Les petits miracles de l'école Dalbé-Viau grâce au sport
MONTRÉAL – Imaginez un directeur d'école qui accourt chez un joueur pour garder son petit frère et sa petite sœur afin qu'il puisse disputer son match de championnat. Bienvenue dans le monde de l'école secondaire Dalbé-Viau où le décrochage scolaire chez les garçons a baissé, grâce au sport, de près de 40% !
On a commencé à s'intéresser à l'histoire de cette école défavorisée, il y a plusieurs semaines, en ayant vent de ce miracle digne de mention. C'était bien avant que l'équipe juvénile accomplisse l'exploit de remporter le Bol d'or à sa toute première année en division 2.
Car la plus grande victoire de cette école réside, avant tout, ici.
« Avant que le programme sportif se mette en branle, en 2007, le décrochage scolaire chez les garçons était de 60% environ. À la fin de l'année, il était rendu à moins de 25% », a précisé l'entraîneur-chef et coordonnateur des sports, Dominique Ménard.
Démarche après démarche, on a découvert d'autres petits miracles qui font du bien quand on songe à tous les problèmes avec lesquels les acteurs du milieu de l'éducation doivent composer au quotidien.
« J'aimais déjà mon équipe, mais ça m'a touché fort »
Ça ne faisait que quelques minutes qu'on s'imprégnait de l'esprit qui règne chez les Aigles d'Or qu'on assistait à une scène révélatrice.
Le secondeur recrue David Mbumba Makonzo ne connaissait pas le début de match espéré en demi-finale contre le Collège Bourget. La mine basse, il retraite vers les lignes de côté où deux entraîneurs viennent lui parler d'une manière très respectueuse qui détonne avec les discours parfois enflammés au football.
C'est alors que des joueurs se regroupent, comme si c'était naturel pour eux, autour du jeune athlète pour lui remonter le moral. Un geste, d'abord repéré par le collègue caméraman Jérôme Scaglia.
« J'aimais déjà mon équipe, mais quand ils ont fait ça, j'ai vraiment compris qu'ils voulaient qu'on soit une famille et qu'on gagne ensemble. Pour qu'on s'en rappelle toute notre vie », a confié le timide athlète.
« J'ai lâché des larmes un peu. J'ai toujours su qu'on était spécial, mais ça m'a vraiment touché fort », a ajouté le numéro 15.
« On lui donne de l'énergie. Ce qu'on fait, c'est qu'on se traite comme des frères, comme une famille », a cerné Sadraque Zinga Mambuco Mambuco, qui agissait comme l'un des capitaines cette saison.
Quand on relate ce moment au directeur de sports et entraîneur-chef, Dominique Ménard, c'est encore plus beau que de la musique à ses oreilles.
« C'est la consécration de ce que je veux leur inculquer.
« La première chose qu'on travaille, c'est l'esprit de famille. On ne laissera jamais personne derrière nous, on va toujours essayer de relever le gars qui a de la misère », a résumé l'entraîneur qui est aussi le coordonnateur des sports.
Un athlète comme lui aux 10-15 ans
Si l'esprit de famille qui règne saute aux yeux, on a été subjugué par le talent du porteur de ballon Antwan Raymond.
Sous une pluie diluvienne, Raymond a effectué 28 courses pour 297 verges (moyenne de 10,6 verges) et cinq touchés dans un triomphe de 35 à 28. Et ce, alors que toute la défense adverse savait que le ballon lui serait confié à outrance. Antwan Raymond
« Antwan a une vitesse incroyable. Comme centre-arrière, je fais des blocs pour lui et quand il passe à côté de moi, j'entends juste un ‘wouf' », a lancé Jenner François sans même exagérer.
« Chaque jeu, just go crazy, ça c'est Antwan Raymond ! », a réagi Mambuco avec un grand sourire.
Quelques jours après le match, on était encore soufflé par sa performance quand Coach Ménard nous a achevé avec cette révélation.
« Le jour du match, il n'a rien mangé, rien bu et tu as vu son match ! Il n'était pas plus capable de manger ou boire après le match. Le lendemain, sa mère va à la clinique avec lui et ils se font diriger immédiatement à l'urgence. Il avait un abcès dans la gorge qui l'empêchait d'avaler et presque de respirer. Je n'en revenais pas qu'il ait joué dans ces conditions. C'est fou ! », a-t-il confié.
