Tanya Millette : « All in » vers les Majeures
MONTRÉAL – C'est dans le reflet des verres fumés miroir du gérant l'enguirlandant à quelques centimètres de son visage que Tanya Millette l'a remarqué pour la première fois.
La jeune arbitre québécoise avait beau à l'époque n'en être qu'à ses débuts au niveau Midget AAA, elle était déjà en contrôle de la situation. Inébranlable.
« J'avais l'air calme, j'avais vraiment l'air de m'en foutre », exposait-elle récemment dans un entretien avec le RDS.ca.
« J'ai réalisé à ce moment que j'avais l'étoffe pour en prendre. »
Ce sang-froid, jumelé à sa maîtrise des compétences inhérentes à l'exercice de sa profession, font d'elle aujourd'hui une arbitre des Ligues mineures américaines s'approchant de son rêve : les Majeures.
Tombée dans l'œil de la MLB il y a plusieurs années, la recrue quittera sous peu vers les États-Unis, où elle écoulera dans les circuits inférieurs affiliés la première année du contrat qui l'attend.
Depuis longtemps.
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Âgée de 27 ans, la policière de formation impose le respect des règles sur les losanges de la province depuis maintenant 13 ans. C'est toutefois d'abord sur les patinoires, au hockey, que Millette a enfilé un uniforme d'arbitre pour la première fois, avant de faire la transition vers le marbre aux côtés de son père, lui-même un officiel expérimenté.
« Mon père voulait me protéger, puisque j'étais quand même assez jeune quand j'ai commencé à arbitrer au baseball. »
Les rôles, cependant, se sont rapidement inversés.
« J'étais dans une partie pee-wee B à Laval, offre-t-elle en guise d'exemple. L'argument [de l'entraîneur] n'était pas avec moi, il était avec mon père. En s'en retournant vers son banc, le coach continuait à dire des choses. Je l'ai expulsé.
« Mon père avait réalisé que je n'allais pas avoir besoin de lui très, très longtemps. Que j'étais capable de gérer les situations. »
C'est ainsi que Millette a gravi les échelons. Elle a été invitée à des championnats provinciaux, puis elle est devenue la première femme à arbitrer au niveau sénior élite québécois. Le mot s'est passé.
Si bien qu'en 2019, quand la MLB était à la recherche d'arbitres canadiennes avec suffisamment de potentiel pour participer à un camp de développement, sa candidature a été proposée et retenue.
« Je m'en allais là-bas pour me perfectionner, me développer en tant qu'arbitre. Je ne savais pas qu'il y avait un enjeu en bout de ligne : ils offraient des bourses pour une école professionnelle. »
Au terme de cette audition, Millette avait convaincu ses instructeurs. Si elle le voulait, une place l'attendait à la réputée Wendelstedt Umpire School.
« J'avais encore une session à faire au Cégep pour terminer la technique policière. Ce n'était vraiment pas le bon moment. Je leur ai dit pas cette année, mais possiblement l'année prochaine. »
Un an plus tard, son intérêt à participer au camp est sondé de nouveau. Elle était prête à tenter encore sa chance, mais la pandémie de COVID-19 a forcé l'annulation du camp en 2020. En 2021, il n'a pas eu lieu non plus.
Millette était néanmoins toujours sur le radar en 2022 et a ainsi été invitée sur les terrains et bancs d'école de Wendelstedt. L'établissement offrait à ce moment une formation de quatre semaines au terme de laquelle les arbitres les plus prometteurs étaient invités à l'« Advanced course », un camp intensif d'une semaine et demie menant les plus méritants à un contrat des Ligues mineures.
N'arrivant pas à obtenir son visa étudiant à temps pour fréquenter Wendelstedt, Millette a tout de même été admise directement à l'« Advanced course ». Les dirigeants en avaient vu assez en 2019 pour savoir qu'elle était à sa place.
Millette s'y est distinguée encore une fois. L'offre n'a jamais été formelle, mais vu l'insistance de ses instructeurs à en savoir davantage sur ses plans d'avenir, elle en déduit aujourd'hui qu'un contrat des ligues mineures l'attendait à la conclusion de celui-ci. Or, une fois de plus, le timing n'était pas bon.
« J'étais en couple, j'avais des opportunités d'emploi dans la police ici. Je leur avais donc dit de ne pas me considérer pour un contrat. Je n'étais pas prête à mettre de côté ce que j'avais au Québec pour une carrière professionnelle qui, on va se le dire, est quand même instable. »
Près de deux ans plus tard, à l'automne 2023, Millette n'était plus en couple. Sa carrière de policière la comblait plus ou moins. C'était le temps.
« Quand je les ai recontactés, je me disais que ce serait totalement légitime qu'ils me disent non. En 2022, ils ont payé pour mes billets d'avion, mon hébergement, ma nourriture... Ils ont dépensé beaucoup d'argent pour moi et je leur ai fait un peu faux bond. »
N'empêche, elle était encore la bienvenue.
