Yvan Cournoyer, Martin Lacroix, Réal Godin, Corrado Micalef, Carl Boudreau, Patrice Lefebvre, André Brassard, Alain Savage Jr., Allan Labrosse... Dans leurs propres mots, voici l'histoire des Roadrunners de Montréal.
Par Mikaël Filion
MONTRÉAL – 1er septembre 1995. La file d’attente à la billetterie du Forum de Montréal s’étire sur deux coins de rue.
Faute de place, près de 3000 personnes doivent rebrousser chemin et se rabattre sur la retransmission du match à l'antenne de RDS. Les derniers spectateurs admis obtiennent quant à eux 45 minutes supplémentaires pour gagner leurs sièges. Le début de la rencontre est retardé.
C’est soir de finale. Les Roadrunners disputent la coupe Murphy aux Rhinos de San Jose. Le roller-hockey vit son heure de gloire à Montréal.
Dans un peu plus d’un mois, Yvan Cournoyer, le visage et l’entraîneur-chef de l’équipe depuis ses tout débuts il y a un peu plus d’un an, quittera l’organisation pour épauler Mario Tremblay derrière le banc du Canadien. Jamais plus les Roadrunners ne seront aussi populaires en ville.
La Roller Hockey International (RHI) voit le jour en 1993 à l’initiative de Dennis Murphy, le cofondateur de l’Association mondiale de hockey (AMH) et de l’American Basketball Association (ABA). À sa première saison, la RHI compte 12 équipes évoluant majoritairement dans des arénas de la LNH. En 1994, une expansion permet à 12 autres concessions, dont les Roadrunners, d’intégrer le circuit.
Robert Sirois, actionnaire et président, 1994-1995 : Je suis allé voir ça à Anaheim et j’ai été agréablement surpris par le calibre du jeu et la foule. Surtout la foule. J’ai rencontré le président de la ligue Dennis Murphy à ce moment-là et je suis reparti d’Anaheim avec une [cassette] VHS. C’était un montage de plusieurs matchs de la ligue. Ça m’intéressait, le prix d’une franchise était de 50 000 $ US. C’était raisonnable, on ne parlait pas de millions. Mais je me suis dit que ça me prenait un gros nom, quelqu’un de très connu pour mettre ça sur pied [...] Je connaissais bien Yvan Cournoyer [...] Je suis allé le voir, je lui ai laissé le vidéotape et je lui ai dit : « Si ça t’intéresse, moi je vais aller de l’avant ».
Il m’a rappelé le lendemain.
Yvan Cournoyer, entraîneur-chef, 1994-1995 : Ç’avait l’air intéressant. Entraîneur, ce n’était pas ce que j’aimais le plus faire, mais c’était un sport complètement différent du hockey. [Sirois] avait un beau programme.
Sirois : La deuxième chose à faire, c’était de rencontrer M. [Ronald] Corey pour voir la possibilité de louer le Forum et à quel prix il nous ferait ça. [...] Il nous a fait une très, très belle proposition. Il était emballé lui aussi. Cette VHS, elle a tourné pas mal avant qu’on débute et le montage était très vendeur. Je ne dirais pas qu’on payait des peanuts, mais je connaissais les coûts [de location] du Forum. Je peux dire qu’on était même en bas de 50 % [du prix habituel]. Avec ça, on avait l’attrait d’un nouveau sport, l’attrait d’un building reconnu [...] et on avait en plus Yvan Cournoyer. C’est comme ça que j’ai pris la décision d’aller de l’avant. On s’est engagé à acheter la franchise et on a formé une équipe.
En février 1994, lors d’un repêchage tenu à Los Angeles, les Roadrunners sélectionnent une vingtaine de joueurs, majoritairement des Québécois évoluant dans des ligues professionnelles mineures de hockey sur glace aux États-Unis et en Europe. Marc Fortier, Patrick Lebeau, Yanic Perreault, Guy Rouleau et Patrice Lefebvre sont notamment repêchés.
Patrice Lefebvre, attaquant, 1994, 1997 : Je venais de finir ma saison à Las Vegas dans la Ligue internationale. [...] J’étais sur la liste, je me suis dit que j’allais m’essayer.
Sirois : Lui, il a été dur à convaincre. [...] Je pense que c’est Yvan qui l’a convaincu qu’on avait absolument besoin de lui, qu’il serait notre leader.
Carl Boudreau, attaquant, 1994-1997 : Bob Sirois m’a appelé pendant que j’étais à Oklahoma City pour m’annoncer que j’étais leur premier ou deuxième choix au total pour l’aventure des Roadrunners de Montréal. J’en avais un peu entendu parler, mais comme pour un peu tout le monde, c’était vraiment nouveau.
Sirois : Après [le repêchage], tous les joueurs qui restaient sur le marché, professionnels ou amateurs, étaient des agents libres que chaque équipe pouvait contacter.