Humble, Raymond n'en dit pas un mot quand on lui parle de ce match. Il faut insister pour qu'il le fasse.
« C'était très dur, mais je savais que c'était un match important pour moi, mes entraîneurs et tout le monde de Dalbé. Je savais que beaucoup de gens comptaient sur moi, je ne pouvais pas les disappoint. J'avais besoin de faire ce que je devais faire », a résumé le numéro 8.
« Rotrand Sené, qui l'a dirigé avec Équipe Québec, me disait qu'on a un athlète comme lui aux 10-15 ans. Il a été très impressionnant cette année et il a été très humble dans ses performances, il avait une grosse ligne offensive pour l'aider », a indiqué Ménard.
Ainsi, il attire déjà l'attention en sol américain et il devrait y déménager dès la saison prochaine. Raymond pourrait d'ailleurs rejoindre le quart-arrière Evans Chuba, qui l'a attiré à Dalbé-Viau, à Clearwater Academy.
« Mon but, c'est d'aller dans la NFL, je vais faire tout ce que je peux pour y parvenir », a mentionné le puissant athlète.
Facile de sentir qu'il voudra rendre ses proches – et surtout sa mère – fiers en accomplissant une carrière professionnelle au football.
« J'ai une très bonne famille. C'était un peu rough au début. Je n'ai pas de père donc ma mère travaille très fort, elle a deux emplois pour supporter ma sœur et moi. Je suis souvent avec ma grand-mère, mes oncles et mes tantes. Eux aussi m'ont beaucoup aidé et je dois le dire », a décrit Raymond.
Sadraque Zinga MambucoUne magnifique histoire d'intégration au Québec
Une équipe comme celle-ci, c'est aussi un éventail de magnifiques histoires d'intégration comme celle du charismatique Sadraque Zinga Mambuco.
Arrivant de l'Angola – où il parlait portugais et un peu anglais – le demi défensif est débarqué dans une classe d'accueil à Dalbé-Viau entouré de camarades qui parlaient différentes langues sauf le français.
En à peine un an (14 mois pour être précis), il avait assimilé sa nouvelle et troisième langue.
« Dalbé, c'est la meilleure école de ma vie. En classe d'accueil, on m'a dit que ma progression pour parler français était vite », a confié Mambuco avec une fierté bien méritée.
Son développement au football est tout aussi fulgurant.
« C'est seulement sa deuxième année de football. Après un an, il a fait Équipe Québec », a précisé son entraîneur.
Mais Ménard revient rapidement au plus important. Sadraque Zinga Mambuco
« Sa mère travaille super fort pour subvenir aux besoins de sa famille et sa petite sœur joue au basket avec nous en secondaire I. C'est vraiment un parcours formidable; quand on parle d'intégration au Québec, en voici un bel exemple à 100% », a-t-il insisté.
Sans le savoir, Mambuco a tenu à le complimenter à son tour.
« J'aimerais dire merci à Coach Dom. Je l'ai présenté à ma mère en disant qu'il est comme mon père. Parce que mon père n'est pas ici. C'est grâce à lui que ma mère, moi et ma petite sœur, on a réussi à bien se développer », a prononcé Mambuco qui s'occupe souvent de sa petite sœur puisque sa mère occupe deux emplois.
Quand le directeur garde des enfants
Dans un milieu comme celui de Dalbé-Viau, c'est fréquent que les parents doivent déléguer la responsabilité des petits frères et sœurs à l'aîné.
À l'occasion, cette réalité provoque des surprises pour les équipes sportives. Si bien que des entraîneurs - et même le directeur d'école – doivent parfois jouer au gardien.
« Ce n'est même pas hors-norme, sourit Ménard. C'est arrivé une trentaine de fois depuis que je suis coordonnateur des sports. »
« Parmi les plus drôles, on a une finale atome et le quart-arrière Ezechiel Tieide (qui joue à Toledo) devait garder son petit frère et sa petite sœur. Mais le match était sur le point de commencer et il ne pouvait pas s'en venir parce que sa mère n'est pas revenue du travail. Le directeur est parti, il est rentré chez Ezechiel et l'a envoyé au match. Le directeur a attendu la mère et il gardait les deux petits ! C'est réel et typique de notre école, on ne vit jamais des affaires normales, on doit toujours travailler en dehors de la boîte », a raconté Ménard le sourire.
