Adam le jour, « Showtime » le soir : rencontre avec un espoir du CH en Suède
ÄNGELHOLM, Suède – Il sera 10 h dans quelques minutes. L'aube a terminé son quart de travail depuis peu, mais le soleil est toujours invisible dans le ciel ennuagé. Au mois de décembre, en Suède, il suffit de très peu d'effort pour passer une journée complète sans le voir.
La marche entre l'arrêt d'autobus et la Catena Arena est courte, mais assez longue pour qu'on arrive à destination complètement trempé. On parlerait ici d'une solide tempête de neige si le thermomètre n'indiquait pas 8 degrés Celsius.
« Ouais, c'est pas mal ça nos hivers ici dans le sud! », nous apprend Peter Ekholm en nous ouvrant les portes qui mènent au vestiaire du Rögle BK, le club de hockey local. Notre hôte en est le responsable des communications.
Nous sommes à Ängelholm, une petite ville d'environ 40 000 habitants située à distance à peu près égale de Göteborg, au nord, et de Copenhague, au Danemark, au sud. À première vue, l'endroit fait penser à une version comprimée de Rimouski. D'un côté, la charmante Skälderviken, une baie bordée par d'imposants rochers pris d'assaut par les vagues. De l'autre, une autoroute et de vastes terres agricoles. Au loin, des éoliennes dont la pertinence ne fait aucun doute.
Adam Engström nous rejoint après l'entraînement matinal. L'espoir du Canadien nous tend la main et nous souhaite la bienvenue. Un bonnet gris couvre la moitié de ses oreilles. Le noir de son habit de sport décontracté contraste avec le blanc immaculé de ses souliers. Un visiteur qui n'a pas fait ses devoirs pourrait le méprendre pour le jeune qui aiguise les patins dans le local voisin.
Mais en soirée, dans un match à guichets fermés contre Oskarshamn, il sera l'un de ceux à qui seront réservés les plus bruyants applaudissements.
À 20 ans, Engström n'est plus le cadet de la brigade défensive du Rögle depuis l'arrivée en cours de saison du Suisse Lian Bichsel. Mais il en demeure l'une des principales attractions. Un soir de match, chaque présence du choix de troisième ronde du Canadien en 2022 vient avec l'expectative qu'il sortira un nouveau lapin de son chapeau. Il a 12 points en 28 parties, joue en moyenne près de 20 minutes par match et se classe dans le top-3 de son équipe pour les tirs cadrés, les tirs bloqués et les mises en échec.
« Son sang-froid avec la rondelle est vraiment excellent, identifie d'entrée de jeu Thomas Grégoire, un Québécois qui a signé un contrat de deux ans avec Rögle l'été dernier. Ça, ça m'a vraiment impressionné au début. »
C'est une caractéristique qu'avait notée le collègue Maxime Desroches dans une évaluation de travail d'Engström en novembre, observant qu'« il se sert fréquemment de son agilité, de feintes de la tête et d'un bon centre de gravité » pour se débarrasser avec finesse d'un couvreur et générer de l'attaque.
« Au début, je le regardais et je me disais : "voyons, passe la rondelle, qu'est-ce que tu fais?", relate Grégoire. Pis le gars arrive sur lui, boom il tourne dessus et descend seul vers but. J'étais comme : "Oh, ok, c'était pas pire ça". »
« Il peut faire ça quatre ou cinq fois dans un match et ça marche tout le temps, dit en ricanant l'ancien défenseur du Canadien Brandon Davidson, lui aussi nouvellement arrivé à Ängelholm. Ce garçon-là a tout un potentiel. Regarde-le patiner ce soir, il peut tourner sur un trente sous. Il y a un petit quelque chose qui dit ‘LNH' quand on le regarde. »
À petites doses
De la bouche de coéquipiers, on ne s'attendrait pas à moins d'enthousiasme. Le travail de Max Bohlin, c'est de ramener Engström sur terre et de lui faire réaliser que tout ça ne suffira pas.
Bohlin est entraîneur-adjoint au Rögle BK. Depuis deux ans, il travaille intensément, sur une base individuelle, avec le jeune magicien sur patins. Les liens qu'il a tissés ce faisant, notamment avec le directeur du développement des joueurs du Canadien Rob Ramage et le recruteur chef en Europe Christer Rockstrom, lui ont d'ailleurs valu de participer au dernier camp de développement du club à titre d'entraîneur invité.
« La saison dernière, il était très flashy. Ses bons coups l'ont placé sous les projecteurs. Un coéquipier s'est mis à l'appeler Showtime », révèle Bohlin.
« Je veux qu'il fasse honneur à ce surnom, mais en zone offensive et seulement lorsque la bonne occasion se présente. Une ou deux fois par match, il peut faire les petits tours de passe-passe que vous pouvez voir sur Youtube. Je ne veux pas qu'il perde ça. Mais je veux qu'il comprenne que ce n'est qu'un infime pourcentage de ce qui lui permettra d'atteindre la LNH. Pour aider une équipe là-bas, ses poches devront être remplies de plein d'autres petits attributs. »
Max BohlinBohlin, un jeune enseignant ambitieux au regard perçant, demande à Engström d'être plus « persévérant » défensivement.