Cournoyer : On a eu des bons joueurs qui arrivaient de l’Europe pour passer l’été ici et qui voulaient continuer à jouer au hockey.
Corrado Micalef, gardien, 1994-1995 : J’avais entendu parler du roller-hockey par Reed Larson, qui a joué avec moi [chez les Red Wings de] Detroit. On jouait ensemble en Italie et aussitôt que j’ai su qu’il y avait une équipe à Montréal, j’ai pensé : « Quel bon moyen de se tenir en forme, être chez nous et jouer ».
Martin Lacroix, attaquant, 1994-1997 : Je jouais à l’époque à Angers, en France, quand mon frère [Michel Y. Lacroix, animateur à RDS] m’a dit qu’il allait y avoir une équipe professionnelle de roller-hockey à Montréal.
Réal Godin, attaquant, 1994-1997 : Je commençais comme chauffeur d’autobus à la STL (Société de transport de Laval). Ça faisait à peu près six mois que je travaillais. C’était mon avenir, je ne voulais pas laisser mon emploi de côté pour essayer d’aller faire les Roadrunners, mais c’est ma conjointe qui m’a poussé [à tenter ma chance]. J’ai communiqué avec Bob Sirois, qui m’avait déjà envoyé [jouer] en France. Il m’avait dit : « J’aimerais ça que tu viennes essayer ça, c’est un sport pour toi : c’est rapide ». Je me suis dit : « Pourquoi pas? »
André Brassard, défenseur, 1994-1995, 1997 : J’ai joué au hockey professionnel longtemps. J’avais décidé de prendre une année sabbatique et de réorienter ma carrière. J’avais parti une école de hockey et je m’étais inscrit pour devenir pompier. Puis, je lis dans le journal qu’il allait y avoir du roller-hockey. Je voyais les noms [passer] et je connaissais tous les joueurs. J’ai communiqué avec Bob Sirois pour lui dire que j’aimerais ça essayer.
Godin : La dernière fois que j’avais mis des patins à roulettes, c’était des patins avec deux roues en avant et deux roues en arrière, au Paladium à Montréal.
Lacroix : On a vu une couple de belles débarques au début du camp. Ce n’est pas tout le monde qui s’habituait rapidement à la façon de freiner. Il y en a une couple qui ont perdu leur bronzage sur le plancher.
Boudreau : Yvan Cournoyer m’avait dit : « Prends ça mollo, habitue-toi à la surface et aux patins, on va faire une pratique avec des drills normaux et on finit ça avec un petit match à la fin ». J’avais l’impression que ça s’en venait. Je ne comprenais pas trop comment freiner, mais dans les drills ça se passait bien, jusqu’à ce qu’on fasse le mini-match. Je m’en souviens comme si c’était hier... Je me retrouve dans un 2 contre 1 et je n’ai pas la rondelle, alors je drive le net comme n’importe quel joueur de hockey, je reçois la rondelle et je marque. Le hic, c’est que je m’en viens à 100 miles à l’heure et que la bande est à 12 pieds de moi. Mon premier réflexe est de me jeter par terre. Trois ou quatre roulades plus tard, j’entre en contact avec la bande. Yvan s’en vient en patinant derrière moi et me dit : « Wo! Slaque le jeune, slaque! T’es pas en patins icitte! T’es sur des roulettes ».
Brassard : J’allais au filet pour prendre un retour, mais le joueur n’a pas lancé. Il est allé en arrière du filet et moi aussi. Je ne pouvais pas freiner. Ç’a été mon introduction au roller-hockey. Je suis rentré dans la bande assez solide. C’est là que j’ai compris.
Godin : Le plus facile pour freiner, c’était de s’appuyer sur notre bâton à l’arrière. Tu freinais et tu mettais ton bâton, c’est ça qui faisait ton appui. [...] Certains joueurs étaient capables de vraiment freiner sans leur bâton, mais il n’y en avait pas beaucoup.
Micalef : C’était tout un ajustement, surtout pour un gardien. Au début, c’était épeurant. On était craintif pour les chevilles parce qu’on ne pouvait pas s’arrêter comme on le voulait en faisant des déplacements. Le mouvement autour de la cage était à explorer. [...] On s’est aperçu assez rapidement que les jambières sur la surface, ça ne glissait pas du tout. Il fallait se déplacer debout et tomber par la suite. Il n’y avait pas de glissade qui pouvait se faire.
Brassard : Il y a des joueurs qui avaient eu des carrières exceptionnelles qui ne se sont pas adaptés à ce sport-là.
