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RÉSULTATS

Antoine Deslauriers : sous la montagne de muscles

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Mise à jour

MONTRÉAL – Les commentaires, Antoine Deslauriers les a lus et entendus.

« On dirait qu'il a été créé dans un jeu vidéo. »

« Ses muscles ont des muscles. »

« Il a l'air d'un joueur avec une cote de 99 dans Madden. »

« Le test antidopage s'en vient. »

Tout ça à cause d'une photo.

Deslauriers, un secondeur québécois de 18 ans évoluant dans une école préparatoire de Georgie, a publié le cliché sur Instagram au retour de sa visite officielle sur le campus de l'Université Syracuse au début juin. 

On le voit posant avec Fran Brown, l'entraîneur-chef de l'Orange qui l'a convaincu de décliner des offres de bourses d'études de Notre-Dame, Tennessee, Miami, Florida State, Texas A&M et Auburn, notamment. 

Ce que Rivals, 247Sports, MaxPreps, ESPN et bien d'autres ont toutefois vu et relayé à leurs millions d'abonnés sur les réseaux sociaux, c'est le biceps saillant. La montagne de muscles testant l'élasticité et les coutures d'un uniforme de la NCAA, faisant de Deslauriers l'objet d'une curiosité virale. 

Emballés par l'arrivée en 2025 du colosse de 6 pi 1 po et 239 lb, les fans de Syracuse lui ont souhaité la bienvenue. Carmelo Anthony, l'ancienne étoile de basketball de l'université de l'État de New York, lui a écrit quelques mots. Admiratifs, de jeunes joueurs de football québécois ont promis de suivre son parcours.

Le reste? Du commérage.

« Les gens vont toujours dire ce qu'ils veulent. Il y a toujours une raison pourquoi quelqu'un est meilleur qu'eux. J'essaie de ne pas m'embarquer là-dedans. C'est de la publicité à la fin de la journée », relativisait-il récemment, au cours d'un entretien avec le RDS.ca.

« Si jamais ça peut encourager les jeunes Québécois qui jouent au foot à faire la même chose que moi ou à s'en inspirer, ça me fera toujours plaisir. » 

Parce que non, insiste Deslauriers, il ne s'est pas levé un matin revêtu de cette armure lui permettant de rêver à la première ronde d'un repêchage de la NFL.

Il la perfectionne depuis longtemps déjà. 

Antoine Deslauriers

Timbits et crème glacée

Yohan Miron et Antoine Deslauriers se connaissent depuis 2020. La mère de ce dernier, alors à la recherche d'un préparateur physique pour le guider, tombe sur les publications Instagram de F1RST Team Performance, fondé et dirigé par Miron.

« L'appel classique. Mon enfant est sérieux, il veut s'entraîner au foot et il est bon... Le genre d'appel qu'on a souvent. »

Sceptique, Miron donne néanmoins rendez-vous à l'adolescent au parc Lalancette de Montréal, histoire de voir « comment il bouge ».

Aux côtés d'autres joueurs préparant leur prochaine saison collégiale ou universitaire, Deslauriers est invité à courir. La foulée est prometteuse et le jeune de 14 ans pose des questions, se renseigne. Il est mature, constate rapidement Miron. 

« À un moment donné, il décide d'enlever son chandail parce qu'il fait chaud... Quand ils l'ont vu se mettre en chest, les plus vieux se sont dit : "OK, on va peut-être remettre notre chandail" », se souvient Miron de cette journée imprégnée à jamais dans sa mémoire.

« Il n'était pas gros comme il l'est aujourd'hui, mais il était évident que le kid avait une prédisposition génétique et qu'il était déjà dédié. [...] J'ai dit à sa mère : "OK, ton gars, j'en n'aurai pas deux de même dans toute ma vie". »

Dès lors, Deslauriers est encadré tel un professionnel par Miron. Programme d'entraînement et diète, le joueur évoluant alors avec les Maraudeurs du Collège Laval suit tout à la lettre avec une discipline quasi militaire.

« Ç'a pris un an avant qu'il m'envoie une photo de son premier cheat meal. C'était deux Timbits dans une flaque de crème glacée. Quand un jeune de secondaire 3 ne déroge pas de sa diète pendant un an, c'est qu'il est spécial. »

Parallèlement, Deslauriers s'adjoint les services de Christophe Mulumba-Tshimanga, un ancien secondeur de la LCF transmettant aujourd'hui son savoir à la relève par le biais de son académie Linebacker Prototype

« Dès le début, tu voyais qu'il était hors pair. [...] Il s'est joint au groupe et c'était lights out dès le départ », se rappelle celui qui a obtenu un essai avec les Buccaneers de Tampa Bay dans la NFL en 2017 avant de lancer une carrière de cinq saisons dans le circuit canadien à Edmonton et Ottawa. 

« Il sortait du lot par son physique, oui, mais aussi par son éthique de travail et son intelligence sur le terrain. Beaucoup de jeunes de cet âge-là, tu leur donnes une consigne et il faut parfois que tu répètes. Lui, au niveau maturité, il est capable d'assimiler tout ce que tu lui apprends. »

Et de l'appliquer. Dès 2022, le montage vidéo de ses plus beaux plaqués qu'il publie sur son compte Twitter nouvellement créé à cette intention éveille déjà l'intérêt d'écoles secondaires préparatoires américaines. 

