Une saison plus noire que rose chez Alpine
Pendant que les projecteurs, pour les bonnes et les moins bonnes raisons, sont rivés sur Red Bull depuis le début de la saison, à l'arrière du peloton, une écurie est probablement bien heureuse que l'attention ne soit pas encore dirigée vers elle.
Il faut dire que les essais hivernaux laissaient présager un début de saison difficile pour Alpine, et les deux premiers Grands Prix de la saison ont confirmé les craintes.
Bien que la saison soit encore très jeune, le constat est implacable pour Alpine lors des deux premières semaines de la campagne. Aucune présence en Q2, aucun point, un abandon après seulement un tour pour Pierre Gasly en Arabie Saoudite, si bien que ce dernier pointe au 21e rang du classement des pilotes... dans un championnat qui en compte 20.
Comment a-t-on pu se rendre là chez Alpine? Petit résumé de la situation au sein de l'écurie française.
Une voiture avec plusieurs faiblesses
Évidemment, au cœur des contre-performances d'Alpine, on retrouve la nouvelle voiture, la A524.
Avec une voiture complètement revue pour la saison 2024, l'écurie a besoin de temps afin de comprendre le nouveau concept. Sauf que pour apporter les correctifs nécessaires, il faut d'abord comprendre les problèmes.
Le point principal, c'est le manque d'adhérence générée par la monoplace. C'est d'ailleurs ce qu'expliquait Pierre Gasly au terme des essais hivernaux à Bahreïn, estimant que « du côté du châssis, nous n'avons tout simplement pas l'adhérence dont nous avons besoin pour être compétitifs ».
C'est un problème important, puisqu'Alpine a justement besoin d'un excellent châssis pour espérer être compétitive. Pourquoi? Parce qu'on sait depuis déjà plusieurs années que l'unité de puissance conçue par les Bleus est la moins puissante du plateau. On estime d'ailleurs le déficit de puissance à environ 30 chevaux sur les moteurs de Ferrari, Mercedes et Honda.
Avec le gel du développement des moteurs jusqu'en 2026, il n'y a donc rien à faire pour Alpine sur ce plan. On doit s'en contenter jusqu'à la nouvelle réglementation qui arrivera dans deux ans. La FIA et Alpine avait même tenté de permettre un rattrapage lors de la dernière saison, mais faute de l'accord de toutes les écuries, ce privilège n'avait pas été accordé.
C'est pourquoi la confection d'un châssis performant est aussi importante. Celui-ci doit en quelques sortes compenser le manque de puissance du moteur français.
Finalement, ajouter à tout cela le poids de la voiture qui pose lui aussi problème. L'A524 est l'une des voitures les plus lourdes du plateau, ce qui peut lui faire perdre quelques dixièmes ici et là. La livrée principalement noire, ce n'est pas une décision esthétique. Alpine, comme d'autres écuries d'ailleurs, a pris la décision de mettre le moins de peinture possible sur la carrosserie afin de sauver un peu de poids, d'où les couleurs beaucoup plus sombres que lors des dernières années.
Bref, l'A524 manque de puissance, est trop lourde, et a d'importants problèmes d'adhérence. Ce n'est donc pas vraiment surprenant, dans ce contexte, de voir les résultats de l'équipe présentement.
Si on ne pourra rien faire pour le moteur, Alpine va espérer pouvoir régler plusieurs enjeux avec des évolutions au cours des prochaines épreuves. On a vu comment McLaren a pu s'améliorer en cours de saison l'an dernier. Un tel revirement de situation est unique, mais Alpine peut certainement s'en inspirer pour garder espoir d'un retour en milieu de peloton.
Une écurie en quête de leadership
Toutefois, il n'y a pas qu'en piste qu'Alpine cherchera à s'améliorer. L'écurie a également besoin d'un plus grand leadership au sein de sa direction. Disons qu'au cours des dernières années, plusieurs décisions ont fait couler beaucoup d'encre.
Je pense d'abord et avant tout à l'affaire Oscar Piastri. Rappelez-vous, lors de la saison 2022, l'écurie française avait une décision à prendre : prolonger le contrat de Fernando Alonso, ou promouvoir le plus bel espoir de sa filière, Oscar Piastri. Devant l'indécision d'Alpine, les deux pilotes se sont alors tourné vers d'autres options, soit Aston Martin pour Fernando Alonso et McLaren pour Piastri. Une catastrophe pour Alpine qui perdait alors les services d'un double champion du monde et de l'une des recrues les plus attendues depuis plusieurs années en F1.
Avouons-le, voir l'équipe alors dirigée par Otmar Szafnauer annoncer le contrat de Piastri pour que le pilote fasse ensuite une sortie sur Twitter pour démentir le tout était assez unique... et donnait une image peu professionnelle.
D'ailleurs, on peut se demander si ce n'est pas à ce moment que Szafnauer a commencé à perdre un peu de crédibilité au sein du groupe Renault-Alpine.
Chose certaine, le directeur de l'écurie s'est rapidement retrouvé sous forte pression après un début de saison 2023 en deçà des attentes. Le PDG d'Alpine, Laurent Rossi, avait alors qualifié d'inacceptable et d'amateurisme les performances et l'état d'esprit de son équipe. Disons simplement que ce n'était pas un grand vote de confiance envers Szafnauer.
Finalement, Rossi et Szafnauer auront tous les deux perdu leur emploi en juillet, à une semaine d'intervalle. Leur départ était accompagné de ceux du directeur sportif de l'écurie, Alan Permane, et du responsable technique, Pat Fry. D'ailleurs, Fry et Sfaznauer ne se sont pas gênés pour ensuite critiquer leurs supérieurs chez Alpine, estimant qu'ils ont manqué de patience et qu'ils n'ont pas l'ambition qu'il faut pour faire mieux que le quatrième rang des constructeurs.
Cette vague de départs s'est ensuite poursuivie après le premier Grand Prix cette saison. Le directeur technique Matt Harman et le directeur de l'aérodynamisme Dirk de Beer ont tous les deux dû faire leurs valises, alors que Bob Bell, lui, a pris le chemin d'Aston Martin.
Bref, on comprend facilement que tous ces changements dans des postes clés de l'écurie n'ont certainement pas aidé au développement de la voiture et à la vision de l'écurie.
Le défi du nouveau directeur de l'écurie, Bruno Famin, sera maintenant d'assurer une stabilité chez Alpine. Pour pallier au départ de Harman, l'écurie fera maintenant confiance à trois directeurs techniques : un pour l'ingénierie, un pour l'aérodynamisme et un comme directeur de la performance. Famin espère ainsi une vision hiérarchique dans l'écurie plus horizontale et moins verticale afin de favoriser la créativité et la collaboration. Espérons pour Alpine que ce soit le cas, et qu'on n'en profitera pas pour se blâmer l'un l'autre comme ce fut trop souvent le cas au sein de l'écurie.
Alpine, avec Famin aux commandes, aura besoin d'une direction claire et d'un leadership fort pour se donner les moyens de ses ambitions. Sinon, on commence déjà à entendre au loin des rumeurs de vente. Surtout qu'on sait qu'un certain Andretti cherche une façon de faire son entrée en F1 au cours des prochaines années…
Ce sera donc intéressant de voir comment Alpine parviendra ou non à renverser la vapeur au cours de la saison, mais pour l'instant, il ne faut pas s'attendre à de miracles en Australie, dans un week-end qui nous gardera éveillés jusqu'aux petites heures du matin. RDS vous présentera la séance de qualifications dans la nuit de vendredi à samedi à minuit 30, et la course dès 23 heures 30 dans la nuit de samedi à dimanche.