Sirois : Pour les puristes, le roller-hockey c’était un sport dérivé. Pour eux, il n’y avait pas de gros noms là-dedans, c’était juste des gars qui n’étaient pas capables de jouer dans la Ligue nationale. Mais certains de ces joueurs-là étaient bien meilleurs que plusieurs joueurs de la LNH qui étaient juste des one-way players. Le roller-hockey demandait vraiment des mains exceptionnelles et un bon coup de patin.
Lefebvre : Pour les gars un p’tit peu moins techniques, c’était plus difficile c’est sûr et certain.
Lacroix : Je débarquais d’Europe et je n’étais pas le plus connu, même après mes années juniors à Shawinigan. Je jouais à fond en me disant : « On verra... ». Ils m’ont finalement gardé et j’ai joué les quatre saisons [des Roadrunners].
Godin : Quand Yvan Cournoyer m’a dit que je pouvais demander un congé sans solde à mon employeur, que je faisais partie de l’équipe, j’ai fait la demande à la STL et la journée même ils acceptaient. Ils m’ont donné mon été sans solde pour jouer avec les Roadrunners. J’ai fait ça pendant quatre ans.
Brassard : Personne ne s’est mis millionnaire avec ça.
Sirois : La ligue fonctionnait avec des bourses, un peu comme au golf ou au tennis. Je ne me souviens pas des montants exacts, mais tu recevais environ 200 $ US si tu gagnais un match et 125 $ US si tu perdais. C’est la ligue qui payait les joueurs. Nous, les dirigeants, on devait envoyer un montant d’argent à la ligue pour couvrir les salaires et tous les joueurs étaient payés la même chose.
Lefebvre : C’était rien. Tu ne jouais pas là pour le salaire c’est sûr et certain. Tu jouais pour garder la forme, avoir du fun. Tu joues au Forum, t’es le buzz de l’été.
Micalef : Je pense qu’on gagnait entre 3000 et 4000 $ US pour l’été, donc à peu près 1000 $ US par mois. Si tu te rendais loin en éliminatoires, tu avais des bonis. C’était OK, c’était fair.
Godin : On était bien traité. On ne gagnait pas une fortune, c’était loin d’un salaire de la Ligue nationale, mais on le faisait pour le plaisir. On le faisait parce qu’on aimait ça. L’été, tu voyages en avion, tu t’en vas jouer une game à Orlando. Tu couches à l’hôtel le soir et tu reviens le lendemain. [...] Ce n’est pas parce que je n’aimais pas conduire mon autobus ou que je n’aimais pas mon emploi, mais c’est sûr que je préférais jouer au roller-hockey l’été.
Après avoir amorcé leur saison avec deux rencontres sur la route (1-1), les Roadrunners disputent le premier match de leur histoire au Forum de Montréal le 16 juin 1994. Ils l’emportent 7-5 sur les Rockin’ Rollers du New Jersey devant une foule de 10 074 spectateurs.
Micalef : C’était surréel. J’avais joué là assez souvent comme joueur dans le pro, mais je n’avais pas mis les pieds au Forum depuis 10 ans.
Godin : Il y avait 300-350 personnes de la STL qui venaient me voir jouer. Ils étaient descendus dans trois ou quatre autobus fournis par la STL. J’étais nerveux.
Lefebvre : Le Forum était pas mal plein.
Sirois : J’avais distribué à peu près 3000 billets sur les 10 000. J’en avais donné à Bauer et tous nos commanditaires, qui les avaient remis à leurs clients. De mémoire, on avait quelque chose comme 7300 billets vendus.
Godin : Ça coûtait des peanuts venir nous voir jouer. Une famille pouvait très bien se présenter et ça lui coûtait peut-être 100 $ pour quatre personnes. Là-dessus, il y avait le stationnement et ils pouvaient même manger.
Lacroix : Les gens qui ne pouvaient pas se permettre d’aller voir le Canadien trop souvent ou pratiquement jamais pouvaient enfin venir [au Forum].
Sirois : On vendait le Forum, on ne vendait pas juste les Roadrunners.
Lefebvre : Tout le monde était en t-shirt, il n’y avait pas le fameux banc rouge en veston-cravate qui ne disait pas un mot. C’était jeune, c’était bruyant.
Brassard : La foule au Forum, c’était magique. Juste embarquer dans le warm-up, je me souviens encore de la musique « Let’s go crazy! ». Quand t’embarquais, les fans étaient là. T’avais le goût de te défoncer, de profiter du moment et de donner un bon spectacle.
Godin : Même quand il n’y avait que 5000 personnes, c’était comme s’il y en avait 15 000 ou 20 000 dans l’amphithéâtre tellement ça criait. Chaque but que les Roadrunners marquaient, c’était l’euphorie.
Des buts, il y en a au roller-hockey, au grand plaisir des 6 690 spectateurs qui assistent en moyenne à chacune des 12 rencontres des Roadrunners au Forum en 1994, le troisième meilleur rendement du circuit derrière Anaheim (10 155) et le New Jersey (6 983).
