin de talent maison.
Depuis ses balbutiements, l’Académie de l’Impact a produit huit joueurs qui ont réussi à décrocher un contrat professionnel. Quatre d’entre eux sont présentement à la disposition de Mauro Biello en MLS. Il s'agit d'un taux de rendement insatisfaisant, tranche Eullaffroy sans même prendre le temps d’y réfléchir.
Les objectifs sont clairs et beaucoup plus ambitieux. Dans un monde idéal, l’effectif de l’Impact serait composé de 40% de joueurs formés au club.
« Mais on peut évaluer ça en terme de quantité et en terme de qualité. Nous au club, on préfère la qualité. J’aime mieux en avoir deux qui viennent de l’Académie, mais qui sont des partants à tous les matchs, que d’en avoir huit, dont six sur le banc et deux qui ne jouent jamais, met en perspective Eullaffroy. Alors si on est à 20%, mais qu’on parle de partants capables de faire la différence en MLS, l’objectif est atteint. C’est dans cette direction qu’on travaille, en se disant que si on travaille très bien, on aura non seulement la qualité, mais aussi le nombre recherché. »
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La structure de l’Académie a drastiquement évolué depuis que le défunt Attak de Trois-Rivières a été identifié comme une équipe de développement en 2009. De fil en aiguille, un imposant organigramme a pris forme sous l’équipe première, servant de fondation à un club déterminé à s’auto-suffire dans un avenir imminent. À l’aube de son cinquième anniversaire, l’Académie comme on la connaît aujourd’hui englobe cinq équipes actives sous les couleurs de l’Impact – du FC Montréal qui évolue depuis l’an passé en USL Pro jusqu’au U13 – en plus d’une « pré-académie » qui recrute jusqu’au niveau U8.
« On commence à voir la première génération de joueurs qui ont bénéficié, pour certains depuis trois ou quatre ans, de ce qu’on a mis en place, et ce malgré les limites qu’on avait au début, note le Professeur. Aujourd’hui, les gens qui vont arriver vont s’émerveiller devant la Caserne, mais il ne fait pas oublier qu’il y a quatre ans, on était à Lucie-Bruneau, on était à Saint-Jean-Vianney, on était dans tous les sens. »
Tout en haut de la pyramide, Eullaffroy se berce entre réalisme et ambition. Bien conscient que le projet en est un de longue haleine, il souhaite que l’Académie devienne un pourvoyeur de talent régulier du grand frère de la famille à partir de 2018.
« On n’en est pas là, et je ne sais pas si un jour on y sera d’ailleurs, mais l’objectif est de faire signer trois jeunes à tous les deux ans avec les pros. On parle donc d’un et demi par année, ce qui nous paraît raisonnable, calcule le natif de Troyes, en France. Dès qu’on aura atteint notre vitesse de croisière, avec la Caserne, où on entrera bientôt pour la première fois, je crois qu’on pourra y arriver. »
« Je pousserais même l’idée jusqu’à dire que j’espère qu’à l’Académie, on va poser des problèmes à Mauro parce qu’à chaque année, on va être capable de lui amener quatre joueurs de grande qualité et qu’il me dise : ‘Phil, j’en ai trop!’. Je le dis à la blague, mais à quelque part, c’est un peu ça l’objectif. Qu’on forme tellement de joueurs en qualité et en quantité qu’à un moment donné, il n’y ait plus assez de place pour les mettre tous sous contrat! »
L’effet Biello
La promotion accordée à Mauro Biello en août de l’année dernière a eu des répercussions immédiates sur les résultats de la première équipe. Sous les ordres de cet ancien prolifique attaquant, l’Impact montre une fiche de 9-3-2 et s’impose un peu plus chaque jour comme l’une des équipes de pointe en MLS.
Mais il n’y a pas que la première équipe qui a été revitalisée par l’arrivée de Biello à ce poste pour lequel il était destiné.
Eullaffroy a connu trois entraîneurs, donc autant de visions différentes, avant que les intermédiaires ne s’effacent entre lui et Biello. Jesse Marsch, Marco Schällibaum et Frank Klopas avaient chacun leurs méthodes, chacun leur agenda, mais leur quête ultime était orientée vers l’obtention de résultats immédiats. Dans cette optique, il était normal que la mission de l’Académie ne se retrouve pas nécessairement au sommet de leur liste de priorités.
Eullaffroy étouffe la suggestion que ce choc des mandats ait pu causer des frictions avec ses anciens supérieurs. « C’est juste que symboliquement, au lieu d’avoir un beau cylindre qui va des pros jusqu’à nos U8, tu avais des entonnoirs de temps en temps. Mais ça ne veut pas dire que ça devient deux silos fermés », illustre-t-il, concédant toutefois que « si ce n’était pas l’enfer avant, c’est un vrai grand bonheur depuis plusieurs mois. »
« C’est sûr que c’est beaucoup plus facile avec le staff qui est en place à l’heure actuelle parce qu’on n’a pas besoin de le convaincre, il est déjà convaincu! Avec les entraîneurs précédents, il y avait peut-être un passage obligé d’explications. Cette année, il n’y a pas ça et ça facilite la vie sportive du club dans sa globalité. »
Biello lui-même n’a pas tardé à se montrer conséquent avec la philosophie de la famille. Aussitôt nommé à la succession de Klopas, il a invité Jason Di Tullio, un autre ancien joueur de l’Impact qui dirigeait l’équipe U18 depuis 2013, à le rejoindre dans les ligues majeures. Quelques mois plus tard, au cours de la saison morte, il a fait appel à un autre visage connu de l’organisation, Wilfried Nancy, pour remplacer Enzo Concina.
