MONTRÉAL - Les sports d’équipe ont toujours occupé une place prépondérante dans la vie des Québécois.

Le classique au Québec : un jeune joue au hockey d’août à avril, enfile ensuite ses crampons de baseball ou de soccer et le cycle reprend chaque année. Ajoutez à cela les sports individuels.

Depuis la fin des années 1990, de plus en plus de jeunes envisagent l’avenue du football. En 1992, Football Québec répertoriait 8000 membres, que ce soit dans le football avec ou sans contact. Aujourd’hui, on en compte plus de 35 000.

Laurent Duvernay-TardifLa popularité du football a explosé et la qualité des athlètes de la province n’a plus rien à envier au reste du Canada, de même qu’aux États-Unis. Bien que le modèle, surtout axé sur le milieu scolaire, ait encore besoin de retouches, force est d’admettre que le Québec est devenu une puissance au sein du pays.

La planète football québécoise a également vécu « un moment historique » le 27 mars dernier selon Jean-Marc Edmé, dépisteur professionnel et universitaire chez les Alouettes.

Ce jeudi-là, neuf dépisteurs de la NFL se sont présentés à Montréal pour voir Laurent Duvernay-Tardif à l’œuvre lors de tests physiques et athlétiques (pro day). Du jamais vu. Le 10 mai, les Chiefs de Kansas City ont sélectionné le bloqueur des Redmen de McGill en sixième ronde lors du repêchage.

Trois jours plus tard, Duvernay-Tardif faisait partie des 21 joueurs du Réseau du Sport étudiant du Québec (RSEQ) à être repêché dans la Ligue canadienne de football (LCF). Lors des sept rondes de l’encan 2014, 59 joueurs issus des universités canadiennes ont été choisis par les neuf équipes. Bref, 35,6 % d’entre eux provenaient d’une institution québécoise. En comparaison, 19 joueurs du circuit ontarien ont été repêchés, mais l’Ontario compte cinq programmes universitaires de plus en football que son voisin québécois.

La qualité des entraîneurs, qui comptent plusieurs anciens joueurs du RSEQ, explique sans aucun doute l’amélioration du produit sur les terrains universitaires et collégiaux.

Mais pour la popularité du sport, deux évènements marquants ont contribué à en faire un sport prisé par les jeunes : le retour des Alouettes de Montréal en 1996 et la coupe Vanier remportée par le Rouge et Or de l’Université Laval en 1999.

Une équipe près de la communauté

Le Québec est un bon exemple de l’influence de la présence d’un club professionnel sur la pratique d’un sport. Le Canadien de Montréal – l’équipe d’un peuple depuis plus de 100 ans – fait foi de tout alors que les enfants s’identifient dès leur plus jeune âge aux P.K. Subban, Carey Price et Alex Galchenyuk pour ne nommer que ceux-là.

L’exemple inverse a également été constaté au milieu des années 2000. Avec le départ des Expos de Montréal en 2004, le nombre de joueurs dans le baseball mineur québécois a chuté drastiquement – mais les inscriptions sont en hausse depuis six ans –, au profit du soccer et probablement un peu du football.

Mais le football a vécu un véritable boom à la fin des années 1990. Les Alouettes ont effectué un retour dans la LCF après neuf années d’absence. Bien que les programmes collégiaux et universitaires aient continué à se développer, la reprise des activités de la LCF à Montréal a permis à la génération montante de voir du football professionnel de leurs propres yeux.

« Les Alouettes ont aidé à faire connaître le sport lorsqu’ils sont revenus en 1996. Chaque année, Jim Popp a repêché des joueurs québécois et les jeunes ont pu s’identifier à eux », note Edmé, qui est dans l’organisation montréalaise depuis 2008.

« Les Alouettes ont mis un effort pour s’impliquer dans la communauté », fait remarquer Brad Collinson qui est responsable du volet scolaire et entraîneur avec le Rouge et Or en plus d’être entraîneur-chef de l’équipe canadienne U-19. Ce dernier est bien placé pour le savoir, puisqu’il a évolué pendant une saison (2003-2004) avec les Moineaux.