Le public montréalais tombe vite sous le charme des règles favorisant l’attaque. Les matchs, d’une durée de quatre quarts de 12 minutes, se disputent à 4 contre 4 sur une surface de jeu sans lignes bleues et divisée en deux zones par une ligne rouge.
Godin : [Quand tu avais possession de la rondelle], tu devais franchir la ligne rouge avant de pouvoir faire ta passe devant le but, mais si tu n’avais pas la rondelle, tu pouvais tricher et t’en aller tout de suite en zone adverse.
Sirois : C’était zone offensive et zone défensive, un peu comme au basket. Du moment que t’avais traversé, ton coéquipier pouvait être à côté du but à attendre une passe ou un retour.
Godin : On appelait ça la bombe. [La passe] s’en venait et là tu coupais devant le filet. Tu te ramassais souvent tout seul.
Micalef : C’était beaucoup des échappées, des 2 contre 0 ou des 2 contre 1. C’était comme dans les pratiques [de hockey sur glace] quand tu fais des exercices de surnombre.
Boudreau : Le contrôle de la rondelle était hyper, hyper important. Tu ne pouvais pas te débarrasser de la rondelle pour rien. Le dump and chase, c’était un peu le réflexe d’un joueur de hockey dans ces années-là. Mettre la rondelle dans le fond et appliquer de la pression sur le défenseur pour essayer de récupérer la rondelle, c’était une chose à absolument ne pas faire au roller-hockey.
Lefebvre : Tout était fait pour que ce soit rapide, électrisant et qu’il y ait beaucoup de buts. C’était un spectacle différent des games [de la LNH] de ce temps-là : les 4-3, 3-2 et la trappe des années 1990.
Brassard : Des matchs de 2 à 1 au roller-hockey, on n’en voyait pas des tonnes.
Sirois : Tu pouvais perdre par 5 buts et 15 minutes après tu menais 6 à 5.
Boudreau : Yvan [Cournoyer] voulait que les joueurs s’épanouissent offensivement. Il réalisait que c’était un sport offensif et que les gens étaient là pour voir des buts et des jeux spectaculaires.
Cournoyer : Ce n’était pas du hockey sur glace, mais au moins c’était du hockey que les gens aimaient.
Lefebvre : C’était motivant, c’était autre chose de pouvoir jouer tranquille sans qu’il y en ait deux ou trois qui veulent t’arracher la tête ou presque t’enlever la vie pour gagner une game.
Lacroix : Pour les joueurs avec du talent, de bonnes mains et une bonne vision du jeu – le meilleur exemple était un gars comme Patrice Lefebvre –, s’ils s’adaptaient aux patins ils devenaient automatiquement de bons joueurs de roller-hockey.
Godin : [Lefebvre] jouait comme sur la glace. Il faisait ce qu’il voulait.
Sirois : Un magicien avec un bâton de hockey.
Après huit matchs, Lefebvre est le meilleur marqueur de l’équipe avec 10 buts et 18 passes, mais des maux de dos le contraignent à mettre un terme à son aventure avec les Roadrunners. Le meilleur pointeur de l’histoire de la LHJMQ effectuera un retour en 1997, mais ne disputera que quatre rencontres.
Lefebvre : J’avais eu des problèmes de dos toute l’année à Las Vegas. [...] J’avais signé un contrat de deux ans et ils comptaient sur moi. Ils m’avaient dit : « On sait que t’aimes jouer au hockey et que tu t’entraînes, mais on veut que tu nous reviennes en forme aussi ». [...] Il fallait que je pense aussi à ma vraie job. L’équipe ne m’a pas forcé, mais ils m’ont fait comprendre que c’était mieux de m’occuper de mon dos que de continuer [à jouer avec les Roadrunners].
Lacroix : C’est sûr que ça nous a fait mal. Quand Pat était dans l’alignement, c’était de loin le meilleur joueur de la Ligue internationale de roller-hockey. Je suis certain, certain de ça.
Godin : C’était un gros morceau qu’on perdait. Il n’était pas grand et il n’était pas gros (5 pi 6 po et 160 lb), mais [il avait] une tête de hockey pas à peu près. Je n’en ai pas vu beaucoup des joueurs capables de faire les feintes que lui pouvait faire. [...] Il faisait de notre attaque une attaque encore plus puissante qu’elle ne l’était déjà. [Avec lui] on se serait rendu plus loin encore. On aurait peut-être même connu une coupe cette année-là.
Avec une fiche de 13-9, les Roadrunners concluent la saison régulière au deuxième rang de la division Atlantique et au quatrième échelon de l’Association de l’Est. Au premier tour des séries, ils éliminent les Bulldogs de Philadelphie du bouillant entraîneur-chef Dave Schultz, qui a fait sa renommée avec les Flyers à la belle époque des « Broad Street Bullies ».
