MONTRÉAL – Alexis Lafrenière est frustré.
L’équipe qui représentera la région des Laurentides aux Jeux du Québec vient de tenir un dernier entraînement avant le départ pour Drummondville. À quelques jours du début du tournoi, l’attaquant Christopher Piché s’est fracturé une cheville. En catastrophe, des démarches sont entreprises pour trouver un remplaçant.
Voilà ce qu’il aura fallu pour qu’on veuille de lui. Les mêmes personnes qui avaient pris la décision de l’écarter de l’équipe aimeraient maintenant qu’il prépare son équipement et qu’il soit au rendez-vous le lendemain pour le départ en autobus. À 13 ans, son orgueil est mis en échec.
« On a travaillé fort pour le convaincre de venir, admet Tomi Paiement, qui était entraîneur-adjoint au sein de la délégation. Parce qu’honnêtement, au début, il ne voulait pas. »
« C’est sûr qu’il y avait de la frustration, reconnaît son ami Nathan Légaré. Pour la première fois de ta vie, tu te fais couper, tu n’es pas choisi dans une équipe. Et puis tout d’un coup, tu te fais appeler. La veille, ils n’avaient pas besoin de toi et puis là, t’es quasiment indispensable. Ça se peut que ça ne te tente pas trop d’y aller. »
« On était dans le vestiaire, moi, Martin [Daoust, l’entraîneur-chef] et les représentants de la région, poursuit Paiement. On a débattu un peu. On avait ciblé deux ou trois joueurs. C’est là que j’ai tout mis ce que j’avais sur la table pour dire qu’il fallait qu’Alexis vienne. Je croyais en lui et je savais qu’il avait un beau potentiel. »
« Quand on a su qu’Alexis allait finalement remplacer, on était tous content, se souvient Félix Lafrance, un autre complice d’enfance. On savait de quoi il était capable, mais on dirait que ça lui avait donné un boost. Se faire ignorer, il faut croire que ça l’avait motivé parce qu’à ce tournoi-là, il avait été vraiment fort. »
« Il est arrivé comme dixième attaquant et il a fini dans notre top-3 », résume Paiement.
« C’était notre meilleur joueur », reprend Lafrance.
« Cette fois-là, il a dit à son père : ‘Papa, plus jamais on ne me prendra pas pour un tournoi comme celui-là’ », affirme Mathieu Paradis, qui le dirigeait au niveau Bantam.
« Il n’est pas rentré dans le bureau en disant ‘Je me suis fait couper, plus jamais ça va m’arriver’, soutient pour sa part le préparateur physique Stéphane Dubé. Ce n’est pas un kid qui vit dans le négatif. Il va garder ça pour lui. Mais la qualité numéro un d’Alexis, sa plus grosse force, c’est sa soif de compétition. C’est un jeune qui carbure aux challenges, aux défis. Ça, c’est inné en lui. Alors le fait de ne pas se faire sélectionner, ça a juste mis de l’huile sur le feu. Fuel to the fire, si tu veux. Pour moi, ça a été le déclic. »
« Chaque fois qu’il était sur la glace dans ce tournoi, il menait le jeu, n’a pas oublié Martin Daoust. Il n’était pas aussi dominant qu’il allait l’être dans le Midget AAA et le Junior majeur, mais ça a été le début de son ascension, je dirais. »
« Je pense que c’est là que l’histoire d’Alexis Lafrenière a commencé », retrace Nathan Légaré.
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Lafrenière, qui est aujourd’hui unanimement identifié comme le meilleur joueur junior au monde, n’a pas toujours été inclus dans l’élite de son groupe d’âge. En fait, avant l’âge de 14 ans, il n’avait même jamais été considéré comme le meilleur joueur de sa propre équipe.
