Courir mon 105e sur les plages de la Normandie!
Des émotions. Voilà ce qui je pense, décrit le mieux ce que j'ai ressenties en participant au marathon de la Liberté sur les plages de la Normandie, le dimanche 4 juin dernier.
Lorsque j'ai entendu parler de cet événement par inadvertance de la bouche d'un cousin français, je me suis dit qu'il fallait que j'y aille pour réaliser mon 105e marathon.
L'histoire de la 2e guerre mondiale vient me chercher lorsque j'en entends parler, le courage des hommes et cette bêtise humaine après avoir visité le camp d'Auschwitz en Pologne.
Un départ de Courseulles-sur-Mer nous permettait de courir le long des plages où le 6 juin 1944, les Alliés débarquèrent aux petites heures du matin, par une journée maussade, une mer agitée, afin de déloger les Allemands qui régnaient rois et maîtres sur ce territoire depuis trop longtemps.
Qui plus est, ma compagne de course, Ariane Gauthier et moi avons eu le privilège d'un moment fort alors qu'une trentaine de gros avions de l'armée anglaise ont défilé à basse altitude, faisant un bruit infernal mais combien impressionnant. Époustouflé, j'étais sous le choc. Ils étaient partis de l'Angleterre, de l'autre côté de la Manche pour souligner symboliquement ce souvenir lointain mais qui me paraissait si près dans le temps.
Après ce moment fort, nous avons emprunté une piste cyclable pour se diriger vers le pont Pegasus. Ce que nous ignorions, c'est que nous courions là où les soldats français marchaient suite à leur invasion pour prendre également possession à l'ennemi de ce fameux pont. Des frissons me traversaient le corps. Quels moments forts et émouvants.
UN HÔTEL HABITÉ PAR LES ALLEMANDS
Bien qu'il fasse beaucoup trop chaud pour courir le marathon, je prenais le temps d'apprécier le décor et le spectacle. Plus jeune et plus en forme que moi (elle avait même couru Ottawa le dimanche précédent), Ariane est partie devant. Je lui avais conseillé de le faire.
Il restait alors une quinzaine de kilomètres dans les terres de la Normandie. Après avoir traversé quelques petits villages, j'entrais dans Caen, la ville de Guillaume le Conquérant où nous demeurions pour quelques jours. L'arrivée sur une piste d'athlétisme fut réconfortante après un effort qui me semblait tellement lointain dans mon esprit. Heureux de conclure ce 42km, oui mais surtout impressionné par ce que je venais de vivre.
La suite du voyage s'annonçait davantage saisissante. Un séjour à Ouistreham, la ville du débarquement des 177 français de la troupe 8 du no 4 Commando, dirigée par le lieutenant Alexandre Lofi. Pasquale voulait un hôtel tout près de la Manche, question de voir les plages. Ce que nous ignorions est que cet emplacement était occupé par des Allemands durant cette guerre. Il fut endommagé lors du débarquement mais est devenu l'un des rares à demeurer debout pour être par la suite rénové.
Imaginez, nous y demeurions. Quel hasard !
Le lendemain, après la visite d'un bunker allemand, nous avons exploré un musée qui rappelait les faits saillants du débarquement. Durant notre visite, une dame nous a entendus parler avec notre accent québécois. Heureuse de notre présence, elle a engagé la conversation.
UNE RENCONTRE SPÉCIALE
Puis, elle s'est présentée. « Je suis Denise Beau-Lofi, la fille d'Alexandre Lofi. Je suis en visite ici car j'ai fait don de l'uniforme de mon père au musée. »
Je n'en revenais pas, Ben voyons dont !
Je sentais qu'elle était heureuse de converser avec nous au point d'échanger nos cartes personnelles afin d'engager éventuellement un lien d'amitié.
Elle a écrit un livre sur la vie de son père que j'ai ramené, dédicacé de sa main. Je capotais ! Voici ce qu'elle a écrit : Pour Pasquale et Daniel, Bonne lecture dans le passé intime de mes parents. Mon père, ce héros du 6 juin1944, ma mère, cette courageuse épouse. Très cordialement, Denise Lofi, fille d'Alexandre Lofi, Musée No 4 Commando, le 7 juin 2023.
Je lui ai promis de lui envoyer le mien car je lui ai dit ce que je faisais au Québec. Être en présence de la fille de ce héros du jour J fut un privilège incroyable et je me disais que nous aurions tenté de planifier pareille rencontre que nous n'aurions pas fait mieux.
Le plus étrange dans toute cette affaire est que le matin même de cette journée, j'avais décidé de courir 10 km, histoire de me dégourdir un peu et de revoir les plages. À quelques kilomètres de mon point de départ, une petite cérémonie se déroulait Je dois préciser que plusieurs rappels du débarquement sont prévus tout au long de la semaine de notre visite.
BITTE, BITTE WASSER !
Au son des cornemuses, j'ai ralenti ma cadence, question de voir ce qui se passait.
« Tu es passé et j'étais là avec mon mari. Il s'agissait de l'endroit exact où mon père a débarqué et j'avais été invitée avec mon mari et d'autres personnes, à y assister », m'a raconté Mme Lofi. Tu parles ! Quelques heures plus tard, j'allais faire sa connaissance !
En passant, pour les intéressés, Alexandre Lofi a survécu à ce débarquement. Il est décédé en 1992 à l'âge de 75 ans. Pour décrire son père, Denise Lofi écrit dans son livre : Alors que je peinais sur l'étude d'un texte en allemand, mon père vint m'aider. Il se mit à évoquer un souvenir dont il n'avait jamais parlé. Il me confia un fait marquant de ses combats en Hollande : Les ennemis étaient sur le point de capituler lorsqu'un jeune Allemand, grièvement blessé, me supplia : « Bitte, bitte wasser ! » Je lui ai tendu ma gourde. À l'époque, l'adolescente que j'étais méconnaissait totalement la face héroïque et cachée de mon père. L'évocation de ce geste d'humanité, autant que la complicité que je sentis entre nous à cet instant. resteront à jamais gravés dans ma mémoire.
Voilà ce qui est beau lorsque l'on court des marathons à l'étranger. On ne doit pas uniquement considérer l'aspect sportif de notre présence mais aussi les belles rencontres que nous pouvons faire ainsi que les visites instructives que nous emmagasinons.
Ce 105e aura été très spécial. J'en avais le pressentiment.
STATISTIQUES
Temps : 4h59 :24
Classement général : 1475 sur 1682
Classement catégorie d'âge : 18 sur 25