Lacroix : Lui et Yvan ont failli se battre en plein centre du plancher. Ç’a passé bien, bien proche.
Sirois : J’ai joué avec Dave à Philadelphie. Mon premier but dans la Ligue nationale, c’est sur une très belle passe de Dave. Je connais vraiment le personnage. C’était plus du spectacle qu’autre chose. Dave n’aurait jamais donné un coup de poing à Yvan Cournoyer. Il avait beaucoup trop de respect envers Yvan pour faire ça. Mais pour gueuler et s’offrir en spectacle, oui. Yvan était enragé noir. Plus Dave voyait Yvan s’enrager, plus il en mettait.
Godin : Il faisait des doigts d’honneur à Yvan, qui riait dans sa barbe même s’il n’avait pas de barbe.
Lacroix : Il était fâché pour je ne sais trop quoi. Il était sûrement frustré d’avoir été éliminé. C’était peut-être comme un retour dans le passé Canadien-Flyers pour lui : « Oh non, Montréal tu nous as encore battus ».
En quart de finale, les Roadrunners se heurtent aux éventuels champions, le Stampede de Buffalo. L’arbitrage laissant un peu trop à désirer au goût des Montréalais dans le dernier match de cette série deux de trois à Buffalo, ils ne se gênent pas pour exprimer leur mécontentement. Cournoyer est expulsé de la rencontre, tout comme le joueur Mike Butters, qui sur le chemin du vestiaire, en profite pour reproduire une scène du film « Slap Shot ».
Micalef : Pour qu’Yvan perde les pédales, c’était vraiment quelque chose.
Lacroix : Yvan était vraiment énervé après les arbitres et il avait entièrement raison. C’était clair et net, il ne fallait pas que Montréal sorte Buffalo. Pas ce soir-là...
Godin : On n’était pas à la maison et on avait tout le monde contre nous autres, y compris les arbitres. On s’est fait caller une couple de punitions qui nous ont coûté cher et on a perdu le match.
Lacroix : Mike Butters qui enlève son linge et qui sort le net [de ses amarres]. C’était un gros show.
Micalef : Il a fait un strip-tease.
Aux Guy Rouleau, Martin Lacroix, Réal Godin, André Brassard, Carl Boudreau, Daniel Doré et Corrado Micalef qui forment le noyau de l’équipe, se greffent en 1995 plusieurs nouveaux venus comme Alain Savage Jr., Mario Doyon et Éric Messier qui font rapidement des Roadrunners un club redoutable.
Micalef : On avait eu du succès à notre première saison et ç’a attiré d’autres bons joueurs. Ils ont bien recruté et c’était pour se rendre jusqu’au bout. On était l’équipe favorite dans l’Est.
Lacroix : Ils ont fait quelques changements à l’équipe, mais en gardant quand même un gros noyau. [...] Guy Rouleau était incroyable à cette époque-là.
Serge Vleminckx, journaliste au Journal de Montréal et analyste des matchs à RDS : Guy, quel phénomène! C’est dommage que le cancer du cerveau l’ait emporté. Guy, c’était un battant, un guerrier. C’était tout un joueur. Lui et Martin Lacroix se complétaient merveilleusement.
Micalef : Un droitier et un gaucher. Cette chimie, Yvan l’a tout de suite reconnue. Il les a mis ensemble et ils le sont restés longtemps. Ils se voyaient sur la patinoire. [...] C’était les meneurs de l’équipe dans ce temps-là.
Lacroix : C’est encore plus facile de développer une chimie au roller-hockey parce que tu joues avec deux joueurs d’avant et deux défenseurs. [...] Ç’a cliqué tout de suite. J’avais envie de lui donner le puck et il avait envie de me le donner. Parfois, on se le donnait trop, mais ça marchait vraiment avec Guy.
Godin : C’était beau de les voir aller.
Lacroix : Comme pour Guy Lafleur et Guy Carbonneau, il y a eu des « GUY! GUY! GUY! » au Forum de Montréal pour Guy Rouleau pendant le roller-hockey.
Évoluer sous les ordres d’Yvan Cournoyer, la légende du Canadien, le Roadrunner en personne, le champion de la Coupe Stanley à 10 reprises, relève du rêve pour la plupart des joueurs des Roadrunners.
Alain Savage Jr., attaquant, 1995-1997 : Je n’y crois pas encore.
Brassard : J’ai sa photo avec moi en patins à roulettes dans mon bureau. Je la regarde à tous les jours.
Godin : Tous les joueurs, on était en admiration. On jouait pour lui.
Lefebvre : Yvan Cournoyer, c’était mon idole de jeunesse. J’ai toujours porté le no 12 [comme lui] quand j’étais jeune.