« Si son entraîneur Pee-wee t’a dit qu’il savait tout de suite qu’il allait devenir le premier choix du repêchage de la LNH, ce gars-là t’a menti, tranche Stéphane Dubé. On va se le dire : Pee-wee, Alexis était un bon joueur de hockey, mais comme plein d’autres joueurs au Québec. »
« On avait un bon noyau de joueurs, mais aucun n’était outstanding, tente d’expliquer Gino Jacques, qui a été jusqu’en 2014 le directeur technique des Seigneurs des Mille Iles, la structure dans laquelle Lafrenière a cheminé au hockey mineur. Alexis, c’est pas un gars qui a rempli le filet avec 50, 60 buts dans le Pee-wee. Il avait des statistiques ordinaires. C’était un bon joueur dans un bon noyau de joueurs, sans plus. »
« Tu sais, 99% des joueurs exceptionnels comme lui le sont depuis le novice. Lui, ça n’a pas été le cas », corrobore Ramzi Abid, un ancien joueur de la Ligue nationale qui supervise depuis sept ans la progression de Lafrenière dans son rôle d’entraîneur à l’Académie de hockey Joël Bouchard.
À l’été 2014, quelques mois avant son rejet catalyseur aux Jeux du Québec, Tomi Paiement et Mathieu Paradis se réunissent pour jeter sur papier les noms qui constitueront la formation des Seigneurs Bantam AAA pour la saison à venir.
Le début de l’exercice ne génère aucun débat. Lafrance, le meilleur pointeur du Pee-wee AAA l’année précédente, et Légaré, qui avait été appelé à quelques reprises comme joueur affilié, sont tout de suite identifiés comme des valeurs sûres. Thomas Lacombe, un autre attaquant, s’ajoute au groupe. À la défense, Christopher Merisier-Ortiz est un choix logique. Lorsque l’équipe est complétée, sept joueurs de première année sont sélectionnés au sein du programme d’élite de la couronne nord de Montréal.
Mais ils ont failli être six. Au moment des décisions finales, un garçon de St-Eustache fait tanguer les deux entraîneurs. On lui reconnaît certaines qualités, la plus évidente étant son habileté à manier la rondelle. Mais les lacunes sont nombreuses.
« Il a toujours eu les skills, atteste Lafrance, qui joue aujourd’hui pour les Eagles du Cap-Breton. Déjà à cet âge-là, Alexis était très stylé. Mais c’est plus tard dans son développement que le patin est arrivé. »
« Nous, on trouvait qu’il avait de la misère un peu à prendre sa place, plaide Mathieu Paradis. Il était petit, il était frêle. C’était ce côté-là qui nous faisait peur un peu. Mais un gars nous avait parlé de son intelligence, de sa compréhension du jeu. Il disait qu’il avait rarement vu un Pee-wee comprendre la game de même. Il nous disait : ‘Un jour, ce gars-là va prendre le dessus sur bien d’autres gars’. Honnêtement, on ne comprenait pas trop ce qu’il voyait. On trouvait ça bizarre de la manière dont il nous en parlait. Finalement, ce gars-là n’avait pas tort. Il avait plutôt vraiment raison. »
Ce regard extérieur est celui de Gino Jacques, qui avait terminé la saison précédente derrière le banc de l’équipe Pee-wee des Seigneurs.
« Je leur avais dit : ‘Les gars, son père mesure 6 et 4, il a les bras qui descendent jusqu’aux genoux’. Alexis portait déjà des longs patins, il avait de grands pieds. J’avais dit : ‘Ce gars-là va se développer. Il ne faut pas l’abandonner’. »
« On savait quand même que ces trois gars-là – Alexis, Félix et Nathan – avaient un edge et on voulait travailler avec eux sur une période de deux ans, précise Tomi Paiement. Donc c’est là qu’on s’est dit : ‘Ne choisissons pas nos attaquants selon un classement de 1 à 9. Ces trois gars-là, je les voulais pour deux ans. Je voulais pouvoir les développer. C’est là qu’on a sélectionné Alexis. »
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« Première année Bantam, il n’y a personne qui aurait pensé qu’il deviendrait ce qu’il est devenu aujourd’hui, réitère Mathieu Paradis. Ceux dont on entendait parler, c’était Parent et Poulin. »
À sa première année Bantam, avec les Conquérants des Laurentides, Xavier Parent avait récolté 49 points, deux de moins que le meilleur marqueur de la Ligue. Samuel Poulin en avait obtenu 24 en 30 matchs. L’année suivante, à seulement 14 ans, les deux deviennent coéquipiers avec le Phénix du Collège Esther-Blondin de la Ligue Midget AAA.