De petit tabarouette à capitaine
« Au début du secondaire, c'était un petit tabarouette et il est devenu l'un de nos capitaines », lance Ménard avec admiration pour le chemin parcouru par Tristan Lafleur-Soucy.
Ce finissant de Dalbé-Viau a appris à mieux se comporter grâce au football et il peut sourire quand on lui relate les mots employés par son entraîneur.
« Je le comprends car j'étais un élève turbulent. J'allais dans la classe et les profs ne voulaient pas me voir parce que je dérangeais les cours. Les entraîneurs m'ont aidé à mieux respecter les règles. Au début, je voyais les profs comme des adversaires. J'ai appris qu'ils sont là pour nous aider », a évoqué Lafleur-Soucy.
« Je suis vraiment fier de son évolution par rapport à son secondaire I alors qu'on voulait tous l'étriper », a cerné Ménard avec humour.
Sur le terrain, le numéro 93 a été le « petit guerrier » du club en jouant sur la ligne défensive et la ligne offensive.
Des jeunes qui changent d'école pour se joindre aux Aigles d'Or
Le programme sportif de Dalbé-Viau s'est forgé une si belle réputation que des étudiants changent désormais d'école pour s'y joindre. Ce n'est pas rien pour une école défavorisée.
Ce chemin fut notamment celui de Jenner François cette année.
« Il habite à Châteauguay, il a décidé de s'en venir ici et ce fut une acquisition formidable pour nous. Un beau petit cadeau tombé du ciel », a témoigné Ménard.
« Sans le football, je ne crois pas que je serais ici. Ça m'aide à me concentrer parce que je n'aime pas beaucoup l'école », a admis François qui est pourtant un très bon étudiant.
Un succès pas toujours bien perçu par le RSEQ
Quinze ans après le lancement du programme sportif, qui est gratuit, plus personne ne doute de sa pertinence. Mais, lors de sa création, une opposition a été ressentie de la part de quelques professeurs.
« Notre objectif était de prendre les élèves les plus turbulents pour qu'ils fassent du sport dans le but qu'ils aient hâte de venir à l'école. Ç'a été long de l'implanter auprès des enseignants qui percevaient ça comme une récompense. Mais ils ont vu que les jeunes devenaient de meilleurs étudiants en faisant du sport », a décrit Ménard.
N'empêche que ce succès n'est pas toujours bien perçu par le Réseau du sport étudiant du Québec (RSÉQ) et par certaines des écoles mieux nanties.
« C'est sûr et certain qu'on est différents. Est-ce qu'on a moins de facilité ou de moyens que certains collèges privés ? Oui. Le fait d'avoir énormément de jeunes immigrants dans nos équipes qui proviennent des classes d'accueil, qui parlent un peu moins bien français, est-ce que ça peut mener des gens à porter un jugement ? Je pense que oui. Mais dans le Québec d'aujourd'hui, il faut aider ces jeunes », a répondu Ménard.
« C'est un sujet très délicat, mais quand on a joué à certains endroits, la façon dont on a été reçu et les commentaires entendus, oui, c'est un peu plus difficile pour nous », a-t-il avoué en pesant ses mots.
Heureusement, ça n'ébranle pas le dévouement de Ménard et ses collègues.
Auparavant, dans cette école, on entendait souvent des commentaires du style « Dalbé, c'est poche… ». Désormais, les jeunes adorent leur école et des élèves y font maintenant du sport dans le but d'aller au CÉGEP ou à l'université.
Tout ça culmine à une tonne de belles histoires comme les frères Ethan et Enock Makonzo qui évoluent dans la LCF ou bien Jamie Harry qui était en trouble sévère d'apprentissage au secondaire. La femme de Ménard, qui agit comme orthopédagogue auprès des athlètes, ne l'a jamais lâché et il a accédé à l'université tout en devenant membre des Elks d'Edmonton ensuite.