Deslauriers décide néanmoins d'assurer ses arrières en complétant sa scolarité secondaire au Québec avant de visiter les établissements promettant de le mener jusqu'à la NCAA. Son choix s'arrête finalement sur les Eagles de Rabun Gap-Nacoochee, une école privée située à deux heures de route d'Atlanta et tout près de la frontière avec la Caroline du Nord.

C'est à partir d'ici que tout s'est mis à débouler.

L'annonce de son engagement n'était même pas vieille d'un mois, et ses valises encore loin d'être faites, que l'Université Ole Miss lui offrait sa première bourse d'études. Maryland, Florida State et Georgia Tech ont suivi dans les trois jours suivants. Puis, Miami, North Carolina, South Carolina, Auburn, Duke, Texas A&M et Oklahoma se sont ajoutés à la liste de ses courtisans.

« J'avais une dizaine d'offres avant de partir du Québec. »

Et d'autres en chemin. 

Après une acclimatation de quelques matchs – « les gars étaient beaucoup plus gros, beaucoup plus vites » –, Deslauriers brille à sa première saison aux États-Unis. En 12 matchs, il réussit 72 plaqués, dont 18 pour des pertes et deux sacs du quart, provoque deux échappés, intercepte trois passes et en rabat trois autres.

Au fil de ses prestations, Deslauriers porte à 22 le nombre d'offres s'empilant sur sa table, suscitant notamment l'intérêt de géants de la NCAA tels que les Fighting Irish de Notre-Dame et les Volunteers de Tennessee. C'est cependant une candidate moins en vue, l'Université Syracuse, qui le convainc en avril dernier de s'engager verbalement.

« Ce que j'ai aimé à Syracuse, c'est vraiment la connexion que j'ai pu bâtir avec les coachs, et ce qui s'en vient. Ils ont reconstruit leur programme au complet, ils ont changé le personnel d'entraîneurs et l'entraîneur-chef. Il a une vision des choses à laquelle je suis capable de m'identifier.

« Et, ils ont un plan pour moi. »

Deslauriers compte s'installer à Syracuse dès janvier prochain, peu après la conclusion de sa dernière saison à Rabun Gap, afin d'amorcer ses études universitaires, s'entraîner avec l'Orange et se familiariser avec son livre de jeux en vue de la campagne 2025.

S'il peut être hasardeux de se prononcer sur les chances de Deslauriers d'obtenir des répétitions dès sa première année universitaire, le colosse en a certes le désir et les capacités, estime Mulumba-Tshimanga.

« Il a la shape d'un joueur de la NFL. Aujourd'hui », tranche celui qui a mis fin à sa carrière professionnelle en 2021. 

« Souvent, les joueurs de première année [dans la NCAA] ne jouent pas parce que physiquement et mentalement, ils ne sont pas encore là. Antoine, lui, il est là », assure Mulumba-Tshimanga, un ancien des Black Bears de l'Université du Maine dans la NCAA. 

« Beaucoup de gens ont vu la photo [de lui à Syracuse] et écrit dans les commentaires qu'il n'était sûrement pas bon et agile. Mais ils n'ont jamais eu la chance de le voir jouer », déplore-t-il.

« Le football, c'est une game de vitesse, et Antoine a le mélange parfait pour être secondeur. Il est gros, il peut courir et il est fort. [...] Ses habiletés, sa technique et son intelligence, c'est ce qui le sépare des autres joueurs de foot. »

Projet MANCHILD

D'ici à ce qu'il retourne en Georgie à la fin du mois, Deslauriers continue de s'entraîner à Montréal avec sa garde rapprochée, peaufinant la machine en prévision de la prochaine année.

« Ça fait deux ans qu'on ne veut plus qu'il grossisse. On n'a plus ce focus-là pantoute. Là, notre but, c'est de l'optimiser pour qu'il ne se blesse pas », précise Miron, qui commence à jeter un coup d'œil aux chiffres des derniers Combines de la LCF et de la NFL.

En juin, pour le plaisir, Deslauriers a tenté le test du développé couché, levant la charge de 225 livres à 21 reprises et égalant ainsi le meilleur résultat du Combine 2024 de la NFL pour un secondeur.

Le Combine, par contre, ce n'est que dans quatre ans si tout va bien. D'ici là, le futur étudiant en finances compte partager son vécu avec les jeunes Québécois qui ambitionnent comme lui d'accéder et de jouer dans la NCAA. Le beau comme le moins beau. Les sacrifices, la discipline. Samedi, il participait d'ailleurs à titre de conférencier au camp de développement Retour à l'Origine organisé par le joueur des Commanders de Washington Benjamin St-Juste.

Miron, lui, continuera d'accompagner Deslauriers dans son parcours tel le « frère » qu'il est devenu. Il était là dès le tout début. Il était à ses côtés durant sa visite officielle devenue virale. Et il était avec lui, dans un salon de tatouage de Syracuse, pour immortaliser le moment avant leur retour à la maison.

Antoine Deslauriers et Yohan Miron

 

MANCHILD

C'est le mot que Deslauriers a fait inscrire, en toute simplicité à l'encre noire et en majuscules, à l'avant de sa cuisse gauche. Son premier tatouage.

« Un enfant dans un corps d'homme », traduit Miron de ce nom qu'il a en quelque sorte donné y a longtemps à leur projet commun : atteindre la NFL. 

« S'il ne se blesse pas et qu'il se présente pendant quatre ans, selon moi c'est un choix de première ronde », ose-t-il prédire. 

« C'est ça l'objectif », approuve Deslauriers.