Lafrenière, lui, termine sa première année Bantam avec 19 points en 27 matchs.
« Des fois, je vois des articles qui me font sourire, note Ramzi Abid. On prend Alexis en exemple parce qu’il n’a pas été surclassé à 14 ans. Mais ça n’a jamais été une question à l’époque. »
« Son trio au complet a connu des difficultés dans les premiers mois de cette première année, développe Tomi Paiement. Les gars avaient plus d’opposition. Les joueurs étaient plus gros, plus physiques, tout arrivait plus vite. Alexis n’avait pas le même gabarit qu’il avait même l’année suivante. Il était beaucoup plus petit, il ressortait moins et il trouvait ça dur. On a beaucoup travaillé ensemble sur sa constance. On essayait de faire en sorte qu’il soit moins craintif. »
« Le knock, c’était son jeu physique, approuve Abid. C’était un joueur talentueux, mais son niveau de compétition dans les situations difficiles devait s’améliorer. »
Au retour des Jeux du Québec, où l’éclosion de Lafrenière n’avait pu aider les Laurentides à faire mieux qu’une huitième place, les signes d’une métamorphose deviennent plus concrets.
« Je n’avais pas vécu d’adversité tant que ça avant ce moment, a répondu Lafrenière dans un échange de courriels avec RDS. Lorsque je me suis fait appeler pour remplacer un joueur blessé, je me suis dit que je n’allais pas jouer le jeu des comparaisons et que j’allais me concentrer sur mon rôle, jouer ma game et par le fait même prouver que j’avais ma place. J’ai gagné en confiance et cette expérience m’a fait réaliser que lorsque j’adopte une attitude positive et que je travaille fort, je peux contrôler mon sort. »
« Il a bien fini l’année après ça, relate Tomi Paiement. Il était beaucoup plus constant, tu voyais qu’il était beaucoup moins craintif également. Il avait pris beaucoup de confiance. »
« On a une ligue de hockey 3-contre-3 qu’on gère depuis dix ans, une ligue en espace restreint qui se déroule d’avril à juin, dit Abid. Après sa première saison Bantam, c’est là qu’on s’est dit : ‘Oh my God!’. Je regardais tout le monde et je leur disais : ‘C’est pas le même Alexis’. »
« Je crois que durant cet été-là, il s’est entraîné plus que jamais, avance Paiement. Selon ce qu’il me disait, il shootait à peu près 500 pucks par soir. Il n’y a rien qui l’arrêtait. »
« Loin de mon intention de prétendre que c’est le résultat du travail qu’on a fait avec lui hors-glace, prévient Dubé. C’est un ensemble de facteurs. D’un point de vue physique, il a maturé. Il a commencé à prendre plus de force, à être plus explosif. La croissance a embarqué là-dedans. »
« Les recherches prouvent qu’au niveau Pee-wee, les jeunes joueurs atteignent un âge crucial par rapport à leur développement psychomoteur, explique Martin Daoust. Mais ça peut être plus tard aussi. La motricité fine se développe entre l’âge de 7 et 15 ans. Pour certains, c’est plus 7-8. Alexis, ça a été 13-14. Chaque individu est différent. Ce n’est jamais un facteur isolé qui teinte le développement. Les émotions, la famille, la croissance osseuse et musculaire, le système aérobique, anaérobique, tout ça y est pour quelque chose. La beauté, c’est qu’il n’y a pas de modèle unique pour tout le monde. »
« Et c’est quelqu’un qui a toujours aimé s’entraîner, enchaîne Dubé. Il aime tout ce qui vient avec la game. Il aime jouer, pratiquer, s’entraîner. Pour lui, être dans le gym à 12 ans, c’était le bonheur. Des fois, ce sont les parents qui sont crinqués. Mais là, c’est le kid qui voulait ça. »
« C’est de ça qu’on s’est rendu compte aussi : il a besoin d’être sur la glace, ajoute Paiement. J’entendais son coach junior le dire l’autre jour et ça m’a rappelé des souvenirs parce qu’il était pareil au niveau Bantam. Tu ne pouvais pas le sortir de la glace. Des fois, on menait par un gros pointage et je voulais faire jouer un peu plus ma troisième ligne. Il avait de la misère à comprendre ça. Lui, il voulait être sur la glace tout le temps. »
« Il est arrivé au camp pour sa deuxième année et il y a eu un clash incroyable sur les autres joueurs. Il avait l’air d’un adulte qui jouait avec des enfants », illustre le coach.
