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RÉSULTATS

Pier Olivier Côté sur la déshydratation : « mon corps ne voulait plus »

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« Une étoile est née! » Dans les minutes qui suivent la spectaculaire victoire par knock-out de Pier-Olivier Côté face à Jorge Luis Teron le 5 novembre 2011 au Colisée Pepsi, les commentateurs de Showtime s'emballent. Pour la première fois, ils sont des témoins privilégiés de l'explosivité d'« Apou ». Un sens du timing unique dans la riche histoire de la boxe québécoise et canadienne.

D'abord foudroyé par une combinaison gauche-droite qui lui a fracassé le nez, Teron parvient néanmoins à se relever presque instantanément, mais retourne aussitôt au plancher après avoir reçu une droite au corps et un crochet du gauche au menton. Le choc est d'une telle intensité que l'Américain alors âgé de seulement 26 ans ne remontera plus jamais dans un ring de sa vie.

Dans l'euphorie de la victoire, Côté est très vite enlacé par son entraîneur François Duguay et ses hommes de coin Sébastien Bouchard et le regretté David Whittom. Le promoteur Jean Bédard et Éric Lucas les rejoignent rapidement sur le ring, le sourire fendu jusqu'aux oreilles. Tout ce beau monde a mille et une raisons de célébrer, car le boxeur de Charlesbourg est une véritable pépite. Côté a tout ce qu'il faut pour être le dauphin de Lucian Bute chez InterBox. La relève est assurée.

Tandis que Côté se laisse emporter par l'émotion du moment et donne l'impression que tout va bien, la réalité est tout autre. À vrai dire, tout va mal. Très mal, même. Mais il a encore une fois réussi à berner tous ceux et celles qui l'admirent. Dans une piètre forme physique, Côté a été en déséquilibre pendant tout le premier round. Il est toutefois parvenu à s'en tirer grâce à ce je-ne-sais-quoi qui ne s'enseigne pas en passant sur le corps de son pauvre rival au deuxième assaut.

D'un naturel taciturne, « Apou » se transforme en animal que personne ne parvient à arrêter lorsqu'il grimpe dans l'arène. Malgré toutes les embuches, le doute ne l'envahit jamais. Sauf que cette volonté de fer a ses limites. Il ne le sait évidemment pas encore à ce moment-là, mais son duel contre Teron est son dernier devant son public, son avant-dernier tout court. Son corps est sur le point de le lâcher, meurtri à jamais par les pénibles déshydratations exigées par son sport.

Maintenant âgé de 40 ans, Pier-Olivier Côté lève le voile pour la première fois sur les raisons qui l'ont mené à abandonner la carrière dont il avait toujours rêvé. Plus de 12 ans après avoir livré son dernier combat, il raconte son histoire sans filtre, alors qu'il prépare tranquillement, mais sûrement, son retour dans la sphère publique en tant qu'entraîneur de ses trois jeunes garçons.

Pier-Olivier Côté

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Pier-Olivier Côté a 20 ans au moment où il met les pieds dans un gymnase de boxe pour la première fois. Le coup de foudre est instantané. Et les succès ne mettent pas de temps à suivre.

Il devient en effet champion canadien chez les moins de 60 kilos (132 livres), en 2006, moins de deux ans seulement après ses débuts dans les rangs amateurs. L'année suivante, il ne parvient cependant pas à défendre son titre, battu en quart de finale par l'Ontarien et futur champion Ibrahim Kamal, une défaite qu'il ne s'explique toujours pas et juge encore controversée à ce jour.

Peu importe, Côté a la vive impression qu'il dérange. Et pas rien qu'un peu. Sorti de nulle part, son éclosion bouleverse l'ordre établi. Il avait d'ailleurs profité de l'absence de Kamal en raison d'une blessure pour être sacré champion canadien. Ce dernier a repris son dû et le dossier est réglé. Certains lui font alors comprendre qu'il vaudrait mieux changer de catégorie. Et pas dans une division supérieure comme le prescrirait la logique, mais chez les moins de 57 kg (125 lb).

« C'est là que ç'a commencé, mon problème, m'a patiemment raconté Côté pendant une longue et passionnante conversation de près de trois heures tenue il y a quelques semaines dans les hauteurs du club de boxe Le Cogneur qui est situé en plein cœur du quartier Limoilou à Québec.

« Il n'y a personne qui m'a obligé, mais j'ai été fortement poussé vers ça. J'étais allé voir un nutritionniste qui m'avait dit que je ne pouvais pas descendre à ce poids-là, mais [mon entourage] m'a encouragé, m'a dit que j'étais capable, que tout le monde le faisait. J'ai comme été influencé... j'ai été naïf. Dans le fond, je n'ai pas été en mesure de mettre mon pied à terre. »

Côté se présente donc aux Championnats canadiens 2008 organisés à la fin 2007 à Richmond, en Colombie-Britannique, et remporte facilement son premier duel chez les moins de 57 kg. Il est toutefois déclassé à son deuxième par Arash Usmanee. Il est épuisé et vidé, la réalité l'a rattrapé.