Cournoyer : Une idole c’est bien beau, mais si on ne gagne pas, il n’y a pas d’idole. Il fallait gagner.
Lacroix : Yvan, même au roller-hockey, il avait beaucoup de difficulté à accepter une défaite. C’est un winner.
Vleminckx : Je me souviens encore d’un voyage à Buffalo en autobus avec Yvan Cournoyer. Ils avaient perdu à Buffalo. Je suis à l’avant de l’autobus, un siège à côté d’Yvan, et on jase quand il entend la gang en arrière qui rit. Il me dit : « Attends minute », et se lève. Il t’a fait un speech qui voulait essentiellement dire : « Si vous n’êtes pas contents, débarquez de l’autobus, je ne veux plus en entendre un s’ouvrir la gueule jusqu’à Montréal. Vous avez perdu ». Il était mauvais! C’est là que j’ai découvert pourquoi Yvan Cournoyer avait autant de tempérament sur la patinoire.
Boudreau : Yvan n’était pas le genre d’entraîneur qui se met à sacrer ou crier des jurons, mais ses messages étaient assez clairs.
Micalef : Un vrai player’s coach.
Cournoyer : Je n’ai jamais été trop dur ou trop faible avec eux autres. Je pense qu’on avait une belle complicité.
Lacroix : Il savait très bien qu’on venait de passer huit ou neuf mois en Europe ou aux États-Unis pour ensuite tous revenir et jouer au roller-hockey parce qu’on en avait envie.
Brassard : Il n’était pas trop dur avec nous. [...] C’était un sport d’été, ça ne donnait rien d’être comme l’hiver. Ça prenait une approche différente.
Lacroix : Je me souviens d’une grosse punition qu’on a eue en Floride. On passait quatre ou cinq jours là-bas parce qu’on avait deux matchs. On avait perdu le premier et Yvan n’était pas content pantoute. Le lendemain, on a eu une grosse punition : un tournoi de volleyball de plage à Miami. La bière était fournie à part de ça.
Savage Jr. : Après ça, je pense qu’on a gagné quatre games de suite.
Godin : Il n’a pas de défaut. C’est une bonne personne et ce n’est pas parce que c’était mon entraîneur que je parle de lui comme ça.
Boudreau : Quand Yvan s’est rendu compte [que chaque jour de match à Montréal je partais de Victoriaville pour le morning skate à 10 heures et que je ne savais pas trop quoi faire le reste de la journée], il m’a dit : « Je loue une chambre d’hôtel au centre-ville de Montréal parce que ça ne me tente pas de retourner à Tremblant. Voici la deuxième clé. Va te recoucher et fais ta routine d’avant-match comme d’habitude ». J’avais dit : « Ouin, mais ma blonde est aussi descendue et elle passe la journée avec moi ». « C’est pas grave, amène-la avec toi et allez vous coucher une couple d’heures. » La première fois, je suis arrivé là un peu gêné. Il n’était pas encore là alors on est allé se coucher. Quand je me suis levé, Yvan était écrasé sur le divan. Sa bague de la coupe Stanley était sur la table et la télé était allumée, mais il dormait. Ç’a été comme ça pendant toute la saison.
En 1995, les Roadrunners (15-6) remportent le championnat de l’Association de l’Est et éliminent tour à tour les Cheetahs de Chicago, les Bulldogs de Philadelphie et les Vipers de St Louis avant d’accéder à la finale qui les oppose aux Rhinos de San Jose. Après avoir perdu 7-4 le premier match de la série deux de trois à San Jose, les Montréalais sont de retour au Forum.
Savage Jr. : On est allé en Californie en premier et on s’est fait planter. Solide.
Boudreau : On l’a eu tough là-bas. On est tombé sur une équipe qui jouait hyper serré. On n’avait jamais vu ça dans notre division et ça nous a pris par surprise. C’était une équipe hyper disciplinée. Ils jouaient tough, mais ne prenaient pas trop de punitions. Il fallait faire de gros ajustements.
Savage Jr. : Même si c’était du roller-hockey, il fallait jouer un peu plus défensivement contre San Jose.
Lacroix : Dans mes quatre années de roller-hockey, ç’a définitivement été le match le plus excitant qu’on a joué. C’était une finale, un do-or-die.
Alan Labrosse, actionnaire et président, 1995-1997 : Il y avait un buzz. Il fallait que la billetterie s’ajuste. [...] Je ne me rappelle plus si c’est la journée même ou la veille, mais on a été dans l’obligation d’ouvrir [des sections dans le Forum] pour s’adapter à l’engouement soudain. On a eu quelque chose comme 13 000 spectateurs (NDLR : l’assistance officielle à l’époque avait été de 11 432 spectateurs).