« Il avait l’air d’un extraterrestre sur la patinoire, revoit Légaré. Il était vraiment comme il est en ce moment. Il dominait. »
« À partir de ce camp d’entraînement, identifie Abid, il n’a plus jamais regardé en arrière. »
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« Moi, au début de ce camp d’entraînement-là, je n’étais pas là, raconte Mathieu Paradis. J’étais parti suivre mon stage HP1 pour avoir mes cartes d’entraîneur. Mais j’étais en contact avec Tomi et un soir, il me dit : ‘Mathieu, attends de voir Lafrenière, tu vas capoter’. Je me disais qu’il exagérait. J’avais vu Alexis quelques mois plus tôt. Il était bon, mais... ‘Tu ne comprends pas, insistait Tomi. C’est un joueur complètement différent’. Et comme de fait, quand je suis revenu et que j’ai commencé à l’observer, je me suis dit qu’on était ailleurs. »
Cette année-là, les Seigneurs commencent leur saison avec le Défi AAA, un tournoi organisé à l’aréna Jean-Béliveau de Longueuil.
« On avait vu quelques flashes dans les matchs hors-concours, mais c’est vraiment à ce premier tournoi qu’on a compris ce qu’on avait sous la main, continue Paradis. À part la finale qu’on avait gagnée 5-2, toutes nos victoires avaient été des dégelées. Alexis jouait avec Légaré et Lafrance. Je crois qu’il avait fait 15 points en six matchs. Sa ligne au complet en avait ramassé pas loin de 30. »
« On avait fini avec quelque chose comme 24 points en six matchs, corrige Légaré. C’est vraiment là qu’on a écarquillé les yeux de tout le monde. »
« Dès le tournoi suivant, quand on disait qu’on représentait les Seigneurs des Milles Iles, on se faisait automatiquement répondre : ‘Ah, c’est vous autres, l’équipe de Lafrenière’. Déjà, à ce moment-là, tout le monde le connaissait », constate Paradis.
« J’ai pris ma retraite du hockey mineur quand Alexis est passé de Pee-wee à Bantam, lance Gino Jacques. Je ne l’ai pas vu jouer du tout à sa première année Bantam. L’année suivante, les Seigneurs venaient jouer à Mirabel, près d’où j’habite, et on m’avait appelé pour me suggérer d’aller faire un tour. ‘Va voir Alexis jouer’, qu’on m’avait dit. Ça faisait un an et demi que je n’étais pas allé à l’aréna. Quand le match a commencé, je ne l’ai jamais reconnu sur la glace. »
« Il avait un aplomb, une assurance. Ses batailles, il ne les gagnait plus seulement avec ses mains. Sa lecture du jeu, sa prise de décision, il y avait une dominance dans ses actions. Et il avait pris tellement de vitesse. Tu en vois toujours, des athlètes qui se développent sur le tard. Lui, c’en est un. »
« Je me rappelle d’une conversation que j’avais eue avec Martin Daoust, qui était devenu le coach des Vikings de St-Eustache, dans le Midget AAA, ajoute Stéphane Dubé. Alexis venait s’entraîner avec son équipe et Martin me disait : ‘Je ne peux pas croire que le meilleur joueur que j’ai pour pratiquer, c’est celui que je ne peux pas mettre dans mon lineup’. »
À leur titre décroché à Longueuil, les Seigneurs ajoutent cette année-là les tournois de Sherbrooke et LaSalle, la Coupe des champions, les championnats régionaux et finalement les championnats provinciaux, où ils soulèvent la Coupe Dodge. La seule compétition qui leur échappe est le tournoi de Granby, où ils gaspillent une avance d’un but en demi-finale après l’expulsion de Lafrenière pour une mise en échec par derrière.