Depuis 1998, plusieurs joueurs des Alouettes – et pas seulement les Québécois – font une tournée de conférences dans les écoles primaires et secondaires de la métropole.

L’influence du retour des Alouettes – et de celui des programmes de football dans les universités francophones – n’a pas limité l’expansion du sport seulement aux grosses agglomérations.

« Ce qui est le fun, ce n’est pas qu’à Montréal. Dans tous les coins de la province, il y a du football. Et je pense que ça va continuer à grandir. Avec les histoires de Pierre Lavertu, David Foucault et Laurent Duvernay-Tardif, ça va inciter les jeunes à travailler encore plus fort », croit Jean-Marc Edmé.

Un autre point important dans le retour des Alouettes est le déménagement au Stade Percival-Molson. En 1996, la troupe montréalaise a disputé tous ses matchs au Stade olympique, un endroit moins propice à créer une ambiance festive pour le football. En 1997, sans le savoir, le groupe U2 a probablement aidé à l’essor du football au Québec.

En raison d’un concert du mythique quatuor au Stade olympique, les Alouettes ont été forcés de jouer une rencontre éliminatoire au stade de l’Université McGill. Depuis ce temps, ils y ont fait leur domicile.

« Je crois que les Alouettes ont bien fait de se sortir du Stade olympique pour amener leur football plus près des partisans au Stade Percival-Molson », reconnaît l’entraîneur-chef de l’Université Simon Fraser, Jacques Chapdelaine, pilote du Rouge et Or de 1997 à 2000.

Une coupe qui a mis le Québec sur la carte

L’Université Laval a créé son programme de football en 1995, disputant que des matchs préparatoires cette année-là. Le Rouge et Or a fait son entrée officielle l’année suivante, étant alors le seul programme francophone de son association.

Jacques Chapdelaine et Blake NillEn 1997, Jacques Chapdelaine a pris les rênes de l’équipe qu’il a menée à sa première de huit conquêtes de la coupe Vanier en 1999. L’exploit était immense à l’époque pour un programme jeune de quatre ans et plus encore pour une université francophone.

« Les gens avaient parlé d’une équipe francophone qui avait gagné un match national à Toronto. La semaine suivante, Alain Vigneault, qui était l’entraîneur-chef du Canadien à cette époque, m’avait appelé. Les jeunes se faisaient présenter sur le tapis rouge au Canadien avant l’hymne national. On était reçu à l’Assemblée nationale avec Lucien Bouchard et tous les députés. Le maire de la Ville de Québec nous avait donné la clé symbolique de la ville », se remémore Chapdelaine.

« Ç’a mis le football sur la map au Québec. Les jeunes ont commencé à pratiquer ce sport, entre autres durant tout leur secondaire. En ce qui a trait au développement, dans la région de Québec, le retour d’un programme francophone et la victoire à la Coupe Vanier ont eu un gros impact », relate Patrick Boies, qui était demi défensif pour le Rouge et Or de 1997 à 2001 et qui est maintenant coordonnateur offensif des Redmen.

Ce premier triomphe canadien de l’Université Laval a mis la table à l’établissement d’une tradition de succès. Le modèle du Rouge et Or a fait ses preuves depuis maintenant 18 ans. L’administration du Rouge et Or compte maintenant un conseil exécutif avec en tête le président Jacques Tanguay, qui s’implique depuis la fondation du programme. Certains diront que le Rouge et Or « achète des championnats ». Certes, il s’agit de l’un des programmes les plus financés au Canada. Mais cela ne s’est pas fait en claquant des doigts. Le Rouge et Or a aussi connu des époques où il n’y avait que deux ou trois entraîneurs à temps plein.

Glen Constantin, qui a succédé à Chapdelaine en 2001 et qui est toujours à la barre de l’équipe, dit souvent : l’Université Laval est le meilleur endroit pour jouer au football universitaire au Canada. Grâce à ces visionnaires qui ne se sont mis aucune limite pour rallier les fonds pour bâtir les infrastructures, le programme continue à s’améliorer. Et à ça, il faut aussi ajouter tous les partisans qui se sont greffés au cours des années et qui se présentent au Stade du PEPS par dizaine de milliers.