« C'est comme si j'avais parlé dans le vide, vraiment, se rappelle Côté. C'est comme ça que je me suis senti. Je le répète, il n'y a personne qui m'a mis un fusil sur la tempe, mais j'avais droit à des encouragements. C'est comme si dans le temps, plus tu perdais de poids, plus tu étais hot! Mais je ne pouvais pas perdre 30 livres comme les autres, j'étais gros comme un pou. C'est comme si dans le temps, personne n'était vraiment conscient de ça. Je l'ai essayé, mais au final, ça m'a tué.

« J'avais tout mis dans la boxe. Je n'avais pas de plan B. La plupart des gens autour de moi, ils ont toujours eu un plan B : des études, un job, un job concret et payant dans lequel ils étaient bien installés. Moi, je n'ai jamais rien eu de ça. J'ai mon secondaire 5, mais pas plus. J'avais vraiment mis tous mes œufs là-dedans. C'est un peu pour ça que j'ai accepté de descendre à 125 livres. »

Côté pense ensuite naïvement que ses problèmes de poids sont enfin derrière lui lorsqu'il décide de passer chez les professionnels en 2008, mais en réalité, il n'en était pas au bout de ses peines.

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Âgé de 24 ans et pesant maintenant environ 155 livres dans la vie de tous les jours, Côté rencontre un nouveau spécialiste qui lui dit qu'il devrait se battre à 140 livres. Qu'à ce poids, il « sera fort comme ça ne se peut pas » et qu'il pourra enfin ajouter du muscle à sa frêle charpente.

Mais Côté déchante quand son nouvel entraîneur François Duguay lui annonce qu'il lui a déniché un combat à 130 livres. « Apou » lui répond qu'un professionnel lui a expliqué que ce n'est pas possible, mais Duguay est catégorique. Côté doit combattre à 130 livres ou dire adieu à son rêve.

Même s'il n'est pas officiellement sous contrat avec InterBox à ce moment-là, Côté est dans la mire de l'entreprise qui compte cependant déjà en ses rangs Benoît Gaudet (135 lb) et Jo Jo Dan (140 lb). À l'époque, InterBox ne souhaite apparemment pas avoir plus d'un représentant par catégorie, information qui a été corroborée par Duguay en entrevue téléphonique par la suite.

L'ancien promoteur Jean Bédard ainsi que l'ex-entraîneur en chef d'InterBox Stéphan Larouche ont cependant émis de grandes réserves sur cette interprétation des faits, précisant qu'ils n'ont jamais obligé un boxeur à combattre dans une catégorie qui n'était pas la sienne au fil du temps.

Cela dit, Côté sent l'étau se resserrer et plie, une nouvelle fois, comme il l'avait fait quelques années auparavant. C'est donc à 128 livres qu'il se présente sur le pèse-personne la veille de son premier combat, qu'il remporte par K.-O. Ce sont finalement ses 12 premiers duels qu'il disputera sous la limite « idéale » de 140 livres établie par le nutritionniste qui l'avait conseillé.

« Encore une fois, j'ai été obligé de prendre un trou que les autres voulaient, déplore aujourd'hui Côté. Le train ou le bateau passe. T'embarques ou t'embarques pas. Si tu le regardes aller, c'est fini. Moi, c'était mon rêve. C'était mon rêve qui se réalisait. Je voulais plus que tout le monde. Je disais oui à tout, je voulais faire plaisir à tout le monde. Mais ça ne marche pas de même dans la vie... il faut que tu penses à toi, parce que sinon, les autres vont te placer où c'est bon pour eux.

« Je devais être le seul boxeur au monde dans ce temps-là qui ne faisait pas de musculation, car je devais descendre trop mon poids. Si j'avais trop de muscles, je ne pouvais pas faire ce poids-là. Il aurait fallu que je mette mon pied à terre, mais j'étais pogné dans la roue. J'avais des bills à payer, j'avais ma fille (aujourd'hui âgée de 17 ans, NDLR) dans ce temps-là. Je ne voyais juste pas comment m'en sortir à part continuer à m'autodétruire et espérer gagner mon prochain duel. »

« C'est vraiment après son combat contre Jason Hayward (son neuvième, NDLR) où il est devenu champion canadien que j'ai bien vu que cela n'avait plus de bons sens, dit Duguay. Pier-Olivier était complètement vidé. Il l'aurait facilement arrêté au lieu de l'emporter par décision unanime.