« Alexis, dans les tournois, si on avait besoin d’un but, il allait le marquer ou il créait le jeu qui nous permettait de le marquer. Il a toujours été un joueur clutch. C’est comme ça que je pourrais le décrire », réfléchit Félix Lafrance.
« On dirait qu’il avait une faim d’aller chercher le point qui allait faire gagner son équipe, confirme Tomi Paiement. Une faim d’aller vraiment ‘performer’ dans les moments clés. Ça a été ça pour nous. En saison, incluant les tournois, on a été 58-8-8. Ça a été notre fiche finale cette année-là. »
En 26 matchs de saison régulière, Lafrenière amasse 69 points, une moyenne de 2,65 par partie. La saison suivante, avec les Vikings, il éteint rapidement les théories selon lesquelles il aurait pu être un feu de paille en empilant 83 points en 36 matchs.
« Son niveau de confiance était très élevé, se rappelle Martin Daoust. Il aimait ça, il mangeait du hockey. C’était la continuité de ce qu’il avait commencé Bantam. Tout était naturel et il n’a jamais vécu de creux de vague. Des performances toujours au-dessus de la moyenne et de façon très constante. Ça a été une continuité en ascendance. »
« Je me rappelle d’un match, on jouait contre Lac St-Louis, une grosse équipe, dit Félix Lafrance. On était stressé, c’était un match important. Il fallait qu’on gagne. Il avait fini avec trois buts, trois passes. Une balade dans le parc. »
« On était là pour le dernier match de la saison, partage Mathieu Paradis. Il avait fait un jeu qui m’a marqué. Pendant qu’il regardait dans les estrades, comme dans notre direction, il avait fait une passe de l’autre bord à un gars qui était devant le filet. On s’est tous regardé comme pour se dire : ‘Mais comment il a fait pour voir ce joueur-là?’. »
« Si je repense à notre saison Midget AAA, j’en ai manqué des buts parce que je me disais que la rondelle ne pouvait pas passer à travers trois ou quatre bâtons », confesse Légaré, repêché l’an dernier par les Penguins de Pittsburgh.
« En décembre cette année-là, l’équipe nationale de la République tchèque avait loué le Centre d’excellence de Boisbriand pendant une semaine pour se préparer pour le Mondial junior qui avait lieu à Montréal, supporte Stéphane Dubé. Un beau jour, Martin et moi, on est dans les estrades pour assister à une pratique et il me dit : ‘Alexis Lafrenière pourrait faire partie de cette équipe-là. Il n’aurait pas l’air fou.’ Il venait d’avoir 15 ans. »
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Le 3 juin 2017, Alexis Lafrenière est repêché par l’Océanic de Rimouski au tout premier rang du repêchage de la LHJMQ.
« J’ai été échangé à Rimouski durant ce repêchage et c’est là que j’ai entendu parler d’Alexis pour la première fois, se souvient le gardien Colten Ellis, un natif de la Nouvelle-Écosse. Il y avait énormément de hype autour de lui et j’étais pas mal excité à l’idée de jouer avec un gars qui était considéré comme un phénomène. »
« Je connaissais un gars qui avait joué contre lui dans le Midget AAA et je lui avais demandé comment il était, dit le défenseur Charle-Édouard D’Astous. Il m’avait répondu que des fois, il y a des joueurs qui font beaucoup de points sans qu’on les voie dans un match. Alexis, ce n’était pas ça. Ses points, c’était lui qui les fabriquait. On m’avait dit que ça allait être un bon joueur et quand il est arrivé à Rimouski, on en a vite eu la preuve. »
« C’était drôle parce que lui et moi sommes arrivés à Rimouski un peu avant tout le monde cet été-là, reprend Ellis. On se tenait ensemble et on avait commencé à patiner avec quelques gars de la place. J’avais tout de suite été frappé par son talent. C’était juste du hockey libre, personne ne se prenait au sérieux, mais sans même se forcer, les choses qu’il était capable de faire avec la rondelle... c’était assez fou. »
« Je savais que c’était un premier choix au total, mais j’avais déjà joué avec [le premier choix en 2014] Luke Green et Joe Veleno, qui avait eu le statut d’exceptionnel. Moi, ça ne m’impressionnait plus tant que ça, avoue Samuel Dove-McFalls, le premier compagnon de trio régulier de Lafrenière à Rimouski. Je pensais avoir presque tout vu. J’avais joué contre [Jonathan] Drouin à 16 ans. J’avais joué avec [Thomas] Chabot, qui était déjà dans la LNH. Je ne m’attendais pas à arriver à Rimouski et trouver un joueur qui pouvait m’impressionner autant que ces gars-là. Ce n’est pas que je ne croyais pas au hype, mais je me méfiais. Je voulais juste attendre pour voir. »
Dove-McFalls est rapidement convaincu. Après quatre matchs préparatoires, Lafrenière a dix points, dont huit mentions d’aide.
