Sherman était devenu un boulet à traîner pour les joueurs et les adjoints
Alouettes lundi, 10 juin 2019. 16:52 mercredi, 11 déc. 2024. 07:40Ma première réflexion, lors de l’annonce samedi matin du départ de l’entraîneur-chef des Alouettes Mike Sherman, a été de me dire que pour toute autre organisation de la LCF, une telle décision à six jours du coup d’envoi de la saison aurait sans doute pris tout le monde par surprise, des journalistes en passant par les partisans.
À Montréal cependant, il faut se le dire : rien n’a été fait dans la normalité ces dernières années. S’il y a un club dans le circuit qui peut nous envoyer une balle courbe, ce sont bien les Alouettes. On en a un exemple bien d’actualité avec le dossier de la vente de l’équipe qui traîne encore et retient une partie de l’attention. Dans les circonstances, c’était mieux de procéder à un changement maintenant plutôt que dans quelques semaines.
L’ancien joueur de football en moi a tendance à se poser une question tout simple lorsqu’il s’agit d’évaluer le travail d’un entraîneur-chef : « Quel genre d’instructeur-chef ai-je moi-même apprécié et respecté durant ma carrière? »
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Je crois que tout joueur est en droit de s’attendre à quelques traits incontournables chez son entraîneur-chef. Je parle ici de ses connaissances en football, de son sens de l’organisation et sa capacité à développer une relation saine et respectueuse avec ses joueurs. Cela revient à dire que l’instructeur doit créer un environnement positif et propice à ce que chacun puisse atteindre son plein potentiel.
Le meilleur pour moi, en ce sens, a été Don Matthews. Il était un excellent stratège, il aimait ses joueurs et était attentif à leurs points de vue. Matthews avait compris que ce qui était important afin d’avoir un club performant, c’était de s’assurer que ses troupes soient dans les meilleures dispositions pour jouer la pédale au plancher lors des jours de matchs.
La comparaison n’est peut-être pas valable – car Matthews et Sherman ont connu des carrières différentes dans le coaching, il faut le dire – mais il reste que lorsqu’on lit et entend certaines choses au sujet de Sherman, on s’aperçoit que c’est dans cette dernière phase qu’il y ait un gros manquement.
L’Américain de 64 ans ne semblait pas s’ajuster au football canadien. Le côté stratégique était donc une faiblesse. Mais là où le bât blesse, c’est l’entêtement qu’il a démontré avec ses vieilles méthodes d’entraînement axées sur la quantité de répétitions, au détriment de la qualité. Les joueurs ont beau être des professionnels, qui en passant n’ont pas peur de travailler fort, ils ne sont pas des robots.
La nature du football étant qu'il est un sport de contacts, c’est plutôt rare que les athlètes sont à 100 % physiquement. Comme entraîneur, tu dois en être conscient et prendre suffisamment de recul par rapport à ça pour bien doser les répétitions. De l’activité, ça ne mène pas toujours à de la productivité!
Pour imager la chose, prenez l’exemple d’un joueur défensif qui court les 40 verges en 4,40 secondes. C’est bien beau, mais s’il part à toute vitesse dans la mauvaise direction, il n’est pas plus avancé. Au contraire, il s’éloignera encore plus vite d’où il était censé être!
De grâce, la qualité avant la quantité
Au début du camp, il semblait y avoir une volonté de la part de Sherman de modifier l’horaire. Je l’ai vu raccourcir et même annuler des entraînements. Je me suis exclamé : « Wow... Il a compris! » Je croyais qu’il avait parlé à ses joueurs et fait des ajustements. Puis dès la défaite contre les Argonauts de Toronto en calendrier préparatoire, le naturel est revenu au galop. Soudainement, on était de retour à l’habituel surentraînement. Comprenez-moi bien : je n’ai contre le fait qu’il faut travailler fort pour se préparer, mais il faut aussi le faire de façon intelligente.