« Mais dans ce temps-là, pratiquement personne ne parlait de préparateur physique, poursuit Duguay, qui a été formé à l'école de feu Abe Pervin. Tout le monde parlait de transformer le gras en muscles, mais Pier-Olivier n'en avait pas de gras! Il était vraiment maigre comme un clou... »

Ce n'est finalement qu'en octobre 2010 que Côté peut enfin s'épanouir chez les super-légers (140 lb) Il sent d'ailleurs que le vent est enfin en train de tourner après sa victoire contre Aris Ambriz en sous-carte du combat entre Manny Pacquiao et Shane Mosley en mai 2011 au MGM Grand à Las Vegas. Mais le soubresaut n'est que de très courte durée, le naturel revient au galop.

« Ce qui m'a sauvé et ce qui a camouflé le tout, c'est que j'étais vraiment spécial comme boxeur, affirme Côté. J'avais un punch de la mort, j'avais un timing, j'étais fait pour boxer. J'étais complètement vidé dans mes combats, mais je sortais ce qu'il fallait, le coup, pour l'emporter. »

« “Apou” avait des habiletés hors norme, ajoute Duguay. C'est l'explosion dans ses jambes qui lui permettait de dégager autant de puissance. Il aurait pu être un excellent joueur de basket, s'il l'avait souhaité. Il présentait également des résultats incroyables aux tests de Léger qu'il faisait. »

Côté dispute un dernier combat en mai 2012 à Nottingham, en Angleterre, après qu'un autre, plus important contre Mauricio Herrera, eut été précédemment annulé. Constatant qu'il était incapable d'arrêter, c'est un ami de Côté qui contactera Duguay pour lui dire qu'il faut protéger « Apou » de lui-même. Il est prêt à mourir dans le ring et c'est le triste destin qui semble l'attendre.

Mark Lloyd et Pier-Olivier Côté

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Des joggings de 15 km au milieu de la nuit, 25 rounds de sac de sable la veille d'un combat, des problèmes psychologiques après la rencontre de ses parents biologiques, son refus de consulter des spécialistes pour l'aider à régler ses problèmes… toutes ces rumeurs pour expliquer la chute de Côté sont venues à ses oreilles. À Québec, les ragots se propagent à la vitesse de la lumière.

« Je ne me suis jamais entraîné en cachette et je ne suis jamais allé courir la nuit, répond-il. J'en ai vu des psychologues et ils m'ont tous dit la même affaire. Que ce n'était pas compliqué, que je m'étais tué le corps... qu'ils ne pouvaient rien faire pour moi, que j'étais un gars normal... que ce n'était pas psychologique, que c'était physique... que le citron avait été pressé des deux bords...

« Mais j'étais tellement fort mentalement, que même avec des entraînements médiocres, quand je rentrais dans le ring, je n'avais plus de doute. Je me disais que j'étais un gagnant et un guerrier. Par contre, je ne mentirai pas, moindrement que mon adversaire avait été un vrai, je le sais que je n'aurais pas tenu la limite. J'ai vraiment été protégé tout au long de ma carrière, malgré tout. »

Cela dit, Côté ne parvient toujours pas à s'empêcher de se demander continuellement jusqu'où son talent aurait pu le mener s'il avait été capable de s'entraîner et d'évoluer dans ses conditions optimales. Il est convaincu qu'il possédait quelque chose « de spécial » pour devenir champion.

« C'est certain que j'en ai de l'amertume, ça ne part pas, reconnaît-il. J'ai été bonasse fois un million. J'ai accepté tout ça, ça n'a pas de bon sens. J'aurais aimé ça que quelqu'un se réveille. J'ai l'impression que tout le monde autour de moi s'est déresponsabilisé. Mais bon, la vie continue...

« J'ai toujours espéré un retour. C'est plus dernièrement que j'ai accepté que ça ne se ferait pas. J'ai encore des séquelles. J'ai fait des tests et même huit ans après mon dernier combat, mon corps était encore déshydraté. Mon corps a stallé là. Dès que j'ai chaud et que je m'entraîne un peu, mon corps tombe en déshydratation. Je n'ai jamais été capable de me réentraîner. Tout le monde me disait que ça reviendrait, mais ce n'est jamais revenu. Mon corps ne voulait plus. »

Mais il faut bien finir par tourner la page et c'est ce que Côté cherche fondamentalement en racontant son histoire. Tourner la page et laver sa réputation, qu'il juge entachée par les ragots.

« J'ai toujours été en recherche de solution, mais à un moment donné il faut abdiquer, conclut celui qui est aujourd'hui préposé à l'ensilage du grain pour une entreprise au port de Québec. J'ai trop usé mon corps et j'ai effectué trop de déshydratations. Il ne faut pas chercher plus loin...

« Je ne veux juste plus avoir l'air du pauvre gars qui s'est autosaboté la veille de ses combats. »

Si l'histoire de Pier-Olivier Côté demeurera toujours l'un des plus grands mystères de la boxe québécoise, le principal intéressé souhaite que son témoignage permette d'en élucider une bonne partie et que la jeune génération s'en inspire. D'autres pourraient toutefois arguer qu'il y a maintenant davantage de questions que de réponses et que le mystère est d'autant plus grand.