« Je me rappelle du premier match hors-concours qu’on a joué ensemble. J’ai marqué sur notre premier shift et c’est lui qui m’a fait la passe dans l’enclave, de derrière le filet. On jouait avec [Alex-Olivier] Voyer, qui est rendu à Sherbrooke. On avait passé la soirée en zone offensive. C’était tellement le fun. »
McFalls poursuit : « Quelques jours plus tard, je devais partir au camp des Flames de Calgary, où j’avais été invité. Serge Beausoleil, notre entraîneur, voulait me reposer pour me donner une chance de faire belle figure là-bas. Avant notre deuxième match hors-concours, il est venu me voir et m’a dit : ‘Sam, veux-tu jouer ou non?’. J’ai répondu : ‘Tant que tu me fais jouer avec Lafrenière, je veux jouer’. »
« Comme joueur de hockey, tu le vois tout de suite quand tu joues avec ou contre une sorte de prodige. Alexis, je pense que dès son arrivée, dès les premières pratiques, on voyait qu’il était extrêmement talentueux. Mais pour être franc, je ne pense pas que personne ne s’attendait à ce qu’il touche le plateau des 70-80 points cette année-là », suggère Voyer.
« L’année d’avant, on avait fini 16e au classement général. On avait fait les séries par la peau des fesses. Au retour, on savait qu’on avait Alexis, mais je ne pense pas que personne s’attendait à ce que son impact soit aussi important à l’équipe », endosse D’Astous.
« Faut se rappeler que cette année-là, on avait fini troisième dans la Ligue, insiste Voyer. On ne perdait pas souvent et ‘Laf’, même à 16 ans, il traînait l’équipe comme il l’a fait dans les deux années suivantes. »
« Je me rappelle d’un match contre Blainville en novembre, dit Ellis. L’Armada avait la meilleure équipe de la Ligue cette année-là. On les avait battus 5-3 au Colisée et Alexis avait fini le match avec quatre buts. Il en avait marqué trois juste en troisième période. »
« Je suis pas mal sûr que c’est à son année 16 ans, on jouait contre Shawinigan, se remémore D’Astous. C’était direct en avant de notre banc, Alexis n’avait pas trop de vitesse et il avait un défenseur sur lui. Je te le dis, il l’a déculotté deux fois de suite. Genre, il avait passé la rondelle entre les patins du gars, puis rendu devant lui, il l’avait fait une deuxième fois. Ça a été un moment marquant pour moi. On dirait que ça nous a encore plus ouvert les yeux sur son talent, comment il pouvait être bon. »
« En zone offensive, il fallait juste que tu lui donnes la rondelle et que tu te démarques, il allait te trouver, simplifie Dove-McFalls. Tu ne pouvais pas lui faire une mauvaise passe. C’est le genre de gars, tu lui fais une passe dans les patins et il va être capable d’en faire la réception sans perdre de vitesse. »
« C’est un joueur qui patine, qui a des mains, qui aime contrôler la rondelle. Des fois, en zone offensive, tu ne sais pas trop où aller parce que tu ne sais jamais ce qu’il va faire avec la rondelle. Tu essayes juste de ne pas te mettre dans ses pattes. Tu te dis que tu vas lui nuire plus qu’autre chose », tente d’expliquer Cédric Paré, le joueur de centre de Lafrenière la saison dernière.
« Il n’y avait pas un gars comme lui dans la Ligue, capable d’en faire autant avec la rondelle. C’est un magicien, quasiment », s’épate encore D’Astous.
