LES DEUX VOIX DU CH - MICHEL LACROIX
Par Éric Leblanc - Tout comme celle de Pierre Houde, la voix de Michel Lacroix est associée au Canadien depuis de nombreuses années. Son plus grand atout lui a permis de vivre des rêves aux quatre coins de la planète.
MONTRÉAL - Mesdames, messieurs. Ladies and gentlemen, accueillons nos Canadiens !
Le ton est donné, l’envoûtante voix de Michel Lacroix a lancé la soirée en retentissant de toute sa splendeur dans le Centre Bell. Au fil du temps, cette introduction est devenue indispensable pour les spectateurs qui remplissent l’amphithéâtre montréalais match après match.
Dire que le public aurait pu rater le plaisir de se faire bercer les oreilles par sa voix depuis plus de 40 ans si un imprévu n’était pas survenu, dans les années 70, lors d’une compétition … d’athlétisme !
À cette époque, Lacroix évoluait au sein du club d’athlétisme de l’Université de Montréal. Son parcours a toutefois emprunté un virage inattendu.
« Je me suis blessé et, comme tous les jeunes, on en profitait pour rigoler et j’imitais souvent l’annonceur de nos compétitions », s’est rappelé Lacroix qui n’aurait jamais pu prédire la suite.
« Mais, un matin, il était absent et on m’a offert de le remplacer… On a aimé ma voix et on m’a confié d’autres occasions dans les semaines suivantes. Finalement, je l’ai remplacé et j’ai enchaîné avec les Championnats du Québec et du Canada comme annonceur », a-t-il poursuivi.
Dans le temps de le dire, les offres ont déboulé pour Lacroix qui s’est retrouvé en un temps record avec un poste d’annonceur pour, rien de moins, que les Jeux olympiques de Montréal en 1976.
« On m’avait suggéré de me diriger vers la radio et Pierre Lacroix avait mentionné à Claude Mailhot (de CKAC) qu’il connaissait un jeune annonceur ‘pas pire’ », a expliqué, en souriant, Lacroix qui a donc entamé sa carrière à la radio en 1975.
« C’était d’autant plus le fun qu’on approchait des Jeux olympiques. On m’y a offert un poste d’annonceur tandis que CKAC me donnait un travail de journaliste sur les JO. Je combinais les deux et c’est ce que j’ai fait pendant la plupart de ma carrière », a ajouté Lacroix.
Mais c’était loin d’être une petite mission.
« Du petit annonceur de compétition, je suis passé à des événements plus sérieux et on a fini par me confier le rôle de la voix du Stade pour les compétitions d’athlétisme. »
« Ouf, oh … », a lancé Lacroix pour décrire la réaction du jeune qu’il était, à cette époque, face à ce mandat d’envergure.
Avec les yeux brillants, Lacroix évoque la meilleure école qu’il fréquentait, celle de CKAC. Il a été pris sous son aile par de nombreuses références du milieu desquelles il pouvait apprendre comme Jacques Proulx, Jacques Morency, Yves Létourneau, Serge Laprade, Pierre Bruneau, André Côté et Michel Viens…
Les premières années ont été une véritable « partie de plaisir » pour Lacroix qui a fini par renoncer à la voie du journalisme écrit qu’il avait entamée.
Succéder à Claude Mouton, un monument
Les portes ont continué de s’ouvrir sur son parcours alors que CKAC lui a permis de couvrir les activités du Canadien. Cette affectation a mené à la connaissance de Claude Mouton, un véritable monument, qui était l’annonceur pour le Canadien et les Expos de Montréal.
Cette relation a fini par le lancer, en 1977, dans une aventure inespérée puisque Mouton était loin de se diriger vers la retraite.
« C’était l’époque de la passation des pouvoirs du directeur général Sam Pollock à Irving Grundman. Ce dernier avait demandé à Claude de s’occuper de la galerie de presse et la salle de presse. Claude m’avait donc dit qu’il avait besoin d’un remplaçant et il voulait m’essayer. C’est arrivé à la fin mars 1977 (le 30 mars) contre Toronto ! », a confié Lacroix en insistant bien sur l’identité peu banale de l’adversaire.