« Je crois qu'il a tendance à être trop passif dans sa zone. La saison dernière, c'était plus frappant. On a travaillé pour qu'il soit plus agressif en sortant des coins de patinoire. On lui demande aussi d'être plus alerte sur la durée de ses présences. Dans le passé, il lui arrivait de perdre sa concentration quand le jeu se transportait vers la zone défensive. »
Grégoire ne connaît Engström que depuis quelques mois et ne peut donc établir de comparaisons avec une version moins mature du jeune homme. Mais rien de ce qu'il a vu jusqu'à maintenant ne vaut de brandir un drapeau rouge.
« Il est capable de bien contrôler l'écart avec le porteur de la rondelle et de geler le jeu le long des rampes, ce qui est encore plus difficile à faire ici à cause des grandes patinoires. L'attaquant a une seconde de plus pour faire un jeu, mais Adam est assez bon pour couper son espace et nous aider à récupérer la rondelle et repartir de l'autre bord. Selon ce que j'entends, son jeu est rendu assez complet comparativement à avant. »
Les corvées défensives peuvent parfois décourager les jeunes joueurs plus doués avec la rondelle. L'attention et l'admiration du grand public sont pas mal plus grisantes que les consignes répétitives d'un entraîneur dans l'écho d'un aréna vide. Et comme il est plutôt rare qu'un bon positionnement en zone neutre attire les mentions « j'aime », il peut être tentant de faire à sa tête pour tenter de plaire à la majorité. Engström n'est pas tombé dans ce piège, témoigne Max Bohlin.
« Je n'ai pas besoin de lui pousser dans le dos. Il est le conducteur de son propre développement. »
Guigne offensive
Engström lui-même ne cache pas ses préférences. « C'est juste tellement plus le fun de jouer en attaque qu'en défense », confesse-t-il dans un rire timide. Mais il reconnaît avoir concentré ses efforts sur ce qui lui vient moins naturellement depuis un an. L'athlète de 6 pieds 2 pouces cite son jeu le long des rampes comme l'aspect sur lequel il a progressé de la façon la plus satisfaisante.
« Depuis que je le connais, je crois qu'il n'a jamais été aussi constant défensivement que dans nos dix derniers matchs. C'est un gros plus pour son développement. »
On pourrait croire que tous ces efforts investis à bien faire sans la rondelle ont eu un impact négatif sur la créativité et le sens de l'initiative du jeune. Les 12 points qu'il a récoltés en 28 matchs ne sont pas le genre de statistiques qui frappent l'imaginaire. On lui a aussi retiré le privilège de piloter l'avantage numérique, qui en arrachait en début de saison, pour lui confier des mandats sur les unités spéciales défensives.
Adam EngströmOn ferait fausse piste. Dans une évaluation publiée sur le site Elite Prospect, l'analyste Lassi Alanen révèle des chiffres qui démontrent qu'Engström génère immensément plus d'attaque qu'à sa saison recrue en SHL. Avec deux buts à sa fiche, il peine toutefois à trouver le fond du filet.
« Je devrais avoir plus de réussite, mais je crois quand même m'avoir créé une bonne quantité d'occasions cette année. Ça ne rentre pas, c'est tout. Je sais que je ne devrais pas m'inquiéter avec mes points, je suis un défenseur, mais je veux quand même faire ma part de ce côté-là. »
Max Bohlin confirme : Engström a été menaçant toute la saison, mais peine à conclure ses actions. Pour lui, il s'agit de la preuve que son élève n'a pas que son jeu défensif à améliorer. « C'est une affaire de détails. Il doit travailler sur son tir, il doit apprendre à décocher ses lancers un peu plus vite. Tout ça, il le contrôle. Je n'aime pas parler de malchance. Il faut juste travailler toujours plus. »
Cette guigne offensive est à l'image de celle de son équipe. Rögle est l'une des trois équipes qui ont marqué le moins de buts cette saison en SHL. Contre Oskarshamn, la dernière équipe au classement, les locaux ont dominé les deux premières périodes sans pouvoir se mettre à l'abri avant de finalement s'écrouler en troisième période. Il s'agissait de sa deuxième défaite en trois matchs depuis le congédiement de son directeur général et de son entraîneur-chef. Il est encore tôt pour parler de relégation, mais le scénario ne peut être exclu non plus.
Ce triste portrait pourrait être un incitatif supplémentaire pour fermer un chapitre au terme de la saison. Le contrat d'Engström en Suède viendra alors à échéance et le Canadien pourrait être tenté de l'attirer à Laval.
Le talentueux blondinet dit ne pas trop y penser. Il a encore beaucoup à faire avant de se voir ailleurs qu'à Ängelholm.