« Les gens à Rimouski en avaient vu d’autres et personne ne s’attendait à ce qu’il soit un nouveau Vincent Lecavalier. Mais les chiffres ont commencé à parler d’eux-mêmes, expose Voyer. Au début, la pression n’était pas vraiment là, mais plus la saison avançait, plus on entendait des comparaisons. Il y avait une pression sur Alexis et je me rappelle je trouvais ça incroyable comment il était capable de dealer avec ça. C’était juste naturel pour lui. On dirait qu’il ne s’en faisait pas. »
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Ce qui ne veut pas dire que Lafrenière l’a toujours eu facile. Après une saison de 42 buts qui allait lui valoir le titre de recrue offensive par excellence de la LHJMQ, l’Océanic est opposé aux Wildcats de Moncton en première ronde des séries éliminatoires.
« Il y avait un joueur – un rat, on va le dire – qui le suivait partout sur la patinoire. C’était un genre de Sean Avery. Dylan Seitz, qu’il s’appelait », présente Dove-McFalls.
« Ça il l’avait trouvé tough, confirme D’Astous. Tu as 16 ans, tu peux tout faire sur la glace et du jour au lendemain, partout où tu vas, il y a un gars qui te suit au millimètre près. Je m’en rappelle, ça le fâchait en tabarouette. Il n’était pas de bonne humeur. C’était ça le but aussi! »
« C’était du bon coaching de l’autre bord, constate Voyer. Ils avaient trouvé une brèche dans notre système. »
« C’était clair qu’Alexis, même s’il n’avait que 16 ans, avait une cible dans le dos, illustre Ellis. C’était évident que le plan de match consistait à le menotter. Mais je pense qu’il avait quand même fini la série avec une moyenne d’un point par match. »
« Le premier match, ça l’avait shaké un peu, mais Alexis, c’est un joueur super intelligent, rappelle Voyer. À partir de là, Serge et lui avaient convenu que si Seitz était sur lui, Alexis avait juste à aller sur un autre joueur de Moncton pour créer un surnombre. Ça avait marché une couple de fois sur deux ou trois buts. [...] Dans le deuxième match, il avait même marqué le but gagnant en prolongation à Rimouski. On revoit souvent sa célébration, quand il avait plongé au milieu de la glace. Le Colisée était enflammé, c’était un moment spécial. Qu’il réussisse à faire ça, à 16 ans, ça en disait gros. »
« Cette série a été très difficile, convient aujourd’hui Lafrenière. Tout ça m’a fait grandir, c’est certain. Je n’avais jamais vécu ce genre de situation auparavant. Mais je sais que le but était de m’enlever de l’espace et tester ma patience. J’ai tenté du mieux que je pouvais de trouver des solutions, mais ce n’était pas facile. Ça fait partie de la game et c’est quelque chose qui est maintenant dans mon bagage d’expérience. »
« À 17 ans, quand d’autres joueurs essayaient de lui faire la vie dure, il réglait ses problèmes lui-même, poursuit D’Astous. Alexis n’est pas le plus physique, mais il peut donner des bons coups d’épaules. Une fois, un gars de Shawinigan voulait brasser un peu et c’est Alexis qui était allé s’en occuper lui-même. Le gars, on ne l’avait plus revu après ça. »
« Le numéro 66 des Cataractes, Senez, c’était un joueur assez sournois, identifie Voyer. Pas salaud, mais il donnait des mises en échec un peu tard, juste sur la limite. Il avait gossé Alexis dès le premier shift et à un moment donné, il était allé pour le plaquer de dos. C’était juste devant le banc de Shawinigan. Alexis avait fait comme s’il ne l’avait pas vu, mais il s’était raidi juste au bon moment et l’avait accueilli comme il se doit. Senez était sorti du match et n’était jamais revenu. Ça avait comme fait un petit statement. Sans avoir à jeter les gants comme dans le bon vieux temps, Alexis était capable de se défendre. Je me rappelle qu’on avait été impressionné. Il avait reviré le gars et s’était occupé de lui tout seul, comme un grand. »
« J’ai eu à me battre une fois pour lui, souligne Dove-McFalls. Sinon, on avait beaucoup de gros bonhommes à Rimouski cette année-là. On avait Chase Stewart, Yannik Bertrand en début d’année, Voyer aussi qui était capable. C’est sûr qu’il y avait du monde qui le cherchait un peu, mais il était capable de distribuer des bonnes mises en échec. Il était capable de se défendre lui-même. »
« Cette année, un soir qu’on jouait à Rimouski, il m’a complètement gelé dans le coin, rigole Voyer, qui a complété sa carrière junior avec le Phoenix de Sherbrooke. Même si on est des amis et qu’on avait joué ensemble, il ne s’est pas gêné! »
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Depuis maintenant cinq ans, Alexis Lafrenière est considéré dans une classe à part. Mais l’humilité avec laquelle il gère sa célébrité grandissante épate autant, sinon plus, que ses exploits sur patins.