Le football professionnel, un rêve atteignable

Malgré le succès du Rouge et Or, les ambitions professionnelles des joueurs ont pris du temps à se développer.

« À mon époque, ça commençait un peu. On avait moins d’opportunités que les joueurs d’aujourd’hui. Les meilleurs se rendaient. La crème remonte toujours », raconte Patrick Boies, qui est maintenant un entraîneur de carrière.

Au tournant des années 2000, l’Université Laval a été rejointe par deux autres universités francophones, soit les Carabins de l’Université de Montréal, en 2002, et le Vert et Or de l’Université de Sherbrooke, en 2003.

Ces deux programmes sont passés par les mêmes étapes que celui de l’équipe de la Vieille Capitale. Ils ont connu des saisons plus difficiles à leur entrée dans le circuit du Québec.

Mais lorsqu’on regarde le calibre de jeu présent dans le RSEQ l’an dernier, on ne peut que lever notre chapeau à tous ceux qui ont développé ces programmes. Bien que le Rouge et Or ait remporté un 10e titre de suite au Québec, chaque université produit son lot de joueurs professionnels dans la LCF, mais aussi dans la NFL cette année.

« Ça, c’est à cause des excellents programmes de football. Chaque année, on voit souvent un minimum de trois équipes du Québec classées dans le top-10 canadien. Lorsqu’on repêche, il ne faut pas seulement prendre en considération le talent d’un joueur, mais aussi la compétition qu’il fait face chaque semaine », explique l’entraîneur-chef des Carabins de l’Université de Montréal, Danny Maciocia, qui a aussi été directeur général des Eskimos d’Edmonton au cours de sa carrière.

« Le Sport interuniversitaire canadien (SIC) s’améliore vraiment et je crois qu’il est au plus haut niveau qu’il n’a jamais été. C’est très compétitif, mais ce n’est pas encore au niveau de la NCAA. Mais je crois que ça peut venir avec le temps parce qu’on a des entraîneurs compétents qui vont continuer à s’améliorer », mentionne Edmé, qui connaît le calibre d’un océan à l’autre au Canada.

David FoucaultMaciocia et les Carabins vivent présentement l’impact de voir un de leurs joueurs dans la NFL. Le bloqueur David Foucault, choix de première ronde des Alouettes, a signé un contrat avec les Panthers de la Caroline dans la NFL.

« Il n’y a pas un jour où un jeune ou des gens dans la rue ne m’en parlent pas. Les gens commencent à réaliser qu’on a d'excellents joueurs de football et que, peut-être, la possibilité existe qu’ils puissent en vivre dans la NFL », lance Maciocia, qui n’a jamais négligé l’aspect scolaire dans le développement de ses joueurs.

Le Québécois Andy Mulumba a pris un chemin différent que Duvernay-Tardif et Foucault pour se rendre à la NFL. Le secondeur des Packers de Green Bay a quitté le Québec après un passage au Cégep du Vieux-Montréal pour se diriger à l’Université Eastern Michigan. Néanmoins, il croit quand même qu’il aurait pu atteindre le circuit américain en étant resté ici.

« Tout le monde dans le SIC a la chance de jouer dans la NFL. C’est une question d’opportunité. Je ne peux pas dire à 100 % si cela aurait été le cas pour moi, j’avais de la misère à décider où j’allais jouer à l’université. Mais tout dépend de l’opportunité que les jeunes ont et il s’agit de la saisir », souligne-t-il.

« Les jeunes du Québec, nous pouvons compétitionner avec les gens des États-Unis. C’est juste de s’accommoder à la vitesse et au niveau de jeu. Le football aux États-Unis se croit supérieur au football d’ici. Mais chaque jeune au Canada a la chance de jouer aux États-Unis et c’est un privilège pour moi d’y jouer. J’ai prouvé que tout est possible », dit-il en ajoutant qu’il est fier de ce qu’il a accompli.

* Jeudi, le RDS.ca vous présentera un deuxième article sur l’évolution du football au Québec qui traitera du travail des entraîneurs aux niveaux collégial et universitaire.