Godin : Le début du match a été retardé de quasiment 45 minutes parce qu’il y avait encore du monde qui voulait entrer dans le Forum.
Lacroix : Ils évaluaient qu’il y a environ 3000 personnes qui ont dû rebrousser chemin pour aller regarder ça à la télé chez eux ou dans des bars.
Labrosse : Il y en a beaucoup qui ont découvert le roller-hockey lors de cette finale-là.
Brassard : Le Forum était plein à craquer. On était dans notre building, on était pompés.
Lacroix : On pouvait s’imaginer un p’tit peu ce qu’un Québécois qui joue pour le Canadien de Montréal peut vivre dans de gros, gros, gros moments de séries. Ce n’était pas à la même échelle, on se comprend, c’était en patins à roulettes. C’était du rollerblade, mais on avait la chance de scorer des buts et de faire lever des foules. Pour quelqu’un comme moi qui n’a jamais joué dans la Ligue nationale et qui n’est même pas passé proche, c’était spécial.
Godin : Tu te vois déjà avec le trophée au bout des bras. T’es à un match de lever un trophée et peut-être de faire une petite parade sur Sainte-Catherine. On en parlait beaucoup. [...] La direction nous avait dit oui. Ce n’était peut-être pas la bonne chose à nous dire.
Avec cinq minutes à faire au quatrième quart, les Roadrunners ont un déficit de deux buts (6-4) à combler pour à tout le moins provoquer la tenue d’une prolongation de cinq minutes, sans quoi les Rhinos seront couronnés.
Lacroix : À 6-4, veux, veux pas, le Forum était un p’tit peu plus silencieux. Quand Alain Savage Jr. a marqué pour faire 6-5, il s’est réveillé.
Micalef : On a fait une belle remontée dans les dernières minutes pour égaliser. Les gars ont monté ça d’une coche. Il y avait beaucoup de caractère et de talent dans l’équipe.
Lacroix : J’ai pogné une échappée à deux minutes de la fin. Je pense que c’était une passe de Sylvain Beauchamp. Quand j’ai vu la puck rentrer et la réaction de la foule, c’était incroyable. À ce moment-là, on s’est dit ils sont morts. San Jose, ils sont morts.
Godin : C’était malade. J’étais dans la [salle du thérapeute] en train de subir des traitements et j’avais la télé devant moi. Ça vibrait tellement ça criait. La game était à nous autres.
Lacroix : Je sautais partout, mon hockey est parti, les joueurs sont arrivés sur moi comme si on venait de marquer le but qui nous faisait gagner la coupe, mais en réalité c’était le but égalisateur que les gens n’attendaient peut-être plus à deux minutes de la fin.
En prolongation, Savage Jr. sème l’hystérie dans la mythique enceinte de la rue Sainte-Catherine en marquant le but victorieux à la suite d’une montée de bout en bout de la patinoire.
Savage Jr. : Le jour du match, je partais le lendemain matin pour aller jouer au hockey sur glace en France. Il fallait que j’aille faire tous mes papiers la journée de la game, alors j’ai demandé à Yvan si je pouvais quitter la pratique plus tôt. Il m’a regardé et m’a dit : « T’es ben mieux d’en scorer deux à soir! » Finalement, j’ai scoré [mon 2e but] en prolongation. Quand je suis revenu au banc, il m’a dit « OK, t’es pardonné ».
La série est égale 1-1 et un mini-match de 12 minutes est disputé le soir même pour couronner un champion.
Lacroix : On est retourné après ça au vestiaire et on est revenu pour jouer le mini-match. On a marqué en premier. San Jose n’était plus là du tout. Je me disais : « C’est fini, on les couche ». Mais ils ont réussi à égaliser et on s’est ramassé en overtime.
Brassard : Ça s’est terminé un peu bizarrement.
Labrosse : Un lancer de loin...
Lacroix : Corrado était définitivement un des meilleurs gardiens de but de la ligue, sinon le meilleur, mais c’est probablement un tir qu’il voudrait revoir. [...] Au roller, ça arrivait quand tu tirais de loin que le puck change de direction.
Micalef : C’était un de ces maudits lancers où la rondelle fait comme un lancer papillon : elle est tombée. C’est un lancer que j’aimerais revoir.
Brassard : Si on avait gagné, on aurait été la dernière équipe professionnelle à remporter un championnat dans le vieux Forum.
Godin : Ç’a été le moment le plus grandiose des quatre saisons des Roadrunners, sans aucun doute. Ç’a mal viré, mais ça prenait un perdant. La foule est restée dans les estrades et quand on est embarqué sur la patinoire, on a eu une ovation.
Lacroix : Si on avait pu amener la coupe à Montréal cette année-là, ç’aurait été vraiment la cerise sur le sundae. Les gens en parleraient peut-être encore plus aujourd’hui.