« Il y a deux ans, les pros qui s’entraînent avec nous m’avaient dit de mettre ‘Laffy’ dans leur groupe, raconte Stéphane Dubé. Je comprenais pourquoi. Ils voulaient l’aider, le pousser. Je ne sentais pas le besoin de le faire, mais j’ai voulu lui poser la question quand même, juste pour voir. Je lui ai dit : ‘Laf, si ça te tente, je vais te mettre dans le groupe de 9h’. Il y avait Charles Hudon, Cédric Paquette, Jonathan Bernier, Antoine Roussel, Alex Burrows... Il aurait eu sa place dans leur vestiaire, pas besoin de trimballer son stock à chaque jour. Il m’a répondu : ‘Si tu veux que je le fasse parce que tu penses que c’est la meilleure chose pour moi, je vais le faire. Mais si tu me donnes le choix, j’aime mieux rester avec mes chums’. Il ne voulait pas se mettre au-dessus d’eux autres. »
« C’est une des plus grandes qualités d’Alexis, affirme Charle-Édouard D’Astous. Des fois, il y a des gars qui arrivent du Midget AAA, ils ont eu une bonne saison et ils sont au-dessus de leurs affaires. Avec nous, dès le début, il a pris le temps et n’a pas sauté les étapes pour monter les échelons. Il a commencé au bas de l’échelle comme tout le monde... Et à la fin, il était rendu au top. »
« Comme vétéran de 20 ans, on voulait que je m’assure qu’il reste dans le droit chemin, mais honnêtement je n’ai pas eu grand-chose à faire, atteste Samuel Dove-McFalls. C’était un gars mature pour son âge. Il ne se prenait pas trop au sérieux et c’était le fun être avec lui. J’avais aussi trouvé ses parents et toute sa famille exceptionnels. Je crois que ça l’a vraiment aidé à garder les deux pieds sur terre. »
« Je suis pas mal sûr qu’un contrat avec Upper Deck et Gatorade, ça doit aider au niveau financier. Mais avec nous, il ne s’est jamais pris pour un autre, répète Voyer. C’est un farceur, il aime faire des blagues et jouer des tours. Et il est la même personne avec tout le monde, que ça soit son compagnon de trio ou celui qui joue sur la ‘quatre’. Il reste juste lui-même dans tout ça. »
« Aujourd’hui, Alexis n’a pas la tête enflée, remarque Tomi Paiement. Il réalise ce qu’il est en train de devenir, mais il dévie constamment l’attention vers ses coéquipiers. »
« C’est un gars terre-à-terre. Il a les mêmes chums depuis longtemps. Quand on le voit l’été, il est toujours prêt à venir voir nos jeunes à l’Académie, signer des autographes, prendre des photos. On n’est pas obligé de lui tordre un bras. Il vient d’une bonne famille. Ses parents ont été incroyables à leur passage avec les Seigneurs et ça parait. Je suis convaincu qu’Alexis va toujours se rappeler d’où il vient », prédit Ramzi Abid.
« Il a toujours été le même, confirme Félix Lafrance. L’autre fois, on est allé faire du roller blade et des petits gars l’ont reconnu. Il a pris le temps de jaser avec eux. Il est encore le même avec nous, il n’a pas changé. Il est humble et il va toujours le rester. »