Pier-Yves Lavergne décrit le casse-tête fascinant des recruteurs des Alouettes
MONTRÉAL – Imaginez si vous étiez un recruteur et qu'on vous disait « Tu vois tous les meilleurs joueurs sur le terrain, oublie-les! » C'est le mandat, un peu fou, des recruteurs de la LCF qui doivent trouver d'excellents athlètes, mais qui ne sont pas assez bons pour la NFL.
Pier-Yves Lavergne sourit quand on lui exprime notre étonnement qu'un tel casse-tête puisse être maîtrisé. Car, en plus d'identifier les joueurs de « 2e niveau » dans la NCAA, ils doivent également dénicher les perles qui évoluent dans la réalité fort différente du football universitaire canadien.
« Dans la NFL, plusieurs personnes nous disent qu'ils ne comprennent pas comment on fait. Eux, ils ont des spécialistes de la NCAA et d'autres de la NFL », a réagi Lavergne qui a récemment été promu de directeur du dépistage national à directeur général adjoint.
Assis devant le tableau de l'organigramme de chaque position des Alouettes de Montréal, Lavergne appuie ses dires avec l'une de plusieurs anecdotes savoureuses reliées à la NFL.
« Chez les Raiders, le directeur général Dave Ziegler, qui a été congédié depuis, a pris la peine de m'installer dans un bureau adjacent au sien, il est venu passer 30 minutes avec moi. Pour eux, on est des bibittes différentes et il était vraiment curieux. Il avait beaucoup de respect pour le travail qu'on fait. C'est agréable de ne pas se faire regarder de haut », a confié Lavergne qui garde son bureau très ordonné même s'il est dissimulé dans les méandres du Stade olympique.
Sur son téléviseur, une reprise d'un Bowl de la NCAA est diffusée. On saute sur cet exemple pour lui demander « Comment fais-tu, disons dans ce match, pour repérer le troisième meilleur demi-défensif, celui qui pourrait venir jouer dans la LCF? »
« C'est comme si ceux qui seront repêchés dans les cinq premières rondes dans la NFL sont devenus trop bons pour mes yeux! J'ai développé l'habitude de regarder les autres, ceux qui sont notre pain et notre beurre. Le métier rentre avec le temps, comme dans bien des milieux. Par année, on fait quand même autour de 800 à 900 rapports d'évaluation », a répondu Lavergne qui s'est excusé d'interrompre brièvement l'entrevue quand le patron, Danny Maciocia, l'a appelé à la recherche d'une information sur un joueur.
Quand vient le temps de changer ses « lunettes » de recruteur pour épier les espoirs du football universitaire canadien, Lavergne peut, au moins, s'appuyer sur son expérience de joueur dans ce calibre pour retrouver ses repères.
La description de ses tâches nous pousse à lui demander s'il a déjà vécu un moment de confusion. Un peu comme si sa vue refusait de s'ajuster.
« Le plus difficile, ce sont les gros événements en personne. Les premières fois, tes sens ou tes yeux sont juste surtaxés! Il y a tellement de joueurs en même temps que tu veux tout voir, mais c'est impossible », a-t-il expliqué.
Lavergne revenait justement du College Gridiron Showcase, une importante vitrine annuelle de recrutement où 204 joueurs ont défilé, cette année, à Dallas.
Son collègue et fidèle allié, Jean-Marc Edmé, s'est chargé d'évaluer les joueurs en défense tandis qu'il s'est occupé de ceux en attaque. Quant à Maciocia, il pouvait regarder l'ensemble avec un pas de recul.
Pour les joueurs véritablement obscurs, les équipes de la LCF participent à des camps ouverts. Lavergne et Edmé se souviennent très bien, quand ils travaillaient pour le Rouge et Noir d'Ottawa, de la journée menant à la découverte de l'excellent receveur Dominique Rhymes.
« Le camp avait lieu à Atlanta, il faisait autour de 35 degrés, c'était dégueulasse avec l'humidité. Il est arrivé, il a payé son admission et il a détruit la compétition! On l'a embauché et il est devenu un joueur étoile dans la LCF. Il était un ‘monsieur n'importe qui', il travaillait comme livreur dans une compagnie », a raconté Lavergne.