« Dès que j'ai su que je m'en allais au camp, il était hors de question pour moi que j'y aille et que je revienne sans contrat. »
Tanya Millette
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Décidée à mettre toutes les chances de son côté, Millette a quitté le Québec pour la Floride en septembre dernier, trois mois avant l'ouverture du MLB Umpire Prospect Development Camp, l'audition finale pour un rôle dans les Ligues mineures.
Avec le soutien d'Yves Lamontagne, le responsable des arbitres canadiens de la Ligue Frontier dans laquelle elle est devenue la première femme à arbitrer en 2022, Millette s'est trouvé des tournois à arbitrer aux quatre coins de la Floride chaque fin de semaine pour demeurer active.
« Je me suis dit si je reste sur les terrains le plus longtemps possible à me perfectionner et travailler, ça va être plus facile au camp que si je n'avais pas été sur un terrain pendant six mois », explique celle qui a officié dans une quarantaine de matchs de la Ligue Frontier en 2023, notamment durant la finale remportée par les Capitales de Québec.
Après un court séjour à la maison pour le temps des fêtes, Millette s'est rapportée à Vero Beach le 3 janvier pour la première journée du MLB Umpire Prospect Development Camp. Les 27 journées qui ont suivi ont été... occupées. Le mot est faible.
Déjeuner de 7 à 8 h, cours théoriques en classe de 8 à 10 h, sur le terrain de 10 h à midi, pause dîner jusqu'à 13 h, retour en classe pendant deux autres heures – « On passe à travers le livre de règlements de A à Z » –, du terrain jusqu'à 17 h, récapitulatif de la journée en classe, retour discrétionnaire sur le terrain, souper de 18 à 19 h...
« Souvent, je me ramassais à me coucher entre 23 h et minuit parce que j'étais encore en train d'étudier », résume Millette, qui a dû se soumettre à 17 tests théoriques au fil de cet exercice éreintant, à la fois mentalement et physiquement.
« J'ai fait Nicolet (l'École nationale de police du Québec, NDLR.) et je pense que ce n'est même pas comparable. »
Malgré une blessure à une cuisse qui l'a ennuyée en cours de route, Millette est passée au travers. Le matin du 30 janvier, au moment d'être conviée dans une salle pour rencontrer ses instructeurs, dont celui même à qui elle avait dit non deux ans plus tôt, elle ne souhaitait qu'on la soulage le plus rapidement possible de la pression pesant sur ses épaules.
« Quand je suis entrée dans la pièce, ils voulaient s'assurer que cette fois-ci, j'étais là All in. Je leur ai dit que oui, qu'il n'y avait rien au monde que je voulais plus que ça. »
Son contrat, elle l'avait. Enfin.
« Je me suis mise à pleurer. »
MLB Umpire Prospect Development Camp
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Millette quittera au milieu du mois de mars pour Clearwater en Floride afin de participer au camp des Ligues mineures tenu au complexe d'entraînement des Phillies de Philadelphie. La suite des choses lui est pour l'instant inconnue.
Elle arbitra peut-être en Arizona ou encore en Floride. À quel niveau? Elle ne sait pas encore. Chose certaine, elle se dit prête à faire les sacrifices qu'exige un éventuel appel des Majeures.
Selon les estimations dont lui ont fait part ses mentors, seuls 1 à 3 % des arbitres oeuvrant dans les Mineures parviennent à se dénicher l'un des quelque 76 emplois à temps plein dans le Show, souvent après une attente d'une dizaine d'années.
« Les personnes les plus persévérantes d'entre nous, qui ont vraiment une détermination de fer et qui sont prêtes à tout pour se rendre, elles ont quand même une chance », calcule-t-elle.
Jen Pawol, une Américaine de 47 ans qui serait sur le point de faire ses débuts dans les Majeures, prouve du moins qu'il est maintenant possible pour une femme d'y parvenir.
« C'est sûr que je vois une volonté de leur côté. Mais je ne pense pas qu'ils vont prendre une fille qui est moins bonne qu'un autre gars juste pour remplir un spot », relativise Millette, la seule des neuf femmes ayant pris part au MLB Umpire Prospect Development Camp à avoir obtenu un contrat.
« Si [Pawol] est capable d'ouvrir des portes pour celles qui sont derrière elle, ce serait incroyable. »
En attendant ce jour où elle rejoindrait peut-être son instructrice de 2019 et 2022, qui lui a d'ailleurs transmis ses félicitations récemment, Millette continuera à faire son chemin. Toujours aussi inébranlable, sa longue queue de cheval bien en évidence. Toujours.
« C'est une fierté de démontrer que je suis une fille sur le terrain de baseball. [...] Je suis fière d'être rendue au niveau où je suis et d'avoir défoncé les barrières que j'ai eu à défoncer durant ma carrière. »