Par Pierre Houde - On m’a souvent demandé quelle était la principale reconnaissance que recevait le Grand Prix de Formule 1 du Canada dans les cercles du Championnat du monde. On sait tous que les pilotes et les membres des écuries aiment l’événement pour sa chaleur, sa convivialité, la passion des spectateurs, la beauté unique de Montréal, la proximité du circuit avec les attraits de la ville, etc. Personnellement et bien que j’endosse totalement les qualités précédentes, j’ai souvent étiqueté notre GP comme étant « la police d’assurance absolue pour la présence de la F1 en Amérique du Nord ».
Depuis 1967, le GP du Canada ne s’est absenté du calendrier qu’à trois reprises, il est présenté sur le même terrain depuis près de 40 ans et il a su traverser les tempêtes, grosses et petites, avec créativité, résilience et respect et ce, de la part de toutes les parties impliquées, autant dans son organisation que dans son déroulement. Bref, il est d’une stabilité remarquable en faisant partie, intégralement, de près des trois quarts de l’histoire du Championnat du monde.
Au cours de cette même période, la F1 a tenté de s’implanter solidement aux Etats-Unis. On a même voulu profiter, deux fois par saison plutôt qu’une, de l’ampleur du marché américain en tenant des épreuves dans l’est et dans l’ouest du pays. Le bilan demeure, à ce jour, absolument navrant, à commencer par 13 années d’absence aux USA depuis 1991! Pas moins de 10 endroits auront été le théâtre des Grands Prix, dont cinq circuits permanents (en y ajoutant la piste adaptée d’Indianapolis et celle d’Austin). On n’a jamais réussi à trouver le moindre signe de stabilité, outre les 20 courses à Watkins Glen, de 1960 à 1980, une époque où les standards de sécurité étaient à des lunes de ce qu’ils sont aujourd’hui.
Bien sûr, les superbes infrastructures d’Austin, au Texas, représentent une lueur d’espoir sérieuse pour la F1 d’être enfin « logée » convenablement en sol américain. Mais dès le retour du GP du Mexique, en 2015, on a commencé à entretenir de sérieux doutes sur la capacité des organisateurs à survivre à cette nouvelle concurrence, d’autant plus que les cordons se sont resserrés autour de la bourse contenant l’argent public.
À mesure que Bernie Ecclestone cherchait à satisfaire l’appétit insatiable du groupe financier auquel il avait cédé son empire (CVC Capital) et qu’il réussit à pratiquement imposer le développement de sites complètement démesurés comme Yas Marina à Abou Dhabi, le circuit de Shanghaï en Chine ou l’extravagance d’un événement nocturne dans les rues de Singapour, l’Ile Notre-Dame et le circuit Gilles-Villeneuve pouvaient sembler perdre leurs lettres de noblesse à grande vitesse. Des commentaires aussi insensés que puérils comme ceux de Flavio Briatore, à propos des toilettes dans les paddocks, il y a quelques années, ont fait le tour du monde, pour les mauvaises raisons!
La passion des gens
Mais toute la démesure du monde et tous les caprices des petits rois à la Flavio ne sauraient jamais remplacer la vraie force derrière la longévité du Grand Prix du Canada. Depuis qu’il s’est installé en permanence sur l’Ile Notre-Dame, en 1978, l’événement de chez nous est d’abord et avant tout l’affaire des gens… de chez nous! Je parle de gens dont la passion et l’engagement total ont su non seulement maintenir la présence du GP sur une période aussi longue mais aussi à le faire grandir à l’intérieur de paramètres profitables et convenables sur le plan socio-économique.
Je parle des dirigeants de l’événement et de leurs petites équipes de permanents qui se sont passé le témoin depuis 40 ans. Je parle de la passion et de l’engagement de l’armée de bénévoles qui partagent généreusement leur compétence et donnent de leur temps précieux, sans même parfois voir une seule monoplace en piste. Je parle de la passion des restaurateurs, hôteliers, commerçants qui déploient des efforts supplémentaires pour que Montréal soit encore plus accueillante pour tous les visiteurs. Je parle de la passion des femmes et des hommes qui représentent les divers paliers de gouvernement qui ont su, au-delà de la partisannerie politique, reconnaître les retombées du GP mais qui se sont assuré d’y investir l’argent du public de façon responsable.
Je parlerai surtout de la passion de ceux qui, au fond, sont les vrais artisans des 50 ans de F1 au Canada : les dizaines de milliers de spectateurs qui remplissent les gradins, à chaque année! Si la période plus « folklorique » de la première décennie était surtout l’affaire des amateurs purs et durs, qui allaient admirer les monoplaces et leurs pilotes dans les prés de Mosport et de Mont-Tremblant, celle des 40 dernières années a été celle d’un public beaucoup plus large, public d’abord attiré par la présence de Gilles Villeneuve dès le premier GP à Montréal et littéralement soulevé par la conquête de Jacques en 1997.
À la longue liste de moments merveilleux qui ont attisé cette passion des spectateurs, il y eut aussi un moment magique où ces mêmes spectateurs passionnés ont retourné un message d’une puissance gigantesque à l’univers de la F1. Un message qui a soudainement bien fait pâlir la splendeur des installations plus modernes d’ailleurs et qui a probablement fait rager de jalousie les organisateurs de ces mêmes événements. Je parle du Grand Prix du Canada de 2011, celui du déluge, celui que les officiels de la FIA ont bien failli interrompre pour de bon après 24 tours.
Le monde entier, dont le public européen aux heures de grande écoute le dimanche soir, a été témoin d’un véritable cri du cœur des amateurs présents au circuit alors que des milliers et des milliers d’entre eux sont restés à leur siège, pendant toute l’interruption d’environ deux heures, bravant les trombes d’eau et le vent violent, souvent sans imper et sans parapluie, espérant revoir les pilotes et les bolides reprendre la course et admirer un vainqueur « en règle ». Les téléspectateurs de toute la planète ont vu le dévouement immense des travailleurs de piste qui, avec acharnement, ont forcé l’évacuation de l’eau sur la piste. Pendant 120 minutes consécutives, ce ne sont pas les bolides et les pilotes qui furent les vedettes du spectacle. Ce sont les gens d’ici, dans les gradins et sur la piste, qui ont ébloui le monde entier et qui ont forcé les décideurs à étirer leur patience jusqu’à limite, menant finalement à la reprise sécuritaire de la course qui, du reste, fut rien de moins que spectaculaire!
Il s’agissait, pour moi, du sceau d’approbation absolu sur les 50 ans d’histoire de la F1, au Canada!