Pour Eullaffroy, il ne fait aucun doute que la présence de visages familiers au plus haut échelon de l’organisation inspire ses jeunes élèves. Leur rêve, tout à coup, semble à leur portée.
« Ils sont capables de le toucher. Avant, en revenant à cette image de l’entonnoir, il fallait se contorsionner un peu pour être capable de toucher à l’équipe première. Alors que là, s’ils progressent bien et qu’ils démontrent de la qualité, la voie leur est tracée parce qu’en haut, il y a des entraîneurs à qui on n’aura pas besoin de tordre un bras pour qu’ils les remarquent. Ce sont même eux qui vont venir me voir avec des questions. On a un staff qui devient proactif par rapport aux jeunes alors qu’avant, c’était à nous de pousser, d’alerter le coach de l’équipe première pour dire ‘Eh, tu sais, il y a deux ou trois gamins auxquels il faudrait s’intéresser’. Maintenant, c’est pratiquement l’inverse! Mauro et ses adjoints connaissent le club par cœur, connaissent les jeunes par cœur et pour la première fois depuis qu’on est en MLS, tout le monde est sur la même longueur d’onde. C’est fabuleux! »
Une question de principes
Le mois dernier, après avoir vu son équipe faire match nul avec celle de Biello alors que les deux formations venaient d’amorcer leur préparation en vue de leurs saisons respectives, Eullaffroy a donné un aperçu du type de synergie que l’organisation souhaitait établir entre le groupe qui s’apprêtait à amorcer sa cinquième année en MLS et les adolescents et les jeunes adultes qui forment sa relève.
« Quand on parle d’osmose entre toutes les équipes, on parle vraiment de principes de jeu, pas de systèmes, a-t-il nuancé. L’animation, l’identité, les principes, voilà ce qui est important. Bien sûr, il y a des petites choses qui changent selon qu’on joue en 4-4-2, en 3-5-2 ou peu importe. Mais les intentions de jeu et le positionnement, notamment, doivent rester les mêmes. »
Rencontré quelques semaines plus tard au Complexe sportif Marie-Victorin, où le FC Montréal a établi ses quartiers généraux temporaires, Eullaffroy a survolé l’idée générale détaillée par 16 principes de jeu – dix offensifs et six défensifs – qu’on veut inculquer à l’Académie.
« Je vais te donner des généralités, sinon il faudrait qu’on discute pendant trois jours! Mais pour résumer, ce qu’on veut, c’est des joueurs qui jouent avec émotion pour donner des émotions aux spectateurs. On veut que le résultat, la victoire, soit la conséquence des choses qu’on met en place, et des choses ambitieuses avec beaucoup de prises d’initiatives, d’audace et de variété dans notre jeu offensif. Ça veut donc dire qu’on va chercher à changer le point d’attaque le plus rapidement possible, qu’on va chercher à avoir beaucoup de densité autour du porteur du ballon. »
Mauro Biello a maintes fois répété son désir de compter sur une équipe calme et patiente en possession, mais aussi très agressive en transition défensive. Voilà des parcelles de la mentalité qu’on veut propager jusqu’aux extrémités de toutes les tentacules de club.
Le but, c’est que les jeunes Louis Béland-Goyette, Alessandro Riggi, Thomas Meilleur-Giguère et Marco Dominguez reçoivent le même message de la bouche d’Eullaffroy, leur mentor au FC Montréal, que de celle de Biello lorsqu’ils sont invités à s’entraîner avec leurs aînés.
« On arrivera plus rapidement à notre but si nos jeunes sentent cette connexion, s’ils sentent, à chaque fois qu’ils vont avec les pros, qu’ils font partie du même club. Il y aura le même discours, les mêmes exercices, la même approche. Et là, c’est du bonheur! »
Les académiciens Maxim Tissot, Wandrille Lefèvre, Jérémy Gagnon-Laparé et Maxime Crépeau parviendront-ils un jour à cimenter leur place parmi les incontournables du XI partant de Mauro Biello? Eux seuls détiennent la réponse, affirme Philippe Eullaffroy, qui croit toutefois que ceux qui suivront dans leurs traces gradueront dans des conditions beaucoup plus favorables et avec les perspectives d’avenir qui viennent avec.
« Ce qu’on espère, c’est que la prochaine génération qui aura bénéficié un peu plus longtemps de la structure de formation et du réseau de compétition, quand elle va arriver avec les pros, sera prête à démarrer tout de suite. Au début, la différence de niveau entre l’Académie et l’équipe MLS était tellement énorme qu’il fallait aux jeunes un temps d’adaptation beaucoup plus long. Ce qu’on espère, c’est que pour les prochains, le temps d’adaptation sera de deux semaines et qu’ils pourront devenir des joueurs d’impact plus rapidement. »