À l'opposé, chaque année, les équipes de la LCF accueillent aussi des joueurs avec un C.V. impressionnant « qui ne sont pas aussi bons qu'ils le devraient. Ils arrivent ici en parlant beaucoup, mais ils deviennent plus silencieux après deux pratiques ».
Vendeur, un aspect inévitable du métier
Le casse-tête ne s'arrête pas là. Il faut être aussi bon vendeur pour être recruteur dans la LCF.
« Il y a 0% d'Américains qui rêvent de jouer dans la LCF, je peux te le dire avec certitude », a confirmé Lavergne en riant.
Austin Mack et Pier-Yves Lavergne
Photo : Austin Mack et Pier-Yves Lavergne.
Même si plusieurs joueurs américains ne pouvaient pas pointer Montréal sur une carte géographique, Lavergne vante son multiculturalisme, ses excellents restaurants et la grandeur de la ville.
N'empêche que les meilleurs arguments demeurent les exemples à la Austin Mack, qui a pu retourner dans la NFL via les Alouettes.
Ça ne veut pas dire que Lavergne et ses homologues raffolent du volet « vente » de leur boulot.
« Est-ce que ce serait plaisant, parfois, comme dans la NFL, de dire ‘On est les Ravens' et le gars embarque tout de suite dans l'avion. Mais c'est notre réalité et ça existe des côtés un peu moins plaisants dans un travail. Sauf que tu ne vends pas des mensonges, tu vends un nouveau rêve, une nouvelle chance de devenir le meilleur athlète professionnel possible », a-t-il décrit.
Un autographe pendant une pratique des Chargers
Ironiquement, Laverge a vécu une anecdote où les rôles étaient inversés. Durant un passage chez les Chargers de Los Angeles, Lavergne discutait avec Dennis Abraham, le directeur du recrutement professionnel des Chargers quand un partisan s'est approché de la clôture.
« Il m'a demandé un autographe pendant la pratique, c'était un amateur de la LCF. Dennis était confus, il m'a demandé si j'étais quelqu'un de connu et je lui ai répondu ‘si tu savais à quel point que non' », a raconté Lavergne en souriant.
Et que dire de la classe de John Lynch, le président des opérations football et directeur général des 49ers de San Francisco qui a demandé à Lavergne la signification de « PY », le surnom qu'il utilise avec les anglophones. Le tout a mené à une conversation de 5-10 minutes avec cet ancien grand joueur.
« Je lui parlais dans leur lobby, avec les trophées du Super Bowl à l'arrière, disons que j'étais loin de mon village de l'Outaouais. »
Pier-Yves LavergnePourtant, rien ne destinait Lavergne vers ce parcours. Il rêvait plutôt de hockey, le sport qu'il a pratiqué jusqu'à 20 ans. Il a passé sa jeunesse à jouer au jeu vidéo NHL, mais surtout à gérer la composition des équipes.
Après avoir découvert le football en secondaire V, cette passion pour assembler des équipes a refait surface au terme de sa carrière universitaire (avec les Carabins et les Gee-Gees d'Ottawa).
Maciocia a été le premier à lui donner une chance, chez les Carabins, alors qu'il aidait Danny Desriveaux qui chapeautait les unités spéciales.
Par la suite, Maciocia l'a informé qu'un poste s'ouvrait chez le Rouge et Noir d'Ottawa. Lavergne a quitté un emploi « bien plus payant » à l'Université de Montréal pour tenter sa chance.
Il a grandi auprès de Marcel Desjardins et Jean-Marc Edmé qui l'ont laissé « faire des erreurs et apprendre ». Le congédiement difficile à encaisser de Desjardins aura permis à Maciocia de l'attirer avec les Alouettes, un chandail qu'il avait porté pendant trois petits jours à un camp des recrues.
Lavergne a trouvé un bureau qui lui convient davantage. Il est heureux d'avoir contribué à de belles trouvailles – comme Mack, Tyson Philpot, Lewis Ward, Caleb Evans, Zach Lindley - mais il partage chaque bon geste avec le petit groupe du recrutement.