En 1996, les Roadrunners déménagent au Centre Molson. Maintenant à l’emploi du Canadien à titre d’entraîneur adjoint, Yvan Cournoyer cède sa place à Daniel Doré derrière le banc. L’équipe (14-11-3) termine au troisième rang de la division Centrale et rate les séries éliminatoires. La ligue ne compte désormais plus que 18 clubs.
Labrosse : On ne voulait pas vraiment changer de place, mais on n’a pas eu le choix. Quand ils ont fermé le Forum et ouvert le Centre Molson, on a quand même regardé l’aréna Maurice-Richard et l’Auditorium de Verdun. Il n’y a pas de doute que le Centre Molson, c’était trop grand. C’est un défi énorme pour n’importe quel promoteur ou producteur de créer une ambiance enlevante si l’amphithéâtre est trop grand.
Savage Jr. : Le Centre Bell, c’était beau parce que c’était flambant neuf, mais il n’y avait rien d’autre comme le Forum.
La foule continue néanmoins d’être au rendez-vous en 1996, alors que 5979 spectateurs en moyenne assistent à chacun des 14 matchs à domicile des Roadrunners. La situation est beaucoup moins rose dans le reste du circuit puisque certaines équipes n’attirent que quelques centaines de partisans. Huit autres clubs cesseront leurs opérations à l’aube de la saison 1997, la dernière des Roadrunners.
Labrosse : On était l’un des clubs en meilleure position pour survivre et progresser, mais il y avait des équipes où il y avait peu de monde dans les estrades et beaucoup moins d’intérêt.
Cournoyer : L’erreur qu’ils (la ligue) ont commise c’est d’y aller avec trop d’équipes dès la première année. [...] Ils voulaient faire comme la Ligue nationale.
Lacroix : On avait des bonnes foules comparativement à plusieurs villes dans la ligue, mais on connaît les activités qu’il y a à Montréal l’été : le Festival de Jazz, le Festival Juste pour Rire, les piscines, les BBQ. On en a eu du monde au Forum et au Centre Molson, mais c’était impossible de faire de l’argent avec toutes les dépenses: l’avion, les hôtels, la bouffe, l’équipement... Ça coûtait cher versus le prix qu’on vendait les billets pour que le monde vienne. [...] On ne pouvait pas justifier le fait de vendre des billets 40-50 $. C’était impossible. Personne n’allait payer 50 $ pour aller voir jouer Martin Lacroix.
Boudreau : Je pense que les gens adoraient le roller-hockey. Ils adoraient les Roadrunners de Montréal, mais on ne pouvait pas en vouloir à personne de ne pas embarquer dans son véhicule un mardi soir quand il fait 30-31°C dehors pour aller voir un match de roller-hockey au Forum quand tu pouvais le regarder à la télévision. C’est ça qui nous a fait mal.
Lacroix : On se posait la question entre joueurs des Roadrunners. Si le roller-hockey était devenu aussi payant que le hockey sur glace en Europe ou aux États-Unis et qu’il avait fallu trancher entre les deux, on aurait fait quoi? Moi je serais resté ici et j’aurais joué au roller-hockey. C’était unanime, pratiquement tout le monde répondait : « Moi je joue au roller ».
Sirois : Les gars portaient l’uniforme des Roadrunners comme les joueurs du Canadien portaient le chandail du Canadien de Montréal il y a plusieurs années : avec une grande fierté.
Boudreau : Ce qui m’a fait le plus triper chez les Roadrunners, c’était l’identité de cette équipe-là. Je n’ai jamais vécu ça avant ou après. On était une gang de Québécois qui jouaient professionnel et qui défendaient les couleurs de Montréal. [...] On se présentait à Philadelphie et je savais que Philly avait une équipe qui brassait pas mal, mais je m’en allais à la guerre avec 16 Québécois.
Godin : Ç’a été mes plus belles années. J’ai connu des bons moments au hockey : je suis allé à la Coupe Memorial et j’ai joué en Europe. J’ai aimé le hockey sur glace, mais j’ai préféré le roller-hockey.
Savage Jr. : Quand j’ai commencé à jouer professionnel au hockey, il fallait que je me batte pour faire ma place. Je ne dis pas que je n’aimais pas ça. Quand il fallait que je me batte, je me battais, mais j’aurais aimé mieux jouer [comme] au roller-hockey et scorer plus de buts. Montrer que j’étais capable de jouer la game offensive que le roller-hockey était plutôt que de jouer sur la glace sur une 4e ligne avec deux goons. [...] Je sais que j’étais capable de jouer sur la 2e ou 3e ligne et scorer des buts. Le roller-hockey m’a donné l’opportunité de le montrer.
Lacroix : On était tous des joueurs de hockey sur glace, mais on aimait ça en fou. On est tombé en amour avec le roller-hockey.