« Remplacer Claude Mouton, c’était gros, il était le maître. Je l’ai remplacé de 1977 à 1983 et il m’a bien coaché. Je m’entendais très bien avec Richard Garneau, Claude Quenneville et compagnie. J’étais déjà intégré dans ce milieu et le début s’est donc fait en douceur en commençant par quelques matchs », a indiqué celui qui a succédé à Mouton en 1993.
« Les gens ont fini par s’habituer au ti-cul qui avait les cheveux pas loin des épaules », a remercié Lacroix en se rappelant de sa spectaculaire allure de l’époque comme le prouve la photo.
Le hasard a voulu qu’une mêlée générale éclate à sa toute première rencontre. Heureusement pour lui, il avait acquis une expérience précieuse dans des fonctions similaires au hockey junior. La congestion au banc des punitions, qui n’était pas entouré d’une baie vitrée à l’époque, était telle qu’il avait été forcé de céder sa place pour effectuer son travail en retrait !
« Je n’étais pas si nerveux parce que j’avais passé le test des Jeux olympiques à 22-23 ans. Je savais que ma voix était correcte, c’était plutôt de gérer la pression et utiliser la bonne intonation sans imiter Claude. Tu souhaites avoir ton style sans que ça soit terne non plus. Il faut dire que, quand tu as 24 ans, tu as la confiance de pouvoir relever le défi même si tu as encore bien des croûtes à manger », a exposé Lacroix en replongeant dans ses lointains souvenirs.
« Je me souviens quand même que le col était serré ! Le premier soir que tu te retrouves au banc, tu n’en mènes pas large et le souffle est court », a admis celui qui recevait des encouragements des journalistes et même des joueurs qu’il côtoyait déjà.
Déjà que la pression était au rendez-vous, Lacroix devait également se méfier du jeu qui se déroulait devant lui. En effet, aussi étonnant que ça puisse paraître, l’annonceur n’était absolument pas protégé.
« On avait tout intérêt à suivre l’action, ça arrivait vite avec la rondelle et les bâtons qui ‘revolaient’ et la rondelle », a admis Lacroix, un peu nostalgique du cachet de cette époque.
De son emplacement privilégié, il a pu être témoin de merveilleuses anecdotes pour la plupart plaisantes.
« Quand il y avait Mario Tremblay d’un bord et Tiger Williams de l’autre, on pouvait sentir que les gars se détestaient, mais ils se respectaient. »
« Mon plus bel échange avec un joueur a eu lieu avec Terry O’Reilly, des Bruins, qui m’avait tellement fait rire. C’était le premier ou le deuxième match de la saison et il avait été puni après seulement quelques secondes. Il n’a pas eu le temps de retourner au banc des siens qu’il a été puni une autre fois. En revenant au banc des punitions, il me lance ‘Encore une fois, je peux déjà oublier le Lady Bing ! (le trophée remis au gentilhomme de la LNH) »
Une carrière remplie vous dites …
Puisqu’il devait voyager avec le Canadien afin d’en assurer la couverture médiatique pour CKAC, Lacroix a redonné le poste d’annonceur à Mouton avant que celui-ci soit malheureusement affecté par la maladie. Cette fois, en 1993, il a fait le saut à long terme.
Cela dit, en plus de se consacrer à son rôle d’annonceur, il a obtenu le privilège de poursuivre sa carrière à la télévision ce que CKAC lui avait permis de faire.
Lacroix est ainsi devenu le visage du golf à RDS et sa passion ne s’effrite pas pour ce sport dont il partage la description avec Carlo Blanchard depuis plus de 20 ans. Son expertise étant convoitée dans ce milieu, il se retrouve au cœur d’expériences extraordinaires comme lors de la coupe des Présidents à Montréal en 2007.
« Je me suis retrouvé auprès de Jack Nicklaus, Gary Player, Tiger Woods, Phil Mickelson, Vijay Singh et Mike Weir. J’avais eu la chance d’animer la cérémonie d’ouverture et, en me retournant, l’ancien président américain (George H.W. Bush, le père) est devant moi et il me serre la main. Ce genre de travail vient avec des privilèges extraordinaires, ce serait difficile de ne pas être passionné dans un environnement semblable. »
Lacroix a conservé cette capacité de s’émerveiller devant son travail et ça peut se comprendre. Après tout, il a travaillé sur près de 20 éditions des Jeux olympiques.
