Et Dieu créa la femme...Doudja !
Puis, il créa l'homme, à égalité, dans l'amour éternel. S'il voyait.
Sourire sincère, rien ne laisse deviner son passé. Doudja Mekamcha a tourné la page. À vrai dire, pas tout à fait car il restera toujours des séquelles pour lui rappeler son passé. Or, elle dit avoir pardonné, elle voulait avancer dans la vie et devait franchir cette étape, être en paix, un geste récent, l'an dernier.
Née en Algérie dans une petite ville de l'Ouest du pays en 1975, de religion musulmane, on devine, on imagine. Hyper active de nature, elle se rappelle courir sur le bord de la mer sans nécessairement réaliser qu'elle pratiquait un sport, celui de la course à pied, elle qui voulait simplement s'amuser lors de son enfance.
« Tu sais, je n'ai jamais joué à la poupée, je côtoyais de jeunes garçons ».
Un jour, vers 12-13 ans, elle a eu une envie folle de courir en montagne pour voir le coucher su soleil. Elle sortait sans se faire remarquer, accompagnée d'une personne pour la protéger car en Algérie, ce n'est pas éthique de voir courir une femme. On dit alors qu'elle a perdu la tête ! Mais l'homme, lui, il peut courir.
Doudja s'est mariée pour subir la vie d'un narcissique, d'un égocentrique, abandonnant par le fait même les sports, elle qui adorait courir et jouer au volleyball. Imaginez, sa mère lui avait déjà dit que bébé, elle n'avait jamais marché, qu'elle courait déjà !
Le couple immigre au Québec en 2005. C'est compliqué, on le comprend. Les procédures sont longues, éternelles et les événements du 11 septembre n'aident pas. « Je quittais mes racines, celles qui pouvaient toujours me protéger. Je me disais intérieurement que je me dirigeais vers ma nouvelle tombe. Graduellement, il a réussi à me détruire et la dépression s'est solidement installée en moi. Son plaisir était de me voir souffrir. Il me menaçait en me disant qu'il me prendrait les enfants, que j'étais une bonne à rien. Tu finis par le croire en bout de ligne ».
ELLE A VOULU SE NOYER
Antérieurement, Doudja avait donné naissance à une fille qui a manqué d'oxygène à la naissance et qui aujourd'hui, possède un léger handicap intellectuel. Doudja voulait la protéger, ce qui a motivé son départ d'Algérie avec son mari. D'ailleurs, encore aujourd'hui, elle continue de consacrer sa vie à sa fille qui demeure chez-elle.
L'usure des abus a fait son œuvre jusqu'au jour où elle a conclu qu'elle pouvait devenir un danger pour ses trois enfants. « À partir de 2009, j'ai commencé à songer au suicide, à le planifier. Je sombrais de plus en plus, j'avais honte et je ne voyais aucune solution. »
Elle suivra plusieurs thérapies mais sans succès. Puis, un jour de 2014, elle a disjoncté. Elle n'est pas rentrée au travail. Elle se souvenait avoir parlé de ses problèmes à une amie, l'unique personne informée de son état d'âme.
« Je voulais me noyer. J'ignore ce qui s'est passé, il y a une séquence dont je ne me souviens plus. Je me suis réveillée à l'hôpital en état de choc et finalement, j'estime aujourd'hui que cette tentative aura fini par me sauver la vie. »
C'est à ce moment que la course à pied est réapparue. Ses enfants pratiquaient le karaté dans un gymnase. Elle courait pendant ce temps, réalisant que ça lui faisait grand bien. « Je me prenais graduellement en main, j'avais entamé des procédures de séparation. »
Doudja ignorait qu'elle pouvait s'inscrire à des courses croyant qu'elles étaient réservées à des membres de clubs ou des professionnels. La joie qu'elle pouvait alors ressentir à s'inscrire à des événements était indescriptible.
LE MARATHON POUR UNE VIE
Sans le dire à personne, elle décide de courir le marathon de Montréal en 2015, ignorant totalement dans quelle aventure elle s'embarquait. « Je voulais voir si je méritais de vivre. Si je le termine, je vivrai, sinon, c'est terminé. »
Ses enfants l'attendaient au fil d'arrivée. Elle pleurait comme une Madeleine, sachant très bien qu'elle venait de se mériter un billet pour la vie.
À ce moment, les émotions remontent à la surface pour Doudja qui doit prendre une pause dans notre entretien. Elle se ressaisie. « Je me suis alors sentie puissante, réalisant combien la course à pied me faisait grand bien. »
Sensible, émotive, humaine, Doudja a découvert qu'elle pouvait contribuer à des causes via la course à pied. « J'adore faire du bien à une personne, ça me comble. Dans la vie, je n'attends rien de personne car la seule à qui je dois rendre des comptes, c'est à moi. Je veux contribuer à des collectes de dons, je m'implique avec des fondations, m'éloignant de plus en plus des performances. Je veux me dépasser. »
Enseignante au primaire, imaginez comment les enfants doivent l'apprécier !
Aujourd'hui, sa fille a 23 ans, Kariah, 15 ans et Samy, 18 ans.
Elle obtient son divorce en 2017.
COMME UN MIROIR
Elle se livre au journal La Presse juste avant de participer au ironman de Tremblant en 2019. Elle est stupéfaite devant la réaction des gens car elle a fait la une. « Je constatais pour la première fois que je pouvais inspirer des gens à sortir du placard, que la place des femmes n'était pas juste dans la cuisine et répondre aux exigences de son mari. »
Ses salaires, elle n'y touchait jamais. Son mari gérait l'argent. Imaginez !
Elle se souvient de ses crises de panique qu'elle traversait. Il lui arrivait de perdre conscience car elle ne sentait plus ses jambes face aux réprimandes de son ex-mari. Il n'était plus question de faire vivre ce cauchemar à ses enfants.
Dotée d'une endurance exceptionnelle, la course à pied coule dans ses veines. « Je me qualifie de bon vieux diésel, je ne suis pas rapide mais je peux durer longtemps lorsque je retrouve mon 2e souffle. Mon mantra me rappelle continuellement que je ne suis pas une chochotte et cela me motive. Je suis comme un miroir, le reflet de ce qui m'accompagne ».
Dorénavant pour Doudja, sa religion sera celle du bon sens, du respect, de devenir utile à la société, d'aider les autres.
Quelle femme courageuse.