Parlant de l’importance d’avoir un sens de l’organisation développé, j’ai le souvenir d’entraîneurs qui nous remettaient en début d’année une fiche détaillée de l’horaire des prochains mois. Tout était décidé d’avance, et les joueurs appréciaient de savoir à quoi s’attendre d’une semaine à la suivante. Sous Sherman, je me demande si les joueurs avaient seulement le programme de la journée à venir. L’improvisation régnait. Ils ont beau être dans le sport professionnel, un domaine qui est bien particulier, tout humain apprécie de pouvoir s’en tenir à un horaire rigoureux. Je ne pense pas que ce soit une demande farfelue de la part des joueurs, qui ont des familles comme tout le monde. C’est un travail comme les autres. Sans un horaire stable, c’est difficile de bien gérer.
Je suis allé voir l’entraînement des Als lundi. Non seulement l’équipe a-t-elle eu une séance bien compacte et intense comme on les aime, un joueur m’a lancé à la blague : « J’ai même l’horaire de la semaine! » Ça en dit gros, vous ne trouvez pas?
Alors si l’aspect stratégique et la préparation des joueurs font défaut, que reste-t-il? On peut parler de l’importance pour un entraîneur de bâtir une belle relation avec les individus qu’il dirige.
Sans être présent dans l’entourage de l’équipe pour en témoigner, tout ce qu’on raconte me laisse croire que Sherman montrait peu d’intérêt à être proche de ses joueurs. Quoi que ce n’est pas nécessairement un trait essentiel. Après tout, on a vu dans plusieurs sports des entraîneurs pour qui la méthode dure fonctionne. Des instructeurs qui ne sont pas aimés de leurs joueurs, mais qui en viennent à les respecter car du point de vue tactique, ces derniers les amènent à un niveau de jeu qui ouvre la porte aux succès individuel et collectif. Mais Sherman n’amenait pas cette conviction que chacun peut offrir le meilleur de lui-même, et ça, c’était problématique.
C’est malheureux mais c’est donc une troisième prise contre Mike Sherman. Je dis que c’est malheureux car ça reste un homme qui a connu de beaux moments durant dans la NFL. Son curriculum vitae est très bien garni. Ce n’est pas à moi de lui apprendre des choses, mais le constat que je fais, c’est qu’il était pratiquement devenu un boulet que joueurs et entraîneurs traînaient.
Les adjoints étaient aussi dans le néant
Un des autres mandats qui reviennent à tout entraîneur-chef est de donner les meilleurs outils possibles à ses adjoints en les coachant. Ce n’était pas le cas non plus avec Sherman. Tout semblait désorganisé, et dans un sport de préparation, de précision et d’exécution, un tel laxisme est voué à l’échec.
C’est qui m’amène à me dire qu’au lieu d’être une nouvelle qui déstabilise tout le monde, c’est plus comme une libération que ça doit être perçu. Pour les joueurs et les adjoints, certainement, mais probablement pour Sherman aussi, car il n’avait pas l’air d'un entraîneur qui soutirait un grand plaisir de sa présence sur les lignes de côté.
De là à affirmer que les Alouettes vont prendre la direction d’Edmonton vendredi et remporter leur match d’ouverture, attendons de voir! Mais je crois que l’équipe sera mieux préparée et mieux reposée.
On souhaite la bienvenue à Khari Jones, pour qui le défi est grand. Ce n’est vraiment pas un contexte idéal que celui dans lequel il devient entraîneur-chef pour la première fois. L’équipe n’a pas de propriétaires, et pas de réel quart-arrière no 1 en place non plus. Et je vous rappelle qu’en 2018, l’attaque des Alouettes a été limitée à une piètre moyenne de 16 points par match. Alors pas besoin de vous dire que Jones a du pain sur la planche, et pas à peu près! D’ailleurs, tous les entraîneurs devront en faire plus, ça c’est certain. Ce n’est pas une situation parfaite, entendons-nous là-dessus.
Dans le cas du directeur général Kavis Reed, les prochaines semaines seront révélatrices. Je peux difficilement croire que les nouveaux propriétaires en feraient leur homme de confiance, compte tenu de la multitude de gaffes qu’il a commises depuis son entrée en poste. Il fait partie de l’équation des choses qui ne tournent pas rond avec l’équipe ces dernières années. Et l’embauche de Sherman est une autre décision qui ne s’est pas avérée payante pour Reed. Car rappelez-vous que c’est le DG qui s’était montré persuasif à l’endroit de Sherman, qui avait des réticences à prime abord. Peut-être Sherman aurait-il dû écouter sa petite voix intérieure!
* propos recueillis par Maxime Desroches