« Les JO de 1976 ont été l’élément déclencheur. Ensuite, on est venu me chercher pour Lake Placid (en 1980). À Nagago, en 1998, j’ai eu la chance d’aller annoncer le hockey au Japon et j’y avais passé plus de temps pour les sensibiliser aux réalités de la LNH. Avant, c’était un milieu vraiment fermé et une chasse gardée pour les Européens. J’ai permis à d’autres Québécois de faire la même chose et ce fut une autre façon de voir les Jeux olympiques de l’intérieur », a décrit Lacroix.
« Les Jeux olympiques, ce sera toujours spécial. C’est grandiose et c’est la sobriété, tu ne peux pas annoncer une partie entre deux pays comme un match Canadien-Bruins. J’ai eu des professeurs extraordinaires comme Richard Garneau. Tu ne peux pas l’imiter, mais il faut s’ouvrir l’esprit. Richard avait insisté là-dessus et j’essaie encore de le faire », a relaté Lacroix qui aime notamment l’art, la musique, l’humour et la politique.
« Tu ne peux pas aller aux Jeux olympiques sans être conscient du contexte social et politique de la région. Les gens pensent que les personnes du monde du sport n’aiment rien d’autre », a-t-il déploré.
Son métier l’a même mené à être le journaliste francophone de l’expédition canadienne du mont Everest en 1982.
« On a perdu quatre membres de notre groupe dans une avalanche, mais ce fut couronné de succès. C’était la première expédition canadienne à atteindre le sommet. C’est l’Everest quand même, la générosité et l’humilité des sherpas ne se comparent en rien à la mentalité des joueurs de hockey », a avoué Lacroix qui peut lire un peu d’Italien et d’Espagnol.
De toutes les couleurs en 40 ans dans l’entourage du Canadien
À ses trois premières années comme annonceur, le Tricolore a poursuivi sa tradition gagnante en méritant la coupe Stanley aux printemps de 1977, 1978 et 1979. Après avoir vécu le déménagement au Centre Bell, il a traversé les pénibles quatre éliminations en cinq ans à la fin des années 1990 et au début des années 2000.
Dans son rôle, Lacroix doit bien sentir le pouls de la foule et ajuster son intensité selon les circonstances. Mais ça ne veut certainement pas dire de faire disparaître la magie durant des saisons comme celle de 2015-16.
« Ça n’empêche pas que les gens ont payé leur billet et ils ont droit au même spectacle. Mon rôle, c’est de les accueillir et, peu importe le nombre de personnes dans les gradins ou le rang au classement, je dois avoir le même enthousiasme. Les gens ont droit à un traitement privilégié, je dois contribuer à ça », a maintenu Lacroix.
« Bien sûr, la dynamique est très différente quand le club gagne et vit de grands moments en séries. Ça monte très haut, tu le sens, c’est électrique. Dès les premiers mots que je prononce, ça s’enflamme », a-t-il comparé.
À ce propos, Lacroix a agi comme annonceur dans une tonne de moments privilégiés et émouvants reliés à l’histoire du Canadien. Des moments à en perdre la voix.
« L’annonce de la dernière minute de jeu dans l’histoire du Forum, c’est pesant, mais tu dois cacher tes émotions. Tu ne veux pas que ça sonne croche, ça doit être beau. Quant au décès de Jean Béliveau, tu ne peux pas être larmoyant, ça doit être respectueux et grand à son image. Ce n’est pas toujours évident de faire abstraction de ses émotions », a soulevé Lacroix.
« Pour le moment de silence de M. Béliveau, ça m’appartenait de décider quand ça arrêtait. En général, ça tourne autour de 20 ou 25 secondes. Tu as toujours peur d’entendre quelqu’un crier une bêtise, mais cette fois, j’ai pu rendre à 54 ou 55 secondes. Je savais que l’image s’en allait sur Mme Béliveau et sa famille après », a ciblé Lacroix.
« Tout le monde en a parlé, j’ai fait des entrevues jusqu’en Europe. Il faut être attentif surtout que tu travailles sans filet. À la moindre défaillance, tu vas en entendre parler. Quelques personnes trouvent qu’on demeure trop conservateur, mais je ne suis pas d’accord », a évalué l’annonceur d’expérience.
Le contexte était totalement différent pour le retour de Koivu après son combat contre le cancer. La foule était en liesse pour témoigner son admiration à son « capitaine courage ».
« Saku, c’est un bon ami. Il s’était approché de moi pour me faire signe de poursuivre (pour cesser l’ovation). Tu dois bien sentir le moment et gérer le tout.
En ce qui concerne l’action, Lacroix n’oubliera jamais les records de Guy Lafleur, le dernier match de Mario Lemieux et le dernier but de Gordie Howe avec les Whalers contre le Canadien.
« J’avais la rondelle dans mes mains et elle se retrouve maintenant au Temple de la renommée. J’ai eu le privilège, parmi tous les annonceurs, de l’annoncer », a relevé Lacroix, avec humilité.
Mais le sommet, Lacroix l’attribue au but victorieux d’Yvon Lambert en prolongation lors du septième match de la demi-finale contre les Bruins, en 1979.
« On savait que le gagnant allait mériter la coupe Stanley. L’annonce était extraordinaire, tu ne peux pas rêver d’un meilleur contexte. Le plafond avait sauté ! », a rappelé Lacroix.
« La gang des années 70 était extraordinaire. Guy Lafleur était tellement bon, il était réservé et on parlait souvent sur la route. Serge Savard me racontait des choses très intéressantes, Guy Carbonneau est toujours pertinent tout comme Vincent Damphousse. Je n’ai pas annoncé les matchs de Jean Béliveau, mais je l’ai connu pendant toutes ces années dans l’organisation et c’était un monsieur extraordinaire. Les gens n’ont même pas idée à quel point il l’était », a fait savoir Lacroix qui adore croiser les anciens.
En ayant fait ses débuts dans ce rôle il y a près de quatre décennies, Lacroix a vécu toute la transformation technologique de sa profession.
« Le travail comme tel n’a pas tant changé contrairement à l’environnement technique et technologique. On était trois à travailler ensemble au Forum. J’avais une clé à côté de ma position et, si j’avais à parler, j’ouvrais la lumière pour dire à l’organiste et à la personne du son de m’attendre. C’était banal.
« Maintenant, les équipes de production ressemblent à une régie de télévision. Ça doit grimper à plus de 30 personnes qui sont impliquées, c’est très différent. »
Nul doute, Lacroix a démontré une longévité impressionnante et il a remplacé Claude Mouton de main de maître. Il a déployé une recette basée sur l’humilité pour y arriver.
« La clé, c’est d’abord et avant tout de reconnaître que ce n’est pas toi qui fais le show. Les gens n’achètent pas des billets pour venir t’entendre parler, tu es seulement un instrument dans l’événement. Bien sûr, il faut être prêt quand la situation le commande, mais ça me convient de ne pas être à l’avant-scène », a confié Lacroix qui songe à des projets à l’extérieur des frontières canadiennes.
« Je n’ai jamais été la grande vedette dans ma carrière. Je n’étais pas le joueur de centre, mais plutôt l’ailier gauche ou droit et ça faisait bien mon bonheur. Je préfère être un peu effacé, c’est pour ça que le rôle est idéal pour moi au hockey. Je me plais à dire que les buts, je ne les compte pas, je les annonce. Ça explique mes 41 années de métier. »
Lacroix ne compte peut-être pas 30 buts par saison, mais il a marqué le public québécois qui s’est attaché à sa voix. Cette relation précieuse lui fait chaud au cœur.
« Je trouve ça, très très très flatteur. Les gens viennent me voir et me rappellent leur souvenir d’enfance. D’autres me parlent de quand j'étais à la radio dans les années 70 et que je faisais le segment de 15 minutes de ‘Bonsoir les sportifs’. Pat Burns m’avait raconté que c’était sacré pour lui. Quand il revenait en autobus avec ses joueurs, il demandait à tout le monde de se taire pour écouter. C’est un privilège d’être là depuis 40 ans », a conclu celui qui n’aurait pas pu rêver d’un parcours aussi prestigieux en athlétisme.
La voix des Canadiens de Montréal: Michel Lacroix - qu'